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Sayouba Traoré : « En Afrique, la culpabilité des femmes n’a pas besoin d’être démontrée »

Publié le vendredi 22 juin 2012 à 02h27min

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Avec ses deux émissions qu’il anime sur RFI, « La Chronique agriculture et Pêche » et « Le Coq chante », la voix de Sayouba Traoré est devenue depuis des années familière à des millions d’auditeurs du continent africain. Mais ce journaliste burkinabè, diplômé en Histoire diplomatique et de relations internationales, enseignant dans une vie antérieure, est aussi un écrivain talentueux dont l’écriture épouse les saveurs de la culture de l’auteur.

Son quatrième roman, « Belle en savane » sur un total de quinze livres, traite de la pandémie du Sida, cette maladie qui fait chaque année des millions de morts sur le continent africain. Et parce que ce mal « touche au tabou suprême qu’est le sexe », parce qu’il « révèle les coucheries de tout un chacun », on éprouve un malaise à le nommer. Dans des sociétés dominées par des mâles, qui mieux que la femme pour incarner la figure du bouc-émissaire, l’agent propagateur de la « maladie-là ».

L’histoire de Sita, loin d’être singulière, est le quotidien de milliers de femmes que le tribunal de l’opinion condamne sans les avoir entendues. Elle montre aussi les rapports très complexes qui se nouent entre clans et comment ils structurent la vie des couples y compris dans les recoins les plus intimes.

Votre livre « Belle en savane » n’est-il pas, quelque part aussi, une chronique de la société africaine ?

Non, c’est un roman, c’est-à-dire une histoire réelle et inventée à la fois. J’ai rencontré Sita, le personnage principal du roman, lors de mes reportages avec les associations féminines luttant contre le Sida. Ce que j’ai découvert, à travers la figure de Sita, c’est que curieusement, ce sont les femmes qui acceptent faire le test, pendant que les hommes, lâches qu’ils sont, refusent, ou en tout cas, trainent les pieds pour le faire !

Parce que les hommes ne se sentent pas fautifs…

En Afrique c’est comme ça, la culpabilité des femmes n’a pas besoin d’être démontrée même si c’est l’homme qui va à gauche et à droite tout le temps. Le problème du Sida est qu’il touche au tabou suprême, c’est-à-dire le sexe, et que nous avons choisi de mettre tout l’honneur de la famille entre les jambes des femmes, alors qu’elles ne nous ont rien demandé. C’est une lourde responsabilité à porter et c’est toujours leur faute, même si l’homme peut multiplier les coups et pis, en tirer une gloriole de tombeur !

Dans votre livre, on découvre la gêne qu’ont les gens à nommer le Sida. Pourquoi ?

Nous avons connu la même situation avec la gonococcie : dès que ça touche au sexe, il y a le silence, la distanciation avec les malades et cela a des conséquences au plan sanitaire parce qu’on perd du temps avant d’aller voir les structures médicales. Ce silence honteux, coupable, joue des tours parce qu’on a du mal à envisager le Sida comme une maladie tout simplement. Mais le Sida est provoqué par un microbe comme la grippe, et tant qu’on ne l’acceptera pas, on ne pourra pas aider les malades pour la simple raison qu’on n’ira pas chercher le médicament. Il faut le dire, le Sida est juste une maladie sexuellement transmissible (MST)

Cette perception très négative du sida persiste t-elle toujours malgré les campagnes de sensibilisation ?

Bien évidemment ! Posez la question à la première dame qui est impliquée dans la sensibilisation autour du Sida, et elle vous dira à quoi elle bute. J’ai assisté à des manifestations où elle essayait d’expliquer que le Sida est une maladie comme les autres, mais elle s’est rendue compte que ça ne passe pas. Dès qu’il s’agit du Sida, il est difficile d’en parler parce qu’on émet un jugement de valeur sur les gens alors qu’on a à faire, non à un tribunal, mais à un problème de santé publique

Porter le VIH, c’est aussi subir une violence sociale. Le mari de Sita ne se contente pas de la répudier, mais il met la manière aussi, en l’humiliant…

Oui, Sita s’est retrouvée à la croisée d’autres choses de très ancestrales ! Pourquoi en politique on ne se retrouve pas ? Parce qu’on met nos querelles ancestrales dans nos affaires politiques d’aujourd’hui. Quelqu’un est du CDP, mais il se trouve que nos familles se sont combattues pour le pouvoir, pour une femme ou pour quelque chose dans un lointain passé. Alors, je ne peux pas être du même bord politique que lui parce que nous sommes, non des adversaires, mais des ennemis. De la même façon, on accable Sita parce qu’elle est Konaté et non Koulibaly ou Ouattara ; donc on transfère les querelles ancestrales sur les querelles modernes y compris dans les rapports de couples. Ca complique tout !

Même les enfants de Sita sont victimes de l’ostracisme dû à la maladie de leur mère quand, lors d’une fête, des invités refusent d’être servis par eux. Est-ce une réalité encore dans nos contrées ?

Bien sûr que c’est une réalité ! Beaucoup d’enfants ont été exclus de l’école parce que leurs parents ont le Sida ! Comme on ne connait pas le mode de transmission, on dit que votre maman ou votre papa a le Sida, donc, il va nous transmettre la maladie à travers vous ! J’ai entendu des bêtises du genre, « en serrant la main d’un malade de sida on peut être contaminé ! »

Demandez aux sages-femmes dans les villages, elles vous raconteront comment elles gèrent au quotidien ces problèmes avec des moyens du bord parce que les municipalités n’ont pas les moyens de financer de vastes et longues campagnes de sensibilisation. Les administrés n’ayant rien, ils ne paient pas les d’impôts. Il ne faut donc pas trop accabler les gouvernements, parce qu’on ne peut pas demander à un président de consacrer 1000 F CFA à quelque chose alors qu’il n’a que 500 F CFA dans le coffre ! L’ennui est que le manque d’information sur le Sida suscite la rumeur, nuisible à la cohésion sociale

Est-ce que le héro du roman aurait pu être aussi un homme ? Parce qu’il y a bien des hommes malades du Sida aussi ?

Non, le héro ne pouvait pas être un homme pour la raison suivante : quand les hommes ont la maladie, ils ne le disent pas, alors que les femmes ont le courage de le dire. Les hommes cachent leur maladie, et c’est pour ça que les techniciens de la santé disent que le Sida a un visage féminin. Ce sont les femmes qui font facilement le test, les hommes le cachent et c’est rare de voir un homme dire publiquement qu’il a le Sida, quelque soit son rang social. Je ne sais pas pourquoi !
En creux, le combat contre la Sida passe par la femme alors ?
Je parcours la campagne africaine depuis des années et ce que j’ai appris, c’est que les hommes gardent secrètement tout ce qui est nouveau pour en faire un enjeu de pouvoir, ce qui n’est pas le cas chez la femme qui diffuse l’information. C’est un constat, et je veux juste dire que le sida est une maladie comme les autres, sans plus, même si pour l’instant, on n’a pas encore trouvé le remède curatif.

Quand nous étions jeunes, on avait toutes les chances de mourir de la syphilis, de la variole, de porter les séquelles de la bilharziose, mais on a trouvé le médicament et on en meurt plus aujourd’hui. Je ne veux pas banaliser le Sida, mais isoler quelqu’un parce qu’il a le Sida, c’est l’achever au moment où il n’a plus la force de travailler. C’est d’autant plus désolant que des traitements permettent de vivre plus longtemps maintenant et qu’on peut avoir des enfants sains. Il y a donc des progrès sur cette maladie et on n’explique pas assez cela dans nos campagnes.

Sita a la chance d’avoir une, Dadah, qui la protège et la réconforte. Est-ce une allusion à la fameuse solidarité africaine ?

Vous parlez comme un Toubab ! La fille reste la fille de la famille parce que l’élément structurant n’est pas le couple. Vous avez épousé une fille, mais le plus important est qu’elle reste la fille de son clan. Et quand chez son mari, on ne veut plus d’elle, elle revient à la maison. Ici, chez grand-mère Dadah.

En même temps, la faute d’un membre qui est individuelle, rejaillit sur toute la famille…

Oui, c’est comme ça, parce que chez nous, la faute peut être héréditaire ! J’ignore la position que vous occupez dans votre famille, mais dans le milieu moaga par exemple, quand l’ainé fait des bêtises, cela peut porter préjudice à son frère un jour quand il voudra demander la main d’une fille. C’est le clan qui compte et non l’individu ! Le « je » n’a pas d’importance, le collectif, la famille, oui !

Le livre montre aussi les rapports complexes que les sociétés africaines ont avec les papiers. Le chef de Sindou ne comprend pas qu’on veuille identifier ses sujets en leur attribuant des cartes d’identité, à commencer par ses épouses. Là, on est vraiment dans le roman…

Pas du tout ! Je ne dis pas que cette scène s’est réellement déroulée à Sindou, mais elle n’est pas imaginaire. J’ai fait un reportage avec le laboratoire Citoyenneté au Burkina, puis dans d’autres pays et je peux vous dire que pas mal de gens ne comprennent pas la raison d’être d’un acte de naissance. Que vous disent les gens dans les villages ? Je suis né, on me voit et ce n’est pas un papier qui va dire si oui ou non je suis né. Il y a un vrai divorce entre la société occidentale et la nôtre ; seulement les autres ont eu l’habitude de nous imposer leurs points de vues, avec il faut le dire, notre consentement.

Il y a des endroits où sur cinq personnes nées (5), trois (3) meurent sans avoir jamais été déclarées à l’état civil. Des exemples, j’en ai vus à 70 km de la capitale burkinabè, Ouagadougou. On a un état civil qui n’est pas fiable, un fichier électoral bancal et dans ces conditions comment peut-on faire un recensement biométrique ? Soyons sérieux, c’est de la fumisterie !

L’hostilité du chef n’est cependant pas irrémédiable, et Karfougou, le lettré du village a su trouver les mots justes pour le convaincre d’accepter les actes de naissance…

Chacun de nous, lettrés a déjà eu recours à cet exercice au village. Je suis di nord du Burkina et un jour de meeting de campagne pour l’élection présidentielle, on m’a demandé : « C’est le soldat qui est président là qui vient faire campagne ? Comment un chef peut demander à être chef, alors qu’il l’est déjà et pas mort ? ». Il fallut que j’explique, à la différence du chef du village, le pouvoir du président est limité dans la durée et que par moment, il faut le renouveler ! Nous servons d’ailleurs à ça même si souvent on s’en sert pour arnaquer les gens

Propos recueillis par Joachim Vokouma
Lefaso.net

Sayouba Traoré : Belle en savane ; Editions Vents d’ailleurs ; La Roque d’Anthéron, France (ventsdailleurs.com) ; 141 pages ; 16 euros. Disponibles en librairie à Ouagadougou.

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