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Bonne gouvernance politique et économique + pétrole de l’offshore profond à Jubilee : Le Ghana est-il redevenu la « Côte de l’or »… noir ? (1/4)

Publié le mercredi 1er août 2012 à 17h54min

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En 1964, quand les éditions Rencontre, à Lausanne, avaient publié, dans leur collection L’Atlas des Voyages, leur volume sur le Ghana, Jane Rouch avait choisi un « adage ghanéen » en ouverture de son texte : « L’étranger ne voit que ce qu’il sait ». Que savons-nous, en France, du Ghana ? Peu de choses. Et notre curiosité à l’égard de ce pays est excessivement limitée.

Le « panafricanisme » de Kwame Nkrumah bien sûr ; l’or des Ashanti ; la belle gueule de Jerry Rawlings ; le pays d’origine de Kofi Annan, ex-secrétaire général des Nations unies... Terre anglophone dans une Afrique de l’Ouest majoritairement francophone, le Ghana ne fait que rarement la « une » des médias français, y compris panafricains. Résultat, sans doute, d’une image largement positive (il est vrai dans un contexte géopolitique ouest-africain fortement dégradé depuis près de deux décennies). La mort de John Atta-Mills, le président de la République en exercice, et une transition jusqu’à présent sans heurts ne suscitent donc pas un intérêt particulier alors que le chef de l’Etat français, François Hollande, recevait son homologue ivoirien, Alassane D. Ouattara, et que le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, s’était embarqué pour un périple africain, des rives de l’Atlantique à celles du lac Tchad en passant par quelques pays du « corridor sahélo-saharien ».

John Atta-Mills, Akan originaire d’Ekumfi Otuam, dans la « Central Region » (en fait celle qui borde l’Atlantique et dont la « capitale » est Cape Coast), était le fils d’un enseignant. Il était né le 21 juillet 1944 et venait donc d’avoir 68 ans. Docteur en droit de la SOAS de Londres*, il avait rejoint, par la suite, l’université US de Stanford grâce à une bourse Fullbright. Membre de l’Eglise méthodiste (mais fréquentant, disait-on, les pentecôtistes et, notamment, l’église du télévangéliste nigérian T.B. Joshua à Lagos), marié à une éducatrice (Ernestina Naada Mills) et père d’un garçon de 23 ans (John), il avait appartenu à l’équipe nationale de hockey sur gazon. Pendant vingt-cinq ans, il va enseigner à l’université d’Accra (ce qui lui vaudra le surnom de « Professeur », déjà attribué à un de ses modèles, le Tanzanien Julius K. Nyerere, dit le Mwalimu) avant d’être nommé, en 1988, à l’administration fiscale où il va se forger une réputation d’homme intègre en tant que contrôleur général des impôts, puis d’être appelé à la vice-présidence par Jerry Rawlings auprès duquel il va rester jusqu’à ce que celui-ci quitte le pouvoir (d’où une proximité entre les deux hommes qui lui a souvent valu d’être considéré comme la « marionnette » de l’ex-président putschiste). Candidat du parti de Rawlings à la présidentielle en 2000 et 2004, Atta-Mills sera deux fois battu avant de l’emporter en 2008.

Rawlings avait laissé à son successeur, John Kufuor, fin 2000, une situation économique difficile : chute de la croissance annuelle à moins de 1 % ; augmentation du déficit budgétaire entraînant la suspension d’une partie de l’aide internationale ; dégringolade de la monnaie nationale, le cédi ; montée en flèche de l’inflation, etc. La défaite d’Atta-Mills face à Kufuor sera imputée à cet échec sur le terrain économique. Kufuor affirmera, lui, que le Ghana devait être géré comme une « grande entreprise », promettant de lutter pour instaurer la rigueur et bannir la corruption pour laquelle une « tolérance zéro » était affirmée.

Si le Ghana de Kufuor a évité, globalement, le pire, il n’était pas parvenu, pour autant, à sortir les Ghanéens de l’ornière (« La croissance [passée de 4,5 % à 6 % sous Kufuor] ne se mange pas », dit-on à Accra). Et, en 2008, la situation n’était pas beaucoup plus brillante que dix ans auparavant. Déficits, dette extérieure, inflation étaient les trois fléaux du Ghana. Atta-Mills, accédant au pouvoir, entreprendra de « serrer les boulons » dans l’administration (40 % du carburant consommé dans le pays l’aurait été par les ministères et les démembrements de l’Etat). Mais le secteur informel demeurant le premier pourvoyeur d’emplois urbains, l’exode rural, le chômage, le sous-emploi, l’insécurité… auront suscité l’émergence d’un lumpenproletariat qui, socialement, pèse d’autant plus lourd qu’il n’a rien à perdre.

Deuxième producteur mondial de cacao – mais loin derrière le numéro un : la Côte d’Ivoire, et talonné par le numéro trois : l’Indonésie – le Ghana d’Atta-Mills entendait s’imposer en quelques années comme le leader du marché (le pays l’ayant été dans les années 1960 et 1970). Accra, à la différence de la Côte d’Ivoire (où les planteurs ont cessé de s’intéresser à cette production pour se reconvertir dans l’hévéa), a gardé la main sur la filière. Une entreprise étatique, la Ghana Cocoa Board (Cocobod), gère les exportations et fixe les prix aux producteurs d’où une meilleure motivation des planteurs ; et la transformation locale du cacao est favorisée : le numéro un mondial du chocolat, le groupe suisse Barry Callebaut, est implanté localement et a entrepris, ces dernières années, de doubler sa production au Ghana pour être moins dépendant de la Côte d’Ivoire, tout comme les deux géants US de la transformation agricole multi-produits : Cargill (numéro deux mondial du chocolat) – qui exploite au Ghana une usine d’une capacité de 65.000 tonnes qui peut être doublée à terme - et Archer Daniels Midland. Le Ghana a un objectif de 1,3 million de tonnes en 2013-2014 (le niveau de production attendu cette année en Côte d’Ivoire contre 1,75 million de tonnes en 2010-2011) contre 960.000 tonnes prévues en 2011-2012 (dans l’attente des résultats effectifs de la « petite récolte », la production ne dépasserait pas 850.000 tonnes du fait de la sécheresse qui a frappé l’Afrique de l’Ouest) et plus de 900.000 tonnes réalisées en 2010-2011 (grâce à des conditions climatiques exceptionnelles). Cette perspective passe par la poursuite du National Cocoa Rehabilitation Program qui vise à lutter contre la maladie des plantations (notamment le CSSVD) et le vieillissement des plantations et des planteurs (23 % des cacaoyers ont plus de trente ans tandis que la moyenne d’âge des planteurs est de 55 ans !). Notons enfin que du cacao « bio » est produit au Ghana notamment pour la firme suisse Max Felchin AG, chocolatier qui approvisionne confiseries et restaurants.

Le Ghana est aussi le deuxième producteur africain d’or (derrière l’Afrique du Sud) et figure dans le Top 10 mondial. Mais selon un rapport de la Cnuced, l’Etat ne percevrait que 5 % des recettes générées par une exploitation qui représentait, avant le boom pétrolier, 60 à 70 % de l’IDE (investissement direct étranger) au Ghana. La Gold Coast ne mérite plus son nom, même si une des toutes premières compagnies aurifères du monde, Anglogold Ashanti Ltd (qui assure plus de 40 % de la production d’or du Ghana), fait référence à l’ancien royaume. Mais cette entreprise, qui résulte de la fusion, en 2004, de l’entreprise ghanéenne Ashanti Goldfields et de la multinationale sud-africaine Anglogold (préférée à la société britannique Randgold), à l’instar de la dizaine d’autres compagnies étrangères intervenant dans le secteur (Goldfieds Ghana Ltd, Newmont…) expédierait la majeure partie de ses gains sur des comptes offshore.

Mais ni le cacao ni l’or ni une croissance annuelle qui oscillait entre 5,5 et 6,5 % par an sous Kufuor ne sont parvenus à sortir la population ghanéenne de la pauvreté et de faire du pays cette locomotive économique régionale que la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo avait cessé d’être. Anglophone dans un univers francophone (le pays est frontalier de la Côte d’Ivoire, du Burkina Faso et du Togo), ayant une monnaie non convertible alors que l’UEMOA et la zone franc dictent leurs lois financières en Afrique de l’Ouest, le Ghana a souffert de son isolement économique et diplomatique.

* School of Oriental and African Studies (SOAS) est un collège de l’université de Londres et le seul établissement britannique d’enseignement supérieur spécialisé dans les études sur l’Asie, l’Afrique, le Proche et le Moyen-Orient.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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