LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Macky Sall veut verrouiller sa majorité présidentielle en confiant la présidence de l’Assemblée nationale sénégalaise à Moustapha Niasse (3/3)

Publié le jeudi 19 juillet 2012 à 12h49min

PARTAGER :                          

Moustapha Niasse est le candidat de Macky Sall pour la présidence de l’Assemblée nationale. Et Macky Sall le dit haut et fort, y compris à ceux de ses « amis » politiques qui pensaient qu’elle devait revenir à leur camp ; pour ne pas dire à leur clan. Il ne faut pas s’étonner de cette détermination du chef de l’Etat. Même si, dans son entourage, on s’insurge parfois contre la promotion d’un homme qui a été formaté politiquement par Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf, deux présidents « socialistes ».

Même si Niasse est plus qu’aucun autre un « électron libre ». Il n’est pas un homme politique sénégalais (parmi les « actifs ») qui ait le CV et le prestige de Niasse. L’ériger en président de l’Assemblée nationale (ce qui en ferait le deuxième personnage de l’Etat) c’est pour Sall non seulement reconnaître l’importance de la fonction (dévaluée ces dernières années du fait des « tripatouillages » auquel s’est adonné Abdoulaye Wade), réaffirmer l’ancrage démocratique du Sénégal (une image bien écornée) et régler ses comptes avec une institution qui a voulu l’humilier. On se souvient que le 13 octobre 2008, le Parlement avait voté une loi « wadiste » réduisant de cinq à un an la durée de la présidence de l’Assemblée nationale justement occupée par Sall. Et le dimanche 9 novembre 2008, par 111 voix contre 22, l’Assemblée nationale – alors dominée par les députés PDS, les anciens « amis » politiques de Sall - avait adopté une résolution « mettant fin » à ses fonctions. C’était là, dira Sall, « une procédure antidémocratique qui n’honore pas le Sénégal ».

Sall est un homme neuf sur la scène politique sénégalaise. Et dont la promotion au gouvernement, voici onze ans seulement, résultait de sa proximité avec Wade bien plus que de son combat politique personnel. S’il a su rebondir – et de quelle remarquable façon – c’est qu’il ne manque pas de qualités dont la principale est sans doute de n’avoir pas d’illusion sur les amitiés politiques et de juger les hommes bien plus sur leurs qualités intrinsèques que sur leur « griotisme ». En faisant de Niasse le deuxième personnage de l’Etat, non seulement il dégage en touche beaucoup d’opportunistes mais il confie la présidence de l’Assemblée nationale à un homme politique d’envergure qui sait faire et défaire les alliances. Y compris en remettant les pendules à l’heure quand il le faut. Sall sait qu’il a été porté au pouvoir par une nébuleuse dont le principal mot d’ordre était de « sortir le sortant ». Il sait aussi qu’au sein de son propre parti, l’Alliance pour la République (APR), beaucoup estiment que n’ayant pas pu « manger » dès lors que Sall s’était positionné comme opposant à Wade (et, plus encore, à Karim, le fils du président), ils sont animés aujourd’hui d’un appétit démesuré.

Dans cette pré-bataille pour le perchoir de l’Assemblée nationale, Sall affirme clairement sa position : c’est lui le président de la République et, du même coup, il cesse de n’être que le patron de l’APR, son parti. L’intérêt de l’Etat se situe donc au-dessus de l’intérêt partisan. Et ceux qui ne veulent pas le comprendre risquent fort de subir le sort de Moustapha Cissé Lô. Celui qui a la réputation d’être un « tonton flingueur » (on l’appelle « El Pistolero »), ancien cadre du PDS, membre fondateur de l’APR, vient d’être limogé de ses fonctions de ministre-conseiller à la présidence de la République pour cause d’insubordination caractérisée.

Cissé Lô est candidat à la présidence de l’Assemblée nationale. Contre Niasse. Et contre le choix de Sall, président de la République et son « patron » politique. Arguant de sa position de leader du parti qui, au sein de la coalition BBY, a gagné les législatives, Cissé Lô revendique pour son camp et, plus encore, pour lui, le perchoir. « Je suis convaincu que la direction du parti est avec moi, que les députés de notre liste et même certains parlementaires des autres listes représentés à l’hémicycle vont voter pour moi si je me présente contre Moustapha Niasse ».

Une « sortie » - une parmi d’autres, Cissé Lô a entrepris de « flinguer » Niasse – qui justifie le choix de Sall : il faut un homme de l’envergure de Niasse pour ramener au pas les hommes comme Cissé Lô qui n’ont pas compris que « l’unité » devait, cette fois, l’emporter. Mbaye Dione, membre du BP de l’AFP, la parti de Niasse, vient de le rappeler aux cadres de l’APR (qui, dans un premier temps, avaient pris l’initiative de combattre la candidature de Niasse) : « Macky Sall a pris une mesure courageuse de siffler la fin de la récréation. Quand un citoyen se lève pour dire que c’est lui qui a élu Macky Sall et qu’il doit être président de l’Assemblée nationale pour prendre sa revanche, moi je dis que nous ne sommes pas dans une dynamique de revanche. Les Sénégalais ont fait confiance à un régime, et après douze ans, ils l’ont sanctionné, il appartient au nouveau régime d’apporter les ruptures nécessaires. Si le président Macky Sall a choisi le président Moustapha Niasse pour qu’il dirige la liste majoritaire de « Benno bokk yakaar » aux législatives, il l’a fait en tenant compte de plusieurs paramètres. C’est compte tenu de son vécu, de son aura, de son engagement à servir le Sénégal, mais également des résultats qu’il a engrangés, lors du premier tour de la présidentielle ». A bon entendeur salut. Dans l’entretien qu’il a accordé à Barka Isma Ba (Le Populaire - Lundi 16 juillet 2012), Mbaye Dione rappelle aussi que Sall n’a obtenu que 26 % des voix au premier tour de la présidentielle, que la coalition BBY a « pris l’engagement d’œuvrer pour des ruptures dans la gestion de la chose publique », que le Sénégal doit être « dirigé par une gouvernance plurielle » et que la « cacophonie » qui règne au sein de l’APR est « regrettable ».

Bien sûr, Sall attend de Niasse une reconnaissance à la hauteur du « cadeau » qui lui est fait. Il n’oublie pas que son prédécesseur, Wade, dans une circonstance qui n’est pas sans similitudes, avait fait de Niasse son premier ministre en 2000. Pour moins d’un an. Et que le clash entre les deux hommes avait été l’expression de l’incapacité du Sénégal de gouverner dans l’unité.

Douze ans plus tard, dans un contexte politique, diplomatique, économique et social excessivement délicat, le Sénégal a plus que jamais besoin d’unité. « Pour l’instant, notre objectif est de faire face aux urgences, de travailler au bien-être de notre peuple. Nous estimons qu’il est urgent de faire face à tous ces problèmes que rencontre le Sénégal : la crise économique, le chômage d’une manière générale, le chômage des jeunes, etc. L’homme avec qui je travaille tous les jours est un homme ouvert et sincère. Nous avons les mêmes convictions sur la nécessité de sortir notre pays de ses difficultés actuelles ». L’homme politique qui s’exprime ainsi s’appelle… Wade. C’était au cours de l’été 1991 ; il y a vingt-deux ans. Wade venait alors d’accepter d’être ministre d’Etat sans portefeuille dans le gouvernement d’Habib Thiam (8 avril 1991) à l’invitation du président de la République, Abdou Diouf. La lune de miel entre les deux hommes durera peu de temps, mais elle fera date dans l’histoire du Sénégal et de sa démocratie. Wade expliquait alors que la cohabitation était une nécessité pour éviter d’aller à une conférence nationale (que le PDS avait pourtant souhaitée), doutant que « les regroupements des partis d’opposition puissent constituer une alternance » (à cette époque le PDS avait rejoint la Conférence nationale des partis d’opposition, la Conapo, avant de comprendre que celle-ci, compte tenu des tensions internes, « n’était pas une alternative »).

A cette époque, Sall n’était pas encore entré en politique. Mais Niasse a vécu ces années-là. C’était un temps où Youssou N’Dour chantait Douma Combine Béré (« Je ne fais pas de combine. En lutte ! »). C’est dire que Niasse est plus que jamais, dès lors que Wade est sur la touche, le fil rouge de l’histoire politique du Sénégal et que terminer sa carrière comme président de l’Assemblée nationale ne sera pas pour lui la pire des choses.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique