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Bernard Squarcini, « Le Squale », ayant été harponné, le « renseignement » français entreprend sa mutation (2/3)

Publié le mardi 5 juin 2012 à 18h26min

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François Hollande, alors candidat à la présidentielle 2012, avait été clair : « Aucun de ceux qui aujourd’hui exercent des responsabilités et qui sont loyaux n’ont à s’inquiéter. Mais, en revanche, ceux qui sont liés à ce système [l’Etat UMP] auront forcément à laisser la place à d’autres ».

C’est pourquoi Bernard Squarcini a été débarqué de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – et placé en position de préfet hors-cadre – pour laisser la place à Patrick Calvar. Si le départ de Squarcini n’est pas une surprise, l’arrivée de Calvar n’en est pas une non plus. Il était en tête de liste pour le job et même perçu par son prédécesseur – dont il avait été par le passé le numéro deux – comme un successeur potentiel.

Squarcini, fils d’un policier, est né à Rabat (Maroc) ; Calvar, fils d’un gendarme, est, lui, né à Antsirabe (Madagascar). Pour cette génération (Squarcini et Calvar sont nés en 1955), la colonisation française pesait encore de tout son poids dans l’histoire hexagonale. Calvar va choisir, rapidement, d’être « flic ». Il a vingt-deux ans quand il débute comme inspecteur de police et va faire carrière au sein de la police nationale où il décrochera les grades de commissaire principal en 1991 puis de commissaire divisionnaire en 1996, de contrôleur général en 2005 et d’inspecteur général en juillet 2008 (le plus haut grade de la police nationale). En 1993, il rejoint Rennes (il est Breton d’origine) comme chef de la section « recherches » des Renseignements généraux (RG).

En 1995, il rejoint la direction de la surveillance du territoire (DST), place Beauvau, au ministère de l’Intérieur, où il sera affecté à la sous-direction de la lutte anti-terrorisme. Fin 1997, départ pour Londres ; il y est attaché de police au sein de l’ambassade de France. Il restera dans la capitale britannique jusqu’en mars 2000. Il est nommé directeur zonal de la surveillance du territoire à Marseille. De mars 2004 à février 2007, il sera sous-directeur contre-terrorisme/monde arabo-musulman à la DST dont il sera un des deux directeurs adjoints (l’autre étant René Bailly*) en 2007-2008. C’est alors qu’il est directeur central adjoint opérationnel du renseignement intérieur – il est sous l’autorité de Squarcini au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) nouvellement créée – qu’il va être appelé (le 23 décembre 2009) à rejoindre la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) comme directeur du renseignement. On disait alors qu’il était « l’homme de Squarcini dans la DGSE ». On notera surtout que rares sont les policiers qui ont été nommés directeur du renseignement de la DGSE : Calvar serait le second après Michel Lacarrière en 1989.

Spécialiste du « renseignement », Calvar a l’expérience des trois « boutiques » : RG, DST et DGSE. Il a l’expérience aussi de la DCRI – qu’il dirige désormais – qui résulte de la fusion-absorption, en 2008, de la DST et de la DCRG (cf. LDD France 0606/Mercredi 30 mai 2012). Il a une réputation de « grand flic », « compétent », « rigoureux » et « pas marqué ». Si son arrivée à la DCRI est largement commentée, on oublie cependant de noter qu’elle n’est rendue possible que dès lors qu’il abandonne ses fonctions au sein de la DGSE. Directeur du renseignement c’est, dit-on, y être le numéro 2 (certains disent le numéro 3, le numéro 2 étant le directeur de cabinet). Autrement dit : il est probable que le numéro 1, en l’occurrence Erard Corbin de Mangoux, nommé directeur général de la sécurité extérieure le 9 octobre 2008, restera en fonction pendant encore, au moins, une année (il aura soixante ans le 6 janvier 2013).

Corbin de Mangoux, qui a fait carrière dans la marine (après des études de sciences économiques et l’IEP-Paris) comme commissaire pendant une dizaine d’années, a rejoint la préfectorale à la fin des années 1980. Il est également passé par la direction de l’administration de la police nationale avant d’être nommé directeur général du département des Hauts-de-Seine, le fief politique de Nicolas Sarkozy. Qui, dès son accession à l’Elysée, le nommera préfet hors cadre, conseiller à la présidence de la République (où il suivra les questions de renseignement) avant d’en faire le patron de la DGSE après que l’ambassadeur Bernard Bajolet ait été nommé coordonnateur national du renseignement à l’Elysée (cf. LDD France 0497/Mardi 3 juin 2008). Avec la nomination de Corbin de Mangoux, Sarkozy bouclait ainsi la boucle : Squarcini venait d’être nommé à la tête de la DCRI, le général Benoît Puga (que François Hollande vient de maintenir dans ses fonctions de chef d’état-major particulier du président) prenait celle de la direction du renseignement militaire (DRM) et le général Didier Bolelli devenait le patron de la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD).

Le nouveau patron de la DGSE, particulièrement discret (Squarcini aimait entretenir des connexions étroites avec certains médias et certains journalistes ; ce n’est pas le cas de Corbin de Mangoux), a saisi l’occasion du trentième anniversaire de la centrale de renseignement, voici deux mois (2 avril 2012), pour organiser une cérémonie à l’occasion de laquelle il a rappelé que la DGSE était une création du président François Mitterrand, de son premier ministre Pierre Mauroy et de son ministre de la Défense Charles Hernu (qui s’est illustré lamentablement dans « l’affaire du Rainbow Warrior », jetant ainsi l’opprobre sur la DGSE).

Le 2 avril 1982, la DGSE avait pris la suite du SDECE qui, sous les « gaullistes », avait la réputation d’un club de barbouzes. Dans son discours, Corbin de Mangoux a rappelé que « le renseignement, qui est une politique publique, fait partie des atouts de souveraineté de la France ». Il a ajouté –s’inscrivant parfaitement dans les préoccupations de la nouvelle équipe dirigeante : « La DGSE est respectueuse des institutions républicains et du jeu démocratique, dont elle contribue à assurer la protection et la pérennité. Le renseignement doit être conforme à nos valeurs, au service de l’Etat, inscrit dans l’Etat de droit et contrôlé par le Parlement et les différentes autorités administratives indépendantes. Il ne peut y avoir, dans une démocratie, de services de renseignements qui ne soient encadrés et portés par les valeurs de la République. Le contrôle de notre service par les élus de la République est non seulement nécessaire, mais il conduit à une protection toujours plus pertinente et efficace des intérêts fondamentaux de la nation et souligne la reconnaissance institutionnelle du métier du renseignement et sa place au cœur de l’Etat républicain ». Fermez le ban !

Un discours qui, à la veille du premier tour de la présidentielle, était dans l’air du temps « hollandais ». Et qui permettra, sans doute, à Corbin de Mangoux de perdurer quelque peu à la tête du renseignement extérieur. Il restera, pour l’Elysée, un problème à régler : celui du coordonnateur national du renseignement. Un job occupé actuellement par Ange Macini qui a pris la suite, voici à peine plus de deux ans, de Bajolet. Un flic de choc (ancien patron du RAID) à la place d’un ambassadeur de choc (il a été ambassadeur à Sarajevo, Bagdad, Alger…).

* René Bailly a quitté la DCRI en juin 2009 pour prendre la direction du renseignement de la Préfecture de police de Paris (DRPP). Michel Gaudin, préfet de police mis en place dès le 25 mai 2007 par Nicolas Sarkozy, avait refusé que les renseignements généraux de la préfecture de police soient intégrés à la DCRI. D’où la création de la DRPP, dont le terrain de jeu se limite à la région Ile-de-France mais qui dispose quand même d’effectifs de l’ordre de 700 policiers et d’une centaine de fonctionnaires « ordinaires ».

La DRPP est aujourd’hui dans le collimateur de l’Elysée après quelques dérives récentes (dont la dernière en date remonte au 22 mai 2012 à l’occasion du procès de militants anarcho-autonomes) et le soupçon qu’une enquête de renseignement sur la personnalité de la compagne du chef de l’Etat, Valérie Trierweiler, qui aurait été diligentée hors de tout cadre légal. Gaudin, qui avait cédé son poste de directeur général de la police nationale (DGPN) à Frédéric Péchenard le 23 mai 2007 pour être nommé préfet de police de Paris, était considéré, depuis le séjour de Sarkozy au ministère de l’Intérieur, comme « l’homme discret indispensable à Nicolas Sarkozy », « l’interface entre la politique et la police ». Gaudin était aussi, et surtout, un proche de Claude Guéant, des « amis des vingt ans » quand ils travaillaient dans les Hauts-de-Seine pour Charles Pasqua. Gaudin vient d’être remplacé par Bernard Boucault, directeur de cabinet de trois ministres de l’Intérieur de gauche (Pierre Joxe, Philippe Marchand et Daniel Vaillant) et jusqu’alors directeur de l’ENA après une carrière préfectorale.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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