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L’Ivoirien Amara Essy, missi dominici d’Alassane D. Ouattara à Alger (2/2)

Publié le lundi 9 juillet 2012 à 08h49min

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A Lusaka, au cours de l’été 2001, Amara Essy sera élu (après plusieurs tours de scrutin), au secrétariat général de l’OUA. Un mandat de transition dans la perspective du passage de l’OUA à l’UA, l’Union africaine, un projet porté par Mouammar Kadhafi. Un an plus tard, en juillet 2002, l’UA étant créée mais loin d’être opérationnelle, son mandat sera renouvelé… pour une autre année. Essy va alors s’engager dans une campagne pour se faire élire président de la Commission de l’UA lors du sommet de Maputo (2003).

Dans un contexte difficile : c’est le temps de l’après « 11 septembre » mais également celui où la « crise ivoiro-ivoirienne » s’est dramatisée à la suite des événements du 18-19 septembre 2002. Si Laurent Gbagbo est toujours à la tête de la Côte d’Ivoire, les accords de Marcoussis lui ont imposé un premier ministre, en l’occurrence Seydou Diarra. Le 7 juillet 2003, à 14 heures, quelques jours avant le scrutin du 10 juillet 2003, un communiqué va officialiser le retrait d’Essy de la compétition. Une décision prise par Gbagbo sous la pression des chefs d’Etat d’un certain nombre de pays (Afrique du Sud, Nigeria, Algérie, Libye, Ghana) et du secrétaire général des Nations unies, le Ghanéen Koffi Annan, qui estiment que la situation politico-militaire qui prévaut en Côte d’Ivoire empêche que la candidature d’Essy soit maintenue face à un président sortant d’Afrique de l’Ouest, en l’occurrence le Malien Alpha Oumar Konaré. Qui, du même coup, sera élu dès le premier tour du scrutin par 35 voix sur 45 votants.

Pour Amara Essy, qui avait porté à bout de bras le projet d’Union africaine, sans budget significatif et sans personnel réellement compétent, c’est une formidable déception. Il avait fait campagne, s’était assuré du soutien de l’Afrique du Nord : Kadhafi, Ben Ali, Abdelaziz Bouteflika (qui, bien qu’ayant des relations amicales personnelles avec Essy, sera de ceux qui prôneront une « realpolitik » en Afrique de l’Ouest), parcourant mêmes les camps de réfugiés sahraoui à Tindouf, assurant que « la République arabe sahraouie démocratique est membre à part entière de l’Union africaine » et qu’elle le soutient « à 100 % ». On évoquera alors le nom d’Essy pour prendre le job de haut commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. On le dira, plus tard, candidat à la succession… d’Alpha Oumar Konaré à l’UA. En fait, Essy ira chercher sous d’autres cieux que ceux de l’Afrique la consécration internationale que le continent lui avait in extremis refusée. Avec l’extrême discrétion qui lui est coutumière.

Le voilà donc, aujourd’hui, qui revient sur le devant de la scène diplomatique africaine. Envoyé spécial du président de la République de Côte d’Ivoire à Alger, un pays où il a ses entrées (mais, compte tenu de son parcours diplomatique, il y a peu de pays où Essy n’ait pas ses entrées, sauf ceux qui lui reprochent son engagement trop ferme en faveur de la RASD). Qu’Essy se mêle d’une négociation intra-africaine n’étonne pas. Patron des Affaires étrangères de son pays, il avait déjà eu à s’impliquer pour le compte de la Cédéao afin de trouver les voies et moyens de sortir de situations de crise. En Guinée-Bissau (je rappelle qu’il parle portugais), en Sierra Leone, etc. « On ne peut pas faire indéfiniment la guerre, dit-il. Le dialogue est inéluctable ». Reste à savoir avec qui dialoguer, comment et pourquoi alors qu’Alger s’efforce d’occuper une position centrale (pour ne pas dire une position de force) sur le dossier malien.

Amara Essy, séjournant à Alger, s’est empressé d’affirmer l’incontournabilité (« Sans l’Algérie, il n’y aura pas de solution à cette crise ») et le savoir-faire unique (« L’Algérie connaît mieux que nous ce problème ») de la diplomatie algérienne. Curieux emballement pour un diplomate qui sait qu’il faut écouter bien plus que parler. Hormis le fait que la profusion d’interlocuteurs fait qu’on ne sait plus qui fait quoi, comment, pour le compte de qui, donner un blanc seing aux Algériens n’est pas sans risque. Essy, d’ailleurs, résume la crise malienne au seul problème des Touareg et n’a pas manqué de faire référence à l’accord d’Alger du 4 juillet 2006. Or, aujourd’hui, nous n’en sommes plus là.

Ce qui est incontournable c’est, effectivement, la position centrale de l’Algérie dans ce dossier. Mais pas nécessairement pour les raisons auxquelles on pense. Alger va commémorer, demain, le cinquantième anniversaire de son indépendance (5 juillet 1962). Un demi-siècle particulièrement douloureux pour les Algériens. Cinquante années pendant lesquelles le pouvoir a été confisqué par un redoutable appareil bureaucratique au sein duquel l’armée et les services de sécurité font ce qui lui plait, confisquant à leur profit la rente pétrolière et gazière. C’est dire que la lutte pour le pouvoir – entamée lors de la guerre d’indépendance – est quotidienne ; et sans états d’âme. Le 4 octobre 1988 (il y a près qu’un quart de siècle), les « émeutes du pain » allaient submerger Alger et les grandes villes du pays.

Du chaos social qui en résultera va émerger un chaos politique. Le 26 décembre 1991, au premier tour des élections législatives, le FIS, parti islamiste, arrive en tête avec 46,27 % des voix contre 23,52 % pour le parti historique : le FLN. Inconcevable pour l’armée, les services de sécurité et la classe politico-affairiste au pouvoir. Les élections seront annulées et la chasse aux islamistes va être lancée. Ce sera une guerre totale au cours de laquelle les islamistes vont radicaliser leur comportement. Tandis que le pouvoir, à Alger, va instrumentaliser la peur et la terreur. Cette guerre va conduire les groupes islamistes à devenir des groupes terroristes et à s’implanter loin des villes dans le Sud de l’Algérie. Ils se retrouveront au contact des Touareg. On connaît la suite : le GSPC, AQMI, etc.

La suite, c’est aussi le « printemps arabe » qui, en 2011, va changer la physionomie de l’Afrique du Nord avec la chute des leaders à Tunis, Tripoli et Le Caire et l’irruption des « islamistes » partout, y compris à Rabat. Sauf à Alger dont la vigueur de l’appareil répressif et un prix des hydrocarbures qui flambe (autorisant quelques concessions sociales) permettent de verrouiller les mouvements de revendication. Aujourd’hui, en Afrique du Nord, le seul régime capable d’avoir une politique panafricaine, c’est l’Algérie (le Maroc, actif au plan des affaires, est pénalisé au plan diplomatique par sa revendication territoriale sur le Sahara occidental). Plus encore l’année du cinquantenaire de son indépendance conquise les armes à la main contre la France coloniale. La symbolique reste d’autant plus forte que la « révolution » libyenne est devenue un vain mot depuis la chute puis la mort de son « guide ». Mais il ne faut pas se leurrer.

Pour les Algériens, plus que pour quiconque dans la région, leur politique extérieure ne vise qu’à conforter leur politique intérieure. Dès lors que le régime en place à Alger – celui des militaires et de la nomenklatura du FLN – était en danger du fait de la poussée islamistes de la fin des années 1980 et des années 1990 (c’est en 1999 que « Boutef » a accédé au pouvoir, marquant ainsi la fin des tergiversations politiques), les « islamistes » devenu des « terroristes » ont été repoussés dans le Sud. Dans le même temps, Alger n’entend pas être confronté à l’irrédentisme touareg.

Autant dire que le MNLA n’est pas sa tasse de thé ; pas plus qu’Ansar Eddine (même si son patron, Iyad Ag Ghali, est considéré comme étant instrumentalisé par le DRS algérienne, le Département du renseignement et de la sécurité « une immense machine à manipuler de l’humain, à broyer du civil et de l’islamiste »). L’appareil bureaucratique algérien est perpétuellement traversé de luttes d’influence qui ne font pas abstraction des règlements de compte et des liquidations. C’est un héritage de la lutte pour l’indépendance (ou, plus exactement, de la lutte pour le pouvoir dans la perspective de l’indépendance) et de la nature « stalinienne » du régime. C’est donc avec beaucoup de circonspection qu’il faut prendre langue avec les responsables politiques algériens. Amara Essy devrait ne pas l’oublier !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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