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Bernard Squarcini, « Le Squale », ayant été harponné, le « renseignement » français entreprend sa mutation (3/3)

Publié le jeudi 7 juin 2012 à 19h49min

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Il y a profusion de candidatures pour le poste de directeur général de la sécurité extérieure (DGSE)*. Mais, pour l’instant, le job n’est pas disponible. Par contre, devrait pouvoir être libéré sous peu celui de coordonnateur des services de renseignement. C’est une innovation que l’on doit à Nicolas Sarkozy. Il s’agissait de placer le renseignement sous la tutelle non plus de Matignon mais de l’Elysée.

Jusqu’alors, le renseignement en France concernait les ministères de l’Economie (direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières – DNRED), de l’Intérieur (DST et RG), de la Défense (DGSE ; direction du renseignement militaire – DRM ; direction de la protection et de la sécurité de la Défense – DPSD). Le sommet de la pyramide était le Premier ministre qui disposait du secrétariat général de la défense nationale (SGDN) et du comité interministériel du renseignement (CIR) pour orienter et coordonner les services de renseignement, le premier ministre rendant compte au chef de l’Etat. L

a pierre d’angle du renseignement en France était donc le SGDN, créé le 18 juillet 1962 (en un temps où le président de la République n’était pas encore élu au suffrage universel), placé sous l’autorité du Premier ministre et pouvant être défini comme l’interface entre Matignon, l’Elysée et les « services ». Je rappelle que Rémy Pautrat, alors secrétaire général adjoint du SGDN, avait envisagé la création d’un organisme national de coordination du renseignement que n’avait pas accepté le chef de l’Etat de l’époque (François Mitterrand) tandis que la commission ad hoc créée au sein du SGDN pour réfléchir à son devenir avait « réfuté l’idée d’un Conseil national de sécurité à la française rattaché au président de la République, jugée non conforme à la Constitution mais également trop dangereuse politiquement pour le chef de l’Etat » (Claude Faure : Aux services de la Républiques du BCRA à la DGSE – éditions Fayard – Paris, 2004). Or, c’est dans cette direction que s’est dirigé Sarkozy en 2008.

L’objectif était que le président de la République française, chef des armées, ait également la haute main sur la sécurité extérieure et intérieure, cette sécurité étant, pour une part essentielle, liée au « renseignement » promu comme notre fer de lance en la matière. Cette illusion présidentialo-technocratique était en fait une remise en cause d’un des fondements de la République : la défense nationale, l’autonomie et la polyvalence de l’armée comme grand corps de l’Etat. Comme l’a rappelé, le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, lors d’un colloque sur la Défense (mercredi 14 mai 2008) : « Savoir sans pouvoir n’est jamais d’une grande utilité. Il faut combattre l’illusion que la connaissance peut remplacer l’action ». Il faut surtout combattre l’illusion que la sécurité nationale vaut mieux que la défense nationale et que les parties sont au-dessus du tout !

Il n’est pas certain que cette réforme ait porté ses fruits. Mais son premier titulaire, un diplomate, Bernard Bajolet, n’a guère eu le temps de s’illustrer dans cette mission. Nommé le 21 juillet 2008, ce n’est que le 24 décembre 2009 qu’un décret a précisé ses missions**. Et début 2011, il sera nommé ambassadeur en Afghanistan. Bajolet, lors de sa nomination, avait bénéficié d’une campagne de presse particulièrement dense (y compris, dans Le Figaro, un papier d’Anne Fulda, autrefois très proche de Sarkozy : « C’est le type même de poste qui suscite tous les fantasmes. Le genre de fonction qui charrie une flopée de clichés, plus ou moins obscurs »). Son successeur, Ange Mancini, ne bénéficiera pas de la même couverture médiatique.

Ange Mancini souffre d’abord, dans les hautes sphères de l’Etat, de son patronyme trop « typé » (fils d’un maçon italien, il est né à Beausoleil, commune limitrophe de Monaco, dans le département des Alpes maritimes, le 15 juin 1944). Mais c’est, dit-on, un « grand flic » devenu un « super flic » qui a débuté comme « simple flic » à 19 ans, a été directeur du SRPJ d’Ajaccio, premier chef du RAID (1985-1990), le commando d’élite de la police nationale (il a, à son actif, l’arrestation des leaders d’Action directe en 1987), chef du Service de coopération internationale de police (SCTIP) – présent dans près de cinquante pays –, sous le ministre socialiste de l’Intérieur Jean-Pierre Chevènement, après avoir « été brutalement limogé de son poste de numéro deux de la direction centrale de la police judiciaire ».

Il rejoindra par la suite la préfectorale. Il était préfet de la région Martinique, préfet de Martinique, depuis le 18 juillet 2007 lors de sa nomination comme coordonateur national du renseignement (23 février 2011). Patron du RAID, sa devise était : « Le plus dur, ce n’est pas de gérer l’exceptionnel, mais le quotidien ». Il a dû s’en souvenir quand le RAID a été chargé de « déloger » Mohamed Merah de son appartement de Toulouse ; Merah dont il dira (Le Parisien du 25 mars 2012) qu’il est « un loup solitaire […] en proie à une fracture psychologique, familiale et sociale forte [et qui] a tout raté dans sa vie ». Une façon de dédouaner les « services ». C’est, d’ailleurs, à ma connaissance, la première fois que Mancini acceptait de répondre aux questions de la presse nationale.

En un temps où la France entend abandonner un certain nombre de capacités militaires, le « renseignement » (y compris technique : drônes, satellites, etc.) va prendre une place considérable dans l’arsenal de nos armées et de l’Elysée (n’oublions pas que le président de la République est le chef des armées). Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian vient d’annoncer le lancement, d’ici un mois, de la procédure concernant le nouveau Livre blanc de la défense. Objectif : être prêt pour la fin de l’année dans la perspective de la préparation de la nouvelle loi de programmation militaire 2014-2019 qui doit être soumise au Parlement d’ici l’été 2013 et va devoir entériner une baisse drastique du budget et donc une réduction des effectifs et des équipements. Une conjoncture qui repose avec acuité la question d’une politique de défense européenne.

Dans son livre Face à la guerre (éditeur La Table ronde – Paris, 2006), Louis Gautier (cf. note) écrivait : « Aujourd’hui, les armées européennes, les grandes comme les petites, font à peu près toutes la même chose. Elles sont généralistes et redondantes, collectivement incapables de mener des opérations militaires d’envergure. C’est ce déficit qu’il faut combler », prônant « une programmation militaire européenne encore dans les limbes ». Il disait aussi que « les domaines dans lesquels il est indispensable d’investir sont principalement les suivants : capacités autonomes de renseignement, d’analyse de situation et d’évaluation de la menace, capacités de frappe dans la profondeur et enfin capacités de dissuasion stratégique ». Ceux qui, voici quelques années, « pensaient », en France, le renseignement et la défense sont au pouvoir ; il reste à attendre ce que seront non plus leurs propositions mais leurs actions !

* Parmi les prétendants, les spécialistes de la questions citent : Louis Gautier, conseiller à la Cour des comptes, expert des questions de défense et de stratégie, ancien conseiller pour la défense de Lionel Jospin lorsque celui-ci était premier ministre, conseiller défense de Martine Aubry lors de la campagne pour la primaire socialiste ; Christian Lechervy, diplomate, ancien ambassadeur, conseiller du ministre socialiste de la Défense Alain Richard (1997-2002), actuellement directeur adjoint de la prospective au Quai d’Orsay ; le général Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre (il a été en poste en Côte d’Ivoire en 2003-2004), ancien directeur de cabinet à la DGSE ; Dominique de Combles de Nayves, avocat, magistrat à la Cour des comptes, diplomate, ancien ambassadeur, directeur de cabinet des ministres de la Coopération Edwige Avice et Marcel Debarge (1990-1992) puis du ministre socialiste de la Défense Alain Richard (1998-2001) ; Cédric Lewandowski, un géopoliticien qui a fait carrière à EDF après avoir été chef de cabinet du ministre de la Défense ; François Heisbourg, personnalité médiatique de la géopolitique, récent auteur de Espionnage et renseignement (éditeur Odile Jacob – Paris, 2012), livre préfacé par Jean-Claude Cousseran, ancien patron de la… DGSE.

** Le coordonnateur national du renseignement (CNR) « conseille le président, prépare avec le concours du secrétaire général de la défense et de la sécurité, les réunions du Conseil national du renseignement et veille à la mise en œuvre de ses décisions ; il coordonne l’action et la « bonne coopération » des services spécialisés constituant la communauté française du renseignement ; enfin, il transmet les instructions du chef de l’Etat aux services qui lui rendre compte de leur activité ».

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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