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A l’exemple de ce qui se passe à Dakar, les « coalitions présidentielles » sonnent-elles la fin des partis politiques ?

Publié le mardi 10 juillet 2012 à 11h24min

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Après douze années passées au pouvoir, que reste-t-il du PDS ? Rien d’autre que douze députés pour la douzième législature : 9 au titre du scrutin proportionnel (liste nationale) et 3 au titre du scrutin majoritaire (liste départementale). Ce n’est pas grand-chose. Et en l’espace de quelques années seulement deux partis emblématiques auront ainsi sombré en Afrique de l’Ouest : le PDS au Sénégal ; le FPI en Côte d’Ivoire. Deux partis qui, cependant, appartiennent à l’histoire politique de leur pays mais aussi à l’histoire de la démocratie africaine. On sait ce qu’il est advenu de Laurent Gbagbo, le fondateur du FPI.

Abdoulaye Wade, le fondateur du PDS, a su, quant à lui, après avoir tenté d’aller trop loin, ne pas s’aventurer au-delà de la limite où son ticket ne serait plus valable. Largement battu par la voie des urnes, il a su reconnaître sa défaite et, plus encore, la victoire de son adversaire. Afin de « ne pas injurier l’avenir ». La défaite de Wade a ceci d’exceptionnel qu’elle n’est pas la victoire d’une « opposition » mais le fait d’une coalition au sein de laquelle se trouvent, pour l’essentiel, des hommes qui, à des degrés divers, ont surfé sur les victoires électorales de Wade et du PDS. On pourrait s’en étonner. Ce serait oublier que Wade a su, lui aussi, en son temps, surfer sur les rapports de force qu’il avait institué avec le PS, participant ainsi à plusieurs gouvernements au temps d’Abdou Diouf.

C’est, sans doute, plus que le « libéralisme » de Wade, son anti-marxisme qui a formaté durablement sa vision du rôle du parti dans la société africaine. C’est aussi, sans doute, le résultat de sa proximité intellectuelle avec Léopold Sédar Senghor et sa détestation de Diouf. Alors que dans les premières années de l’indépendance, il y avait, au Sénégal, un foisonnement de partis, dont beaucoup se référaient au socialisme et au marxisme-léninisme, Senghor va imposer l’idée d’un parti non pas unique mais « unifié », un parti non pas « imposé d’en haut, fût-ce par la loi », mais « organisé d’un commun accord, après de libres discussions » et qui « rassemble tous les Sénégalais de bonne volonté, c’est-à-dire la quasi-totalité des citoyens ». Quand, en 1974, Wade, n’étant pas parvenu à s’impliquer comme il le souhaitait au sein de l’UPS (qui deviendra le PS en 1976), négociera avec Senghor la création d’un parti, le PDS, il le définira comme un « parti de contribution » dont la finalité était d’apporter son aide au gouvernement sénégalais en matière de développement économique et social.

Senghor, président pragmatique, verra très vite tout l’intérêt qu’il y a, au plan intérieur comme au plan diplomatique, à avoir à ses côtés un « parti d’opposition » qui n’ambitionne pas d’être autre chose qu’un « parti de contribution ». 1968 avait été, politiquement et socialement, une année difficile (d’où résultera la création d’un poste de premier ministre) ; l’annonce de la création d’un parti allait servir d’exutoire et l’Assemblée nationale formalisera, le 9 juillet 1975, le principe d’une ouverture démocratique avec la création du « tripartisme », chacun des trois partis « agréés » devant s’inscrire dans un courant de pensée (« libéral et démocratique ; socialiste et démocratique ; marxiste-léniniste ou communiste »). C’est ainsi que le PDS aura l’étiquette de parti « libéral et démocratique », le PS étant tout naturellement « socialiste et démocratique ». Le « tripartisme » ne résistera pas au changement à la tête de l’Etat suite à la démission de Senghor.

Le multipartisme intégral va être institué le 6 mai 1981 sous la présidence de Diouf. Très rapidement, le Sénégal va être confronté à une profusion de partis ; et pour permettre la formation d’une majorité parlementaire à l’issue des législatives, la loi électorale va instituer un scrutin majoritaire à un tour et un scrutin proportionnel sur une liste nationale. Commentant cette période, François Zuccarelli, qui a été conseiller technique du ministre de l’Intérieur du Sénégal de 1963 à 1982, a écrit dans « La Vie politique sénégalaise (1940-1988) » (éditeur Le Centre des hautes études sur l’Afrique et l’Asie moderne – Paris, 1988) : « Entre les conservateurs, les travaillistes, les socialistes démocratiques ou autogestionnaires, les néo-anarchistes, les mouvements se réclamant de la Troisième internationale, du Trotskysme, le citoyen sénégalais, perplexe, va consulter son marabout au moment du choix électoral. Et son marabout, soucieux que règne l’ordre, lui suggère de voter pour Abdou Diouf ».

Trente ans plus tard, la rationalité du choix politique des électeurs sénégalais n’est pas plus avérée. Les partis, pour l’essentiel, ont été éradiqués ; autrement dit, on ne vote pas pour un programme mais pour un « leader ». Et le leader qui s’impose est celui qui laisse penser qu’il sera le plus prompt à pratiquer « l’ouverture ». Senghor voulait un parti « unifié », Wade un « parti de contribution ». C’est dire qu’en dehors du pouvoir il n’y aurait point de salut pour les « politiques ». Il est quand même remarquable que l’accession au pouvoir de Macky Sall résulte bien plus de la défaite de Wade que de la victoire de celui qui avait accédé aux responsabilités politiques dans le cadre de son régime. Ce n’est pas l’opposition qui triomphe, c’est le règlement de compte (aussi justifié qu’il puisse être socialement). Peut-on, dans ces conditions, gouverner ? Peut-on changer la donne politique et sociale ou bien n’est-ce, seulement, qu’un changement de « tête d’affiche » ?

« Bennoo bokk yakaar » (BBY) est, aujourd’hui, la coalition au pouvoir au Sénégal. Une nébuleuse de groupuscules, un conglomérat de « leaders », le plus grand dénominateur commun de beaucoup de frustrés et d’aigris des « années Wade ». Difficile d’y voir une organisation politique animée par une réelle ambition et une ferme volonté de changement. Après les indépendances, trop souvent, l’appareil du parti (souvent unique) se confondait avec l’appareil de l’Etat. Wade écrira à ce sujet que « du coup, l’appareil politique comme l’appareil d’Etat étaient entre les mains de gens qui n’étaient pas jugés sur leurs capacités de gestionnaires ou d’administrateurs mais simplement en fonction de leur engagement militant » (« Une vie pour l’Afrique » - éditeur Michel Lafon – Paris, 2008). Dans sa forme la plus caricaturale, cela a donné le « parti-Etat ». Le multipartisme, présenté comme l’expression de la démocratie (et Laurent Gbagbo est l’archétype de cette démarche), n’a été qu’une étape. Il n’a pas fallu longtemps pour que le goût du pouvoir (à n’importe quel prix) l’emporte sur la nécessité du combat politique. Aujourd’hui, c’est le règne, un peu partout, des nébuleuses. On y ratisse large et les ennemis d’hier deviennent les alliés d’aujourd’hui autour de têtes d’affiche dont on camoufle l’histoire quand on n’entreprend pas de la réécrire (en Côte d’Ivoire, le RDR + le PDCI ont donné naissance à la nébuleuse du RHDP, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et pour la paix).

Ne voit-on pas Wade, aujourd’hui, évoquer le « rassemblement » des « démocrates et des libéraux » et tendre la main à Macky Sall, Idrissa Seck et aux autres, rappelant qu’ils sont tous issus du même moule : le PDS. L’alternance ne serait donc rien d’autre qu’un changement de « têtes d’affiche » ; pas de programme. Dommage ! Mais on se souvient que Laurent Dona Fologo, lorsqu’il présidait aux destinées du PDCI, en Côte d’Ivoire, avait proclamé, après que le régime d’Henri Konan Bédié ait été humilié par un minable coup d’Etat : « Nous devons sauver notre parti qui n’a pas la culture de l’opposition. Nous devons demeurer dans le sillage du pouvoir pour mieux nous repositionner en vue des échéances ultérieures ».

Tant que les opposants aux régimes en place seront dans cette démarche d’accession au pouvoir au prix de n’importe quelle compromission, il est peu probable que ces régimes puissent non seulement être battus mais, plus encore, être en mesure d’évoluer dans le sens de l’intérêt collectif. Ce n’est pas qu’un problème africain ; c’est le problème de toutes les démocraties où des leaders militent en faveur du « vote utile », celui qui permet d’accéder au pouvoir !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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