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La normalisation de la situation au Nord-Mali passe par la résolution de la crise politique au Sud-Mali (2/4)

Publié le mardi 19 juin 2012 à 22h03min

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Quand le MNLA a déclenché la « guerre » contre Bamako, le 17 janvier 2012 – il y a cinq mois déjà – les choses paraissaient simples : un régime en décomposition (celui d’ATT) incapable de faire face aux trafics en tous genres et à l’occupation du Nord du territoire par des groupes « terroristes » que l’on disait affiliés à AQMI.

La revendication de l’indépendance de l’Azawad va cristalliser, à Bamako, l’opposition à un régime qui non seulement n’avait plus aucune crédibilité économique et sociale mais qui, dans le même temps, se laissait déborder par des « rebelles à peau blanche ». La première conséquence de l’offensive déclenchée par le MNLA sera l’organisation puis l’instrumentalisation, dans la capitale puis dans tout le Sud du pays, d’un mouvement parfaitement ciblé de contestation du gouvernement ; qui se traduira par un début de pogrom contre les Tamasheq et les groupes ethniques assimilés. Aux frontières du Mali, les réfugiés vont se masser par dizaines de milliers.

En réagissant tardivement, en prenant pour cohérent un discours incongru (l’indépendance de l’Azawad qui ne voulait être qu’une revendication de considération à l’égard de l’identité tamasheq et de reconnaissance de sa souveraineté sur un territoire abandonné par le pouvoir central), en refusant de communiquer et de dire les choses telles qu’elles étaient, ATT aura laissé la porte ouverte aux ultras de son régime qui ont su instrumentaliser une situation à risques dont chacun savait qu’elle pouvait, effectivement, mener à un affrontement meurtrier. « Si nous sommes des rebelles, me dira en substance un de mes interlocuteurs, c’est contre la situation qui nous est faite que nous nous rebellons.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : nous avons quitté nos maisons, après que celles-ci aient été détruites, dans un mouvement général de sauve-qui-peut. Et ce sont ces actes qui font désormais de nous des rebelles. Nous ne l’étions pas avant ; nous le sommes devenus ». Il évoquait alors une déchirure entre la classe politique malienne et la population « à peau blanche ». Il était dépité, abasourdi et plein de rancœur à l’égard d’un pouvoir qu’il avait loyalement servi (ne pensant pas, d’ailleurs, qu’il pouvait en être autrement) mais qui, du jour au lendemain, l’obligeait à repartir à zéro sans aucune visibilité sur son avenir et même l’avenir de son pays. Pour lui, aucun doute, il n’y avait rien d’impromptu dans ce qui se passait alors dans le Nord-Mali et les effets collatéraux que l’on constatera alors sur l’ensemble du territoire. C’était le résultat de la manigance de ceux qui voulaient poursuivre leur micmac mafieux sous le parapluie d’un régime qui, à force de dire qu’il recherchait le consensus, s’avérait incapable de prendre les décisions qui s’imposaient.

On commence à penser, aujourd’hui, dans les capitales ouest-africaines et les chancelleries « occidentales », que l’instrumentalisation du mécontentement des Tamasheq s’est poursuivie avec l’accession au pouvoir d’une clique de petits soldats. ATT a été renversé à l’issue d’un vrai faux coup d’Etat et Sanogo s’est mis à penser qu’il était vraiment l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait. Une accession au pouvoir fondée sur un motif fallacieux : ces hommes, disaient-ils, représentaient une armée qui entendait avoir les moyens militaires de reconquérir un Nord qu’ils avaient abandonné aux « rebelles » en pratiquant systématiquement un « repli stratégique ». Il est vite apparu que la junte était dépourvue de détermination guerrière !

Dans le même temps, au Nord, le MNLA, maître d’un immense territoire (750.000 km²) sous peuplé (1,2 habitant/km²) et sous équipé, allait être débordé par ces groupuscules islamistes qui, rapidement, ont vu tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer d’une situation chaotique : AQMI, qui a fait du Nord du Mali son terrain de chasse aux « otages », Ansar Dine, Boko Haram… on évoque même, désormais, la présence « d’instructeurs » pakistanais et afghans. Le MNLA qui espérait négocier avec Bamako va, dès lors, se trouver pris en tenaille entre une junte qui, à Bamako, n’entendait s’occuper que de ses petites affaires, et des « islamistes radicaux » qui, dans le Nord du Mali, entendaient transformer une aspiration politique en revendication religieuse. Le départ d’ATT, l’arrivée à la tête de l’Etat de Dioncounda Traoré et de Cheikh Modibo Diarra, le retrait de la junte ont été une « espérance trahie ». Il est vite apparu que, malgré ses engagements, la junte entendait ne pas céder la place et négocier, fort cher, son acceptation de quelques « aménagements ». Le MNLA a donc été amené, rapidement, à « sauver les meubles » au Nord et à s’engager, au Sud, dans une concertation avec le « facilitateur ».

Quel a été, dès lors, le diagnostic du MNLA ? Le mouvement n’a rien gagné au départ d’ATT. Certes, la junte n’a pas engagé d’action militaire mais les revendications des Tamasheq n’ont pas été prises en considération. Bien au contraire, il est rapidement apparu qu’elle entendait laisser les mains libres aux groupuscules islamistes radicaux pour éradiquer un MNLA qui, quant à lui, réaffirmait son ancrage laïc et démocratique. Le MNLA risquait fort d’être l’otage d’une junte prête à le livrer à ses ennemis d’hier : AQMI, Ansar Dine, etc. Comme me le disait Jonas Savimbi, en Angola, alors que l’UNITA n’était pas loin d’être éradiquée : « quand on a le dos au mur et qu’on lutte pour sa survie, il faut avoir le courage de s’allier au diable ». Savimbi avait choisi l’Afrique du Sud de l’apartheid pour soutenir son combat contre les « métis » de Luanda. Le MNLA, mal en point, abandonné par de nombreux Tamasheq qui le trouvaient timoré, envisagera un terrain d’entente avec les islamistes radicaux. Cette opération aurait permis, me dit-on dans les rangs du MNLA, de rassembler la communauté Tamasheq autour de ses chefs et de se démarquer des groupuscules islamistes et autres organisations mafieuses qui pullulent dans le Nord du Mali.

L’objectif était de crédibiliser le mouvement en le rassemblant et, ainsi, d’accéder à une table de négociation qui permettrait au MNLA d’être partie prenante dans la résolution de la crise au Sud avant d’être partie prenante dans l’éradication des « islamistes radicaux » dans le Nord. Contre, bien sûr, quelques avantages. Pour parvenir à ses fins, le MNLA va entreprendre ce que ne pouvaient faire les « islamistes radicaux » : tisser des liens au sein de la « communauté internationale » et de la « communauté africaine ». Sauf que la cuillère du MNLA pour dîner avec le diable n’était assez longue.

Isoler la junte et ses alliés mafieux à Bamako pour isoler les « islamistes radicaux » afin de rester le seul interlocuteur crédible, telle serait la stratégie du MNLA. Une stratégie dont le point d’appui est Ouagadougou. Le 9 juin 2012, Ibrahim Ag Mohamed Assaleth, membre du conseil de transition de l’Azawad (CTA), présenté comme une composante du MNLA, est venu dans la capitale burkinabè pour y rencontrer le président Blaise Compaoré et « signifier que le MNLA est disposé et accepte la médiation de la Cédéao et de la communauté internationale pour une sortie de crise au Mali. Le MNLA se met à la disposition de la Cédéao et de la communauté internationale pour trouver une sortie honorable à cette crise ».

Dans le même temps, le MNLA a affirmé se « démarquer de tout autre groupe à velléité islamique ou terroriste dans la zone. Le MNLA est un mouvement autonome qui veut privilégier le dialogue car, dans toute guerre, on finit toujours autour d’une table de négociation ». On notera la revendication de « l’autonomie » qui n’est plus celle de « l’indépendance » ! Seul problème : si le MNLA maîtrise quelque peu la donne dans le Nord, elle n’est pas dans le même rapport de force au Sud et les Tamasheq maliens, qui sont tout autant maliens que Tamasheq, avouent avoir « plus peur de l’évolution de la partie Sud du pays que de sa partie Nord car, pour eux, et pour tout tamasheq honnête, ces deux parties ne font qu’une à la seule condition qu’il y ait, au Sud, une représentation politique qui soit à la hauteur des exigences du Nord ».

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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