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Abdoulaye Bathily, le « contestataire », est nommé ministre d’Etat à la présidence du Sénégal (2/2)

Publié le mercredi 8 août 2012 à 10h31min

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La chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS, le démantèlement de « l’empire » soviétique… vont obliger la Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (LD/MPT) à réviser sa vision de l’histoire. Peu de temps auparavant, son premier secrétaire, Abdoulaye Bathily, avait publié à Londres, un minuscule fascicule intitulé « The struggle for democracy in Senegal ». La LD/MPT avait déjà entrepris un « ajustement idéologique » dans les années 1980.

Les années 1990 seront celles de la « réorientation » décidée à l’issue de la Conférence nationale du parti (érigée en congrès extraordinaire) des 3 et 4 août 1991. Bathily sera candidat à la présidentielle du 21 février 1993. Ils sont huit à viser la présidence dont les deux grosses pointures de la vie politique sénégalaise : Diouf pour le PS, Wade pour le PDS. Diouf va l’emporter et Bathily terminera en quatrième position avec 2,41 % des voix derrière Landing Savané d’And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme. Aux législatives organisées quelques mois plus tard, la LD/MPT fera son entrée à l’Assemblée nationale avec trois députés.

La situation du Sénégal est telle que Diouf sera contraint à former un gouvernement « de large ouverture » avec Habib Thiam, une fois encore, comme premier ministre. « Changer, rassembler, ouvrir ». Cinq portefeuilles ministériels sont attribués à des leaders de l’opposition. Bathily est ainsi nommé, le 2 juin 1993, ministre de l’Environnement et de la Protection de la nature, tandis que Mamadou Ndoye (lui aussi un LD/MPT) est ministre délégué chargé de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales. Wade est le grand absent de ce gouvernement d’ouverture (il n’y fera son entrée que le 15 mars 1995). La LD/MPT entend ainsi prouver qu’on peut « gérer autrement et mieux » ; il gagne surtout, dans cette opération, un peu de visibilité qui lui permettra d’obtenir plus de 300 élus lors des élections municipales rurales et régionales de 1996.

A l’instar de Wade qui, en 1974, avait présenté son parti, le PDS, comme un « parti de contribution », Bathily soutiendra que son expérience gouvernementale était l’expression d’une opposition « participative ». Ayant « exprimé la volonté de ne plus faire partie de l’attelage gouvernemental », l’un et l’autre, Wade et Bathily, ne seront plus du gouvernement formé le 5 juillet 1998. Il est vrai que la présidentielle 2000 se profile déjà à l’horizon. Pour cette présidentielle la LD/MPT a rejoint l’opposition au sein de la Coalition Alternance 2000 (CA 2000) dont le candidat est Wade. Diouf est battu, Wade prend sa suite et Moustapha Niasse est nommé premier ministre.

Landing Savané est le numéro deux du gouvernement (ministre de l’Industrie, de l’Artisanat et des Mines), Bathily le numéro trois (Energie et Hydraulique), Amath Dansokho numéro quatre (Urbanisme et Habitat). Trop de crocodiles dans le même marigot. Niasse va bientôt quitter le gouvernement puis se sera au tour de Bathily (mais la LD/MPT conservera deux portefeuilles). Cette connexion avec le PDS (et donc contre le PS) permettra à la LD/MPT d’obtenir 7 sièges à l’Assemblée nationale lors des législatives anticipées du 21 janvier 2001 et 630 conseillers aux élections locales du 12 mai 2002. Bathily, quant à lui, remporte le siège de député de Bakel ; il bat lors de cette élection une des personnalités majeures du PS : Cheikh Abdoul Khadre Cissokho.

Il s’était mobilisé contre Léopold Sédar Senghor puis contre Abdou Diouf ; il se mobilisera également contre Wade. En 2005, la LD/MPT sort du gouvernement* et va être membre fondateur de la coalition CPG-G10-LD/MPT. Bathily sera candidat à la présidentielle du 25 février 2007 qui verra Wade l’emporter dès le premier tour. Il sera crédité de 2,21 % des voix et se retrouvera en sixième position derrière Wade, Idrissa Seck, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse, Robert Sagna mais devant Landing Savané… Une fois encore, l’opposition s’est présentée en ordre dispersé. Elle avait pourtant marché de façon unitaire un mois plus tôt, le samedi 27 janvier 2007. Niasse, Dieng, Bathily, Mata Sy Diallo et d’autres, rassemblés contre la « dérive autoritaire du régime », seront, ce jour-là, rudement malmenés par les forces de l’ordre avant d’être retenus quelques heures. On retrouvera Niasse, Dieng et Bathily à la tête du Front Siggil Senegaal (FSS). Objectif : organiser des Assises nationales « pour sauver le Sénégal ». « Ce n’est plus une question électorale, mais de survie nationale, soulignera Bathily. Les fondamentaux de l’économie sont tous en rouge, les entreprises qui faisaient la fierté de notre économie comme les ICS, la Sonacos sont toutes à genoux. Ce qu’on attend de ces Assises, c’est que l’on se mette ensemble pour établir le diagnostic, puis imaginer des solutions en vue d’élaborer un programme capable de redresser la nation pour assurer sa survie avant que le pays ne tombe dans des turpitudes aux conséquences incalculables ».

En décembre 2008, dans cette perspective d’union de l’opposition, le VIème congrès de la LD/MPT va s’amputer du MPT (Mouvement pour le parti du travail) en vue de « travailler à la constitution d’une grande force, d’inspiration social-démocrate, non pas autour de la LD, mais avec d’autres forces ». Ce sera Benno Siggil Sénégal (BSS), coalition bicéphale : Tanor et Niasse. Ils joueront l’un contre l’autre lors de la présidentielle 2012, après avoir joué « collectif » pour gagner les élections locales en mars 2009 ; et c’est finalement Macky Sall qui ramassera leur mise. Bathily, qui exprimera le remord d’avoir soutenu Wade par le passé, notamment contre Diouf en 2000, évoquera une « correction » (au sens de « corriger » et non pas de « châtier »). De quoi méditer pour le professeur d’histoire moderne et contemporaine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar qu’est Bathily.

Sall est président de la République, Niasse est président de l’Assemblée nationale. Entre les deux hommes, Bathily, quand il dort, « dort en gendarme » : vigilant ! « On ne peut pas prendre le pouvoir et considérer que c’est un chèque en blanc pour faire ce qu’on veut contre la volonté populaire. C’est plutôt le contraire. Car le pouvoir est un chèque qui est écrit pour faire des choses déterminées dans le sens de l’intérêt général. Donc cette préoccupation est fondamentale et tous les gouvernants doivent y tirer une leçon, ceux d’aujourd’hui tout comme ceux de demain ». Bathily avait proposé à Wade, au lendemain de sa victoire à la présidentielle 2000, de mettre en place une Direction politique unifiée de l’Alternance, « afin de discuter de l’action du gouvernement et d’anticiper sur les attentes des Sénégalais, mais surtout en vue du respect de ses engagements ». Il a souhaité, après la victoire de la coalition BBY à la présidentielle 2012, que cette idée de Direction politique unifiée (DPU) soit reprise par Sall. Il veut une rencontre périodique des leaders de la coalition « pour évaluer et faire des critiques positives pour aider le système à se perfectionner ».

Etant ce qu’il est et venant d’où il vient, Bathily demeure, dans le contexte politique actuel, un « contestataire ». Est-ce pour le faire taire ou pour mieux l’entendre que Macky Sall l’a appelé auprès de lui ? Il a vécu les « événements de 1968 », le multipartisme de l’après-1981, l’espérance déçue du gouvernement d’ouverture en 1993, l’espérance trahie de l’alternance de 2000, l’échec électoral de 2007. Il entend, cette fois, que la « correction » historique du 25 mars 2012 ne soit pas ce qu’est devenu le « Sopi » : le rêve inachevé des Sénégalais !

* La LD/MPT explique ainsi cette sortie : « A la suite de divergences profondes dans la gestion des affaires publiques, les ministres de la LD/MPT ont été démis de leurs fonctions en 2005 par Abdoulaye Wade qui ne supportait plus les critiques justes que le parti émettait à l’encontre de sa gestion calamiteuse du pays ». Notons quand même que le chef du gouvernement s’appelait alors… Macky Sall !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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