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Bonne gouvernance politique et économique + pétrole de l’offshore profond à Jubilee. Le Ghana est-il redevenu la « Côte de l’or »… noir ? (4/4)

Publié le lundi 6 août 2012 à 09h06min

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Lors de son accession effective au pouvoir, en janvier 2009, l’équipe du président John Atta-Mills était d’autant plus attentive à une « bonne gouvernance » en matière d’hydrocarbures qu’elle avait pris conscience de l’ampleur de la crise économique mondiale qui allait entraîner une baisse significative des transferts financiers de la diaspora ghanéenne (estimée alors à plus de 1 milliard de dollars par an !).

Le 2 mars 2011, au lendemain de la première expédition de brut ghanéen (4 janvier 2011), le Parlement votera une loi pétrolière, démarquée de la législation norvégienne. 70 % des revenus du pétrole doivent aller aux projets de développement via un fonds spécifique. 21 % des ressources vont à un fonds de stabilisation (en vue d’atténuer l’impact de la volatilité des cours sur les finances publiques) et 9 % à un fonds de patrimoine (réserves pour les générations futures). Par ailleurs, un contrôle du secteur est confié à des auditeurs indépendants ainsi qu’à un comité composé de représentants de la société civile.

Un peu de pétrole, ça va (63.100 barils par jour actuellement loin des 130 à 250.000 barils annoncés voici quelques années). Beaucoup de pétrole, bonjour les dégâts. Or, il apparaît que le Ghana pourrait être, en la matière, un pôle d’excellence. Après Jubilee, Tullow Oil plc vient de mettre au jour, sur le permis Tano (puits d’exploration Waxa-I), toujours en offshore profond, un gisement de condensat et un gisement de pétrole. De quoi susciter l’intérêt des compagnies pétrolières et gazières du monde entier. Et dans cette course à l’approvisionnement, tous les coups sont permis. Même les plus tordus.

L’avocat Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, le candidat de l’opposition à la présidentielle de 2012 au titre du NPP (le parti de John Kufuor dont il a été, de 2003 à 2007, le ministre des Affaires étrangères), a, au printemps 2012, dénoncé dans les médias britanniques la façon de faire des Chinois qui, à coups de prêts faramineux, mettent la main sur les ressources pétrolières du Ghana tout en endettant durablement le pays sans que celui-ci ait les moyens de l’industrialiser. Le taux de croissance (13,5 % en 2011), dopé par les hydrocarbures, fait illusion. Et la bonne santé démocratique du pays est présentée comme un must. On met en avant la chute du taux de pauvreté, la hausse de l’espérance de vie, la division par deux de la mortalité infantile. Des acquis sociaux considérables… pour ceux qui en profitent. Les autres souffrent du chômage, de la pénurie d’eau, de l’absence de transports collectifs dignes de ce nom, des incessants délestages électrique, de l’inégalité entre le Nord et le Sud*.

Mais il y a d’autres maux dont souffre le Ghana du fait de la corruption et d’une administration qui n’assume pas sa tâche. C’est ainsi qu’Agbobloshie Road, dans le quartier Tudu, à Accra, est devenue l’artère du recyclage des déchets électroniques de « l’Occident » et de « l’Orient », enfin du monde « développé » : téléviseurs, ordinateurs, fours à micro-ondes, etc. Et au trafic des déchets sans contrôle sanitaire et environnemental s’ajoutent aussi la maltraitance et le trafic des enfants. Selon Child Rights International, une ONG ghanéenne, moins de 30 % des subventions destinées aux orphelinats vont aux soins des enfants ; une enquête des autorités locales avait établi, en 2009, que 140 des 148 établissements ghanéens n’agissaient pas dans un cadre légal et que 90 % des 4.500 enfants « hébergés » n’étaient pas des orphelins !

Ne boudons pas notre plaisir cependant. Alors que la Côte d’Ivoire s’est évertuée, pendant près de vingt ans (les maux de ce pays remontent bien sûr à Robert Gueï et, surtout, à Laurent Gbagbo qui a allumé l’incendie ; mais les fagots avaient été soigneusement préparés par Henri Konan Bédié), non sans une remarquable obstination, à ne pas sortir d’une crise politique particulièrement mortelle, le Ghana a aujourd’hui – et plus encore demain – l’opportunité de ne plus être ce pis-aller régional qu’il a été par le passé. Un port de commerce, un port pétrolier, des ressources naturelles (certes encore trop peu diversifiées mais significatives) et hydrauliques, une population dense qui ne demande qu’à être mieux formée, une diaspora qui est, sans nul doute, parmi une des plus performantes d’Afrique de l’Ouest, une histoire prestigieuse et une image internationale séduisante… le Ghana ne manque pas d’atouts pour être ce que Kwame Nkrumah rêvait d’en faire et que Félix Houphouët-Boigny redoutait que ce pays devint : le chef de file d’une Afrique unifiée. Nkrumah n’était-il pas considéré comme « le prophète passionné de l’Unité africaine » ?

Nkrumah, en janvier 1960, alors qu’il recevait à Accra le premier ministre britannique, Harold Macmillan, avait dénoncé la volonté des puissances coloniales européennes de « créer en Afrique plusieurs Etats indépendants, si faibles et si instables dans l’organisation de leur économie et de leur administration nationale, qu’ils seront contraints par des pressions internes aussi qu’extérieures de continuer à dépendre des puissances coloniales qui les ont gouvernées pendant des années ». Le leader panafricaniste a sans doute eu le tort d’avoir raison trop tôt et, surtout, d’avoir pensé que le volontarisme politique serait un levier plus puissant que le rationalisme économique. Indépendant depuis 1957, la Gold Coast, devenue le Ghana**, avait pensé devoir « montrer la voie aux autres territoires dépendants ». Ce qui n’avait pas manqué d’effrayer les leaders politiques des pays voisins plus nationalistes que panafricanistes. Et plutôt que de s’ouvrir sur le reste du continent le Ghana avait été contraint à l’enfermement idéologique et diplomatique.

Le Ghana a aujourd’hui les moyens des ambitions de Nkrumah. Sauf que le pays, enserré par la Côte d’Ivoire, son principal concurrent économique régional, le Burkina Faso, un hub diplomatique incontournable, et le Togo, est quelque peu isolé sur la scène ouest-africaine. Ironie de l’Histoire : l’alternance qui caractérise ce pays (d’autant plus rapide que le mandat présidentiel n’est que de quatre ans renouvelable une seule fois) – depuis le début du XXIème siècle et le départ du pouvoir de Jerry Rawlings, le Ghana a connu trois autres présidents : Kufuor, Atta-Mills et Dramani Mahama – ne facilite pas l’ancrage continental et international des chefs d’Etat (on me rétorquera que les Etats-Unis sont dans la même configuration constitutionnelle, sauf que le Ghana n’est pas l’Amérique et que si on connaît Obama, élu en même temps qu’Atta-Mills, qui connaissait ce dernier ?).

Voilà donc le pays qui s’est fait le chantre du panafricanisme bien isolé sur la scène africaine. C’est dire que, pour paraphraser Nkrumah qui s’exprimait alors sur l’indépendance de son pays, le panafricanisme « est une longue marche, car il n’y a pas de route ».

* Selon un rapport de la Banque mondiale, si 2,5 millions de personnes sont sorties de la pauvreté, entre 1992 et 2006, dans le Sud du Ghana, près de 1 million y ont sombré dans le Nord.

** C’est à la demande de Nkrumah et de Joseph Boyake Danquah (un avocat érudit et poète considéré comme le père spirituel de l’indépendance ; dans un de ses poèmes, il a écrit : « J’ai visé la lune. Et j’ai eu les Nations unies. J’ai perdu mon siège. Et trouvé un trône. J’ai continué à chercher. Et j’ai trouvé Ghana. J’ai lancé le nom. Et il a pris ») que la Gold Coast devint, au moment de son indépendance, le Ghana. Selon l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, « ce nom se justifiait, disaient certains, par les légendes concernant l’origine nordique de certaines ethniques de Gold Coast. C’était surtout un symbole de la renaissance politique de l’Afrique Noire. L’histoire recommençait ». Mais ce choix ne sera pas du goût du lobby colonial français qui considérait que « le nom de Ghana donné à la Gold Coast appartient au patrimoine historique de l’Afrique francophone » puisque l’empire du Ghana, un des plus anciens (et des plus riches) empires noirs connus, s’étendait au Nord-Est du fleuve Sénégal et au Nord-Ouest du fleuve Niger. Mais il est plaisant de penser, à tort ou à raison, que ce choix s’inscrivait dans une démarche panafricaine.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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