LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

La mauvaise image que donnent les médias de la Guinée équatoriale pèse sur ses ancrages diplomatiques (3/6)

Publié le jeudi 21 juin 2012 à 03h48min

PARTAGER :                          

En tant que ministre de l’Information, de la Presse et de la Radio, Agustin Nse Nfumu vient de succéder à Jeronimo Osa Osa Ekoro. Qui avait, dans son portefeuille, l’information mais aussi la culture et le tourisme (une fonction assumée autrefois, dans le gouvernement formé le 11 février 2003 par Candido Muatetema Rivas, par Nse Nfumu mais avec le titre de ministre d’Etat).

C’est dire que le nouveau ministre de l’Information est en pays de connaissance. D’autant plus qu’en 1996 il a été le fondateur et le président du conseil d’administration de la société éditrice du magazine mensuel La Gaceta de Guinea Ecuatorial, une publication « indépendante » qui ne fait que très marginalement place à des informations en français.

Le boom financier que connaît la Guinée équatoriale depuis plus d’une décennie impacte nécessairement l’évolution du secteur de la communication. La meilleure illustration en est la création de la chaîne Africa 24 qui se veut la chaîne d’information en continu du continent africain. Mais il faut reconnaître que l’information sur la Guinée équatoriale, vue d’Europe, confine encore à la communication ; et qu’à l’inverse, en Europe, elle se limite à un ostracisme médiatico-ONGiste qui parfois confine à la haine raciale ou à la provocation (cf. LDD Guinée équatoriale 017/Lundi 25 octobre 2010). Pour le reste, la réputation de pays « ultra-friquée » de la Guinée équatoriale (réputation qui n’est pas usurpée) suscite d’innombrables vocations de « communicateurs » de la part d’individus dont la principale compétence se limite à savoir compter les billets. Nous ne sommes plus là dans le domaine de l’information, mais dans celui de la « com » ou, plus exactement, de la propagande. Sans que celle-ci ne soit bien gérée d’ailleurs. De mon point de vue, ni la présidence de l’Union africaine par le président Obiang Nguema Mbasogo, l’an dernier, ni l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football 2012 n’ont permis de faire connaître « convenablement » la Guinée équatoriale.

Le récent remaniement du gouvernement ne va pas changer fondamentalement l’image que les médias véhiculent sur la Guinée équatoriale. RFI note que « sur les 55 nominations, douze reviennent à des proches parents du président Obiang Nguema dont son frère et son fils ». Teodorin Obiang, le fils du chef de l’Etat et la « bête noire » des médias et des ONG en France, est effectivement nommé deuxième vice-président chargé de la Défense et de la Sécurité, ce qui ne manque pas d’être présenté comme la volonté de mettre en place une « monarchie héréditaire qui s’appuie sur les forces armées ». Il y a un gap culturel entre la vision patrimoniale du pouvoir en Guinée équatoriale et la vision technocratique que peut en avoir la France. Elle s’exprime déjà dans la formation pyramidale du pouvoir gouvernemental : un chef d’Etat, un premier ministre, des ministres d’Etat, des ministres, des ministres délégués, des vice-ministres, des secrétaires d’Etat.

La Guinée équatoriale doit détenir un record mondial de membres du gouvernement par habitant (plus encore si on prend en compte non pas les habitants mais les nationaux !). Mais c’est là, une fois encore, développer une vision « technocratique » du pouvoir quand, en Guinée équatoriale, elle est encore du ressort, nécessairement, du secteur patrimonial, autrement dit familial dans la large acception africaine du terme.

Ce puzzle territorial dont aucune pièce, à l’origine, ne s’imbriquait l’une dans l’autre (l’île d’Annobon se situe dans l’hémisphère Sud quand l’île de Bioko se trouve dans l’hémisphère Nord et la distance entre les deux îles est comparable à celle de Bamako à Ouagadougou ; quand à la seconde ville du pays, Bata, au Rio Muni, elle est plus proche de Libreville et de Douala que de la capitale : Malabo) comptait moins de 300.000 habitants quand Obiang Nguema Mbasogo a pris le pouvoir en 1979. Où pouvait-il aller chercher les cadres dirigeants, ceux dans lesquels il pouvait avoir confiance ? Plus de trente ans se sont écoulés depuis mais les fondamentaux sociaux sont restés les mêmes. Avec toutes les dérives que cela peut impliquer*. Mais la Guinée équatoriale a pu, depuis, émerger sur la scène africaine et internationale sans drames majeurs autres que les tentatives menées par des « mercenaires » pour s’emparer de ce pays**.

Avec le retour d’Agustin Nse Nfumu au gouvernement, on peut espérer qu’un vrai souffle sera donné à la mise en œuvre d’une information sur la Guinée équatoriale. On peut aussi espérer que cette information sera en français. Même si les liens semblent se distendre entre les communautés française et équato-guinéenne ; la francophonie paraît n’être, parfois, du côté de Malabo, qu’une « espérance trahie ». Alors que Nse Nfumu rejoint le gouvernement pour la troisième fois (1992, 2003, 2012), Agapito Mba Mokuy y fait son entrée au portefeuille de ministre des Affaires étrangères et de la Coopération. Il prend ainsi la suite de Pastor Micha Ondo Bilé qui était en poste depuis le 11 février 2003. On remarquera, dans le même temps, qu’Ondo Bilé avait également en charge la « Francophonie ».

Par le passé, la « Francophonie » avait été rattachée à la culture et au tourisme, puis à la culture et, enfin, à l’éducation et aux sciences. Pendant 21 ans (23 janvier 1992-22 mai 2012), la « Francophonie » a eu sa place au sein du gouvernement « équato ». Aujourd’hui, cette référence disparaît. Et cela ne saurait être un simple oubli. Si Agapito Mba Mokuy entre pour la première fois au gouvernement c’est après avoir mené une rude bataille diplomatico-médiatique à Paris pour faire accepter par l’Unesco un prix pour la recherche sur les sciences de la vie sponsorisé par le président équato-guinéen. Mba Mokuy était alors conseiller du chef de l’Etat en charge des organisations internationales.

Si cette bataille a fait gagner beaucoup d’argent à quelques hommes de loi et à d’autres en charge de la « communication », elle a fait, aussi, des victimes : le délégué permanent de la Guinée équatoriale auprès de l’Unesco d’abord, l’ambassadeur de Guinée équatoriale en France ensuite.
Mba Mokuy appartient à la nouvelle génération des cadres « équato », formés notamment aux Etats-Unis. Une génération déterminée à faire émerger politiquement, diplomatiquement, économiquement et socialement la Guinée tout en étant parfaitement consciente des contraintes internes et externes auxquelles le pays est confronté.

Utilisateur assidu des nouvelles technologies, communicateur, plus technocratique que « bling-bling », peu enclin à accepter le laxisme et l’à-peu-près de ses collaborateurs, Mba Mokuy n’est pas le genre à avoir des états d’âme quand la souveraineté de son pays et les décisions de son président peuvent être remises en question. C’est le genre d’homme qui va au bout des choses dès lors qu’il s’y est engagé. C’est lui qui, désormais, va devoir remettre de l’ordre dans une diplomatie équato-guinéenne qui s’est laissée, parfois, endormir par les vapeurs de pétrole et a pensé qu’il suffisait d’appartenir à un pays riche pour rester là, les bras croisés, à attendre les prébendes de tous ceux qui ambitionnent de se ruer sur l’eldorado du golfe de Guinée.

* La patrimonialisation du pouvoir est, en « Occident », bien moins sujette à caution quand elle concerne les grandes familles européennes, les dynasties entrepreneuriales, les oligarques russes, les familles royales du Moyen-Orient... La princesse saoudienne Maha al-Sudaïri, épouse répudiée du prince héritier d’Arabie saoudite Nayef Ben Abdel Aziz, a tenté de filer à l’anglaise, dans la nuit du 31 mai au 1er juin, du palace parisien Shangri-La en laissant une ardoise de plus de 6 millions d’euros. Une vieille habitude pour cette cliente qui se déplace avec une armada de 60 serviteurs. Mais elle jouit de l’immunité diplomatique et ni le Shangri-La, ni l’ambassade d’Arabie saoudite ne pipent mot. Elle a d’ailleurs trouvé « refuge » dans un autre palace : le Royal Monceau, propriété du Qatar. Entre dynasties du golfe, la solidarité n’est pas un vain mot… !

** Des affaires qu’Agustin Nse Nfumu connaît bien. Il était en poste à Londres, comme ambassadeur, lors des affaires « Simon Mann » et « Mark Thatcher », deux britanniques – dont le fils de l’ex-premier ministre – impliqués dans les opérations de mercenariat visant à renverser le régime d’Obiang Nguema Mbasogo en 2004.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique