LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

LA PÊCHE À BAGRÉ ET KOMPIENGA : Un secteur porteur plombé par des dissensions

Publié le lundi 16 juillet 2012 à 00h33min

PARTAGER :                          

Les lacs de la Kompienga et de Bagré sont les deux plus grands points d’eau pourvoyeurs de poissons pour la consommation des populations. Ces deux plans d’eau attirent de pêcheurs professionnels allogènes notamment Maliens et Nigériens… et locaux dont les terres ont été englouties par les eaux. La plupart de ces populations tirent leurs revenus des produits de la pêche, mais depuis peu, la filière a maille à partir avec ses acteurs.

En cette période d’harmattan, caractérisé par un mauvais temps avec sa brume maladive, nous voici sur le sable fin de Juafuali (l’autre nom de Pama) où nagent des carpes et autres espèces de poissons qui sont destinés à garnir les plats de certains Burkinabè. Le barrage de la Kompienga, à vocation hydroélectrique est très poissonneux et cela lui confère un statut particulier mais, son mauvais taux de remplissage (28%), constitue une première depuis plus de 10 ans. « Bon an mal an, on a au moins un millier de tonnes de poissons contrairement aux années antérieures où on pouvait avoir plus 2 500 tonnes », estime le chef de l’Unité technique du périmètre halieutique d’intérêt économique de Kompienga, Yacouba Ouédraogo.

Le lac de Tagou, la première visitée, a perdu l’essentiel de ses eaux bien que nous ne soyons qu’en fin février. La route menant à l’île est bordée d’une flore alarmante, des arbres defeuillés, un sol dénudé. Les chambres d’hôtels construites sur les rochers, selon le gérant, au temps de la bonne saison, sont envahies et même les pontons des hangars submergés, mais cette année, c’est le désarroi. Onze campements juchent autour du lac avec près de 700 pêcheurs allochtones et allogènes.

A un jet de pierre de là se trouve un campement de pêcheurs dénommé Nongtaba dont Hamado Nikièma est le responsable. Il s’y est installé depuis 1988 et son activité est rentable avec une prise quotidienne d’au moins 15 kg de poissons. Le kg de poisson varie entre 750 FCFA à 1500 FCFA en fonction du type de poisson et aussi de la période et de l’acheteur. Les acheteurs sont de deux types. Il y a les mareyeurs immatriculés que l’administration et les services techniques reconnaissent et qui achètent dans les débarcadères et aussi ceux qui négocient directement avec les pêcheurs, soit au bord de l’eau, soit dans un « angle perdu ».

C’est cette dernière catégorie qui renchérit les prix selon Yacouba Ouédraogo. L’activité piscicole rapporte un peu d’argent aux différentes communes. Celle de Pama en a pour plus de 2,5 millions FCFA sur un budget communal de plus de 79 millions. La commune de la Kompienga n’en reçoit qu’autour de 500 mille FCFA par an ; ce qui représentent 3% de son budget. Ces différentes sommes sont la résultante de la taxe de l’enlèvement du poisson qui est de 75 FCFA le kg. Le maire de Kompienga, Parimani Sabdano, un agro-pasteur, reconnait la difficulté de perception de ces taxes du fait de l’incivisme des acteurs.

« Dans l’économie de la commune, l’apport de la pêche est très marginal. Les ressources de notre commune reposent en grande partie sur les impôts, le secteur informel, les produits agricoles. Sur le poisson, il n’y a qu’une seule taxe perçue mais nous avons des difficultés à cause de la fraude et la spéculation », souligne le maire de Kompienga. Pour son collègue de Pama, en plus de la taxe d’enlèvement, une autre est instituée pour renflouer les caisses de la municipalité. « Cette nouvelle stratégie consiste à regrouper les mareyeurs qui ont des débits de boissons et à leur demander de payer une taxe de 75 FCFA pour 100 kg de poissons, car ils ont au moins 140 kg par semaine et nous estimons à 300 000 FCFA par mois et 2 millions 700 mille par an leur gains pour une saison de pêche qui dure 9 mois », indique le maire de Pama, Aime Maxime Onadja.

Le barrage de Bagré qui a aussi une vocation hydroélectrique regorge d’un potentiel aquatique. Les pêcheurs qui sont sur ce cours d’eau sont essentiellement des populations dont les terres ont été immergées par les eaux. Dans cette commune, la mairie esseulée a l’entrée de Bagré et entourée de buissons n’arrive pas à percevoir un sous de cette activité. « Nous ne sommes pas encore organisé donc pas de taxes sur le poisson et nous sommes sur la phase de sensibilisation », explique le maire Sambo Daboné. Selon lui, cette perception nécessite une concertation avec les communes sœurs riveraines que sont Boussouma et Béguédo. Cela fait bientôt trois ans que cette situation traine car dès que la taxe est évoquée à Bagré, les acteurs se replient vers Boussouma ou dans d’autres communes, surtout les mareyeurs.

L’hôtel de ville de la localité baigne dans l’obscurité alors qu’elle est pourvoyeuse d’électricité. Quand aux locaux de l’Unité de gestion de la pêche à Bagré, c’est un bâtiment inhabité, sans toilettes, ni mur. Juste un bateau posé devant la porte d’entrée.

La pêche, une alternative contre le chômage

A Bagré, il y a aussi le périmètre d’élevage de poissons, un projet réalisé avec la coopération taïwanaise et rétrocédé à l’Etat en décembre 2009 qui peine à atteindre ses objectifs par la faute de certaines lenteurs administratives. Selon Idrissa Barry, coordonnateur de la station de pisciculture de Bagré, le périmètre a initialement prévu une production annuelle de 120 tonnes de poisson mais se retrouve avec 90 tonnes. La chaine de production de poissons commence au stade larvaire et prend à peu près 12 mois quand le poisson prêt pour la consommation. A maturité, le poisson pèse au minimum 300 g et l’on rencontre essentiellement des tilapias et des carpes. L’élevage des silures est en essai. Pour une question de gain, ce périmètre n’élève que des mâles qui sont de plus grande taille que les femelles.

L’élevage du poisson à Bagré a été instauré dans le cadre de la lutte contre la pauvreté car générateur d’emplois pour les populations. Mais les mesures d’accompagnement, notamment les infrastructures n’ont pas suivi. La rive droite du barrage, qui alimente la plaine rizicole de Bagré s’étend sur plus de 16 km, pouvait également servir de lieu d’élevage de poissons. Mais, elle est restée inexploitée. La filière poisson, c’est aussi des permis de pêches qui renflouent les caisses de l’Etat. « Les recettes générées par la vente des titres d’exploitation et les permis de pêche tournent autour de 10 millions FCFA par an pour la région de l’Est dont 50% pour la Kompienga », note le chef de la section promotion et exploitation des ressources halieutiques de la région de l’Est, Sié Jean de Dieu Da. Et Idrissa Barry, coordonnateur de la station piscicole de Bagré de poursuivre : « Cette année, sur environ 52 tonnes de poissons marchands, plus de 48 millions FCFA ont été recouvrés pour le Trésor public »
Tout un monde gravite autour du secteur : des pêcheurs, des transformateurs, des mareyeurs, etc.

Au carrefour de Kompienbiga, des femmes et jeunes filles des assiettes à la main, proposent du poisson de toutes natures. La frite se fait sous le soleil. C’est une rentabilité journalière conséquente qui permet à ces actrices de pourvoir à leurs besoins essentiels. C’est le cas de Dame Habib Kiemtoré, vendeuse de poissons. « J’achète le kg de poissons au débarcadère à 500 ou 600 FCFA pour le revendre à 750 FCFA et je gagne près de 1000 FCFA » estime fièrement cette dame. Sa collègue Salamata Guigma, elle, fait entre 1000 à 1500 FCFA de bénéfice et arrive de ce fait à aider son mari dans la gestion des frais de santé et de scolarité des enfants. Les femmes proposent aussi du poisson fumé. Leurs clients sont à Ougadougou. Alizèta Kaboré achète le kg de poisson frais à 600 FCFA qu’elle fume et le revend à 2250 FCFA. « J’ai un bénéfice net de plus 4 000 FCFA jour. Mais, nous avons besoin d’aide comme des microcrédits pour renforcer ce commerce », laisse-t-elle entendre.

Un gain satisfaisant que sa collègue Mme Ouédraogo/Diabo Alima et présidente de l’Association des transformatrices de Bagré note avec modestie : « depuis près de 15 ans, je transforme le poisson que j’achète à 1000 F le kg alors qu’avant nous l’achetions à 750 alors que le kg fumé coûte 1500 F ». Une dame qui a eu la malchance de tomber beaucoup de fois sur des coupeurs de route. Et à chaque fois, elle est dépouillée de tous ses biens financiers et logistiques, les coups de machette de ces individus l’ont rendu presque invalide mais elle persévère. Un exemple de courage. Le poisson frais n’est pas destiné à la consommation locale. Le villageois moyen ne consomme pas ce poisson du fait de sa cherté.

C’est du moins ce qu’explique Abass Ouédraogo de Kompienbiga « Nos sauces sont faites de poissons mais c’est souvent difficile, c’est vraiment le poisson secs que nous avons le plus ici. » Et qu’en est il du coté des pêcheurs et mareyeurs ? Une mine d’or, lance un pêcheur, dans sa barque prêt pour la capture du poisson. Onadja Ali est aussi un autre pêcheur sur le lac de la Kompienga et voila plus de 15 ans qu’il exerce cette activité à plein temps. Même pendant la période des « vaches maigres », sa prise moyenne est de 5 kg par jour qu’il écoule au débarcadère à raison de 750 FCFA le kg. C’est avec un air de héros qu’il souligne qu’il a déjà pris un capitaine de 80 kg en 1997 et en 2001.

Les raisons d’un poisson cher

De la pêche la consommation, il y a les mareyeurs qui ravitaillent la clientèle des grandes villes, notamment Ouagadougou. Ceux là font de gros profits car le kg acheté à 750 F est revendu à 1300 pour les carpes, le capitaine à 2000 FCFA. Ces prix augmentent au fil des ans. « Ce sont de gros poissons mais chers, ce que nous achetons à 500, nous l’achetions à 200 FCFA rien que l’an passé », explique Mme Lompo, une cliente au carrefour de Kompienbiga. Quelles peuvent en être les raisons ? Le permis de pêche coûte annuellement 10.000 FCFA, tandis que le ticket d’achat vaut 3 000 FCFA. Une taxe de 75 F est prélevée sur chaque kg de poisson. « Outre ces taxes qui sont perçues, il y a des difficultés sur la route avec la police car souvent, même si tes papiers sont en règle, il faut glisser 1 000 F à l’agent.

Et si tu n’as pas tous tes papiers, c’est un autre prix. Tout cela rend le poisson cher pour les consommateurs », estime Diabaguia Djiadi, mareyeur à Kompienga. Son collègue de Bagré Kouka Sorgho pour sa part, explique que cette année, il n’y a pas assez de poissons à cause de la mauvaise pluviométrie, du vent et de la fraîcheur inhabituelle. Des raisons valables alors que le prix est fixé par une commission mixte comprenant l’administration et les acteurs ? « C’est la fraude qui est à la base de tout cela » répond le chef de l’Unité technique du périmètre halieutique d’intérêt économique de Kompienga, Yacouba Ouédraogo. Ne voulant pas payer la taxe d’enlèvement, des mareyeurs délaissent les débarcadères et vont directement acheter avec les pêcheurs au bord des berges.

Lamoussa Kéré, président de l’Union des pêcheurs de Bagré estime que le problème vient des mareyeurs. « Comme certains pêcheurs n’ont pas leurs propres barques et matériels, ce sont les commerçants qui leur en donnent. Par conséquent, ils sont obligés de vendre directement à ces mareyeurs. Il y a aussi le manque de poisson à certaines périodes de l’année », souligne-t-il. C’est donc des coûts qui peuvent être maitrisés si la vente suivait toute les règles.
Kompienga et Bagré sont exploités depuis des années. La ressource a donc besoin d’être boostée. « La loi dit que toutes les retenues d’eau qui présentent un intérêt halieutique certain et dont les ressources présentent une surexploitation peuvent être érigées en périmètres d’intérêt économique », dit Armand Rock Nombré.

Les deux barrages ont des ressources naturelles et par conséquent ont besoin d’une protection car dans la vie d’un lac, selon M. Yacouba Ouédraogo, il y a plusieurs phases et ca fait 23 ans que le plan d’eau de la Kompienga est exploité. Pour lui, il est difficile d’avoir une production constante : « La ressource va baisser, il s’agit donc de la sauvegarder de telle sorte à avoir une production rentable pour les acteurs et biologiquement supportable pour le plan d’eau ». Le battage de l’eau, l’utilisation de matériels à petites mailles sont des méthodes proscrites. Le contrôle de routine selon M. Yacouba Ouédraogo n’arrive pas à dissuader les pêcheurs. Ce n’est qu’en 2009 que le comité de gestion du lac composé de l’administration, des pêcheurs et des mareyeurs a décidé de commun accord de la fermeture temporaire du lac un jour par semaine. Le bilan étant insatisfaisant, il a été décidé de passer à 45 jours de fermeture en 2010. A la réouverture, il y avait de gros poissons. Cette mesure qui est progressive a atteint 3 mois en 2011.

Une décision qui a fait fondre les économies de certains acteurs selon Hamado Nikiéma du campement Nongtaba de Tagou. C’est cette fermeture de 3 mois qui a fait naitre la fronde des pêcheurs de juillet 2011. Pour Noël Zongo, il y a eu manque de communication et la raison avancée n’était pas évidente, puisque selon lui, en « En 2010, la pêche a été fermée pour 45 jours et à l’ouverture nous n’avons pas vu de résultat ». Pour Hamado Nana, pendant la fermeture de 3 mois de la pêche en 2011, ils sont restés oisifs alors que le poisson se déversait au Togo ou au Benin, l’activité continuant là-bas. Les gros poissons annoncés la reprise n’étaient pas non plus au rendez-vous. Chose que réfute le maire de Kompienga, Parimani Sabdano. « La mesure est à saluer car le poisson n’est pas déversé. Il y a un grillage qui sert de barrière entre la conduite d’eau et le plan d’eau ».

Suite à la fronde des pêcheurs de la Kompienga, il y eut des arrestations, suspensions et exclusions. Certains pêcheurs suspendus ou exclus se sont transformés en mineurs ou en maraichers. « J’ai été en prison pendant 35 jours et après j’ai été suspendu pour 5 ans ; pour le moment, je fais du jardinage et je continue d’espérer une issue favorable », raconte Ali Onadja. Noël Zongo a fait lui aussi la prison pendant 50 jours, mais a pu reprendre son activité. Les exclus sont eux, déjà parti sous d’autres cieux. Les vendeuses de poissons, elles, se sont reconverties dans la vente de tubercules. Si cette mesure est jugée salvatrice par les techniciens, elle est en revanche « inopportune » pour les pêcheurs et autres acteurs.

A Bagré, ce n’est qu’en 2011 que la mesure de fermeture a pris effet pour d’abord 45 jours et pour l’année 2012, elle ira jusqu’à 60 jours à compter du 1er juillet. Les pêcheurs de Bagré n’ont pas frondé, reconnait M. Armand Rock Nombré mais, il y’eut une incompréhension qui n’a pas entrainé d’exclusion ni de suspension. Pour la Kompienga, la fermeture prendra effet pour compter du 1er juillet au 30 septembre 2012 pour 3 mois et un bilan sera fait au bout de 5 ans d’exercice. Le Burkina a beaucoup de points d’eau qui présentent un intérêt pour la pêche, mais ce secteur est tertiaire. Il faut restaurer ce potentiel halieutique en renforçant la pisciculture, en aidant l’initiative privée en vue de faire de l’élevage du poisson une activité primaire comme l’agriculture. Gageons que de nouveaux programmes soient conçus en faveur de ce secteur pour satisfaire la consommation nationale et éventuellement l’exportation car comme l’a si bien dit Antoine de Saint-Exupéry, « Pour l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ».

Wendyam Valentin COMPAORE

Sidwaya

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina : Une économie en hausse en février 2024 (Rapport)