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Les affaires étrangères de la France ne veulent plus entendre parler de « coopération » (3/3)

Publié le mercredi 23 mai 2012 à 11h26min

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Un ministre des Affaires étrangères (Laurent Fabius) qui a été ministre du Budget, ministre de l’Industrie et de la Recherche mais aussi ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie + un ministre délégué chargé du Développement (Pascal Canfin) qui est un économiste. Cela risque fort de donner une physionomie particulière à la relation France-Afrique. Fabius a été, par le passé, prolixe en matière de propositions relatives au « développement » de l’Afrique.

Le mercredi 28 juin 2000, lors de la clôture de la Conférence européenne sur le développement organisée à Bercy sous l’égide de la Banque mondiale et du Comité d’analyse économique, Fabius avait formulé trois orientations en faveur de l’aide au développement. 1 - « Avant de demander aux pays bénéficiaires une bonne gestion de projets d’aide […] il nous faut pratiquer la coordination avec les autres bailleurs de fonds par une concentration au bénéfice des territoires qui en ont un réel besoin, par l’évaluation et la bonne affectation des fonds ». 2 – « La voix des Quinze [c’était avant un nouvel élargissement de l’Union européenne] est plus forte que quinze voix. Et cette voix doit couvrir tous les aspects, et pas seulement les aspects économiques ». 3 – « Ayons le courage d’ouvrir nos marchés aux économies en développement […] Notre intérêt bien compris, à terme, n’est pas le protectionnisme. Une autre attitude est nécessaire qui est plus facile à adopter quand la croissance et la confiance sont là, que le chômage et la crise reculent. Adoptons-la ».

A la veille de la tenue à Abidjan de la conférence de la zone franc et à Washington de la réunion de printemps de la Banque mondiale et du FMI (mai 2001), Fabius reviendra à la charge et formulera de nouvelles propositions en matière monétaire, de gouvernance, de commerce, de lutte contre la pauvreté etc. « Avec la zone franc, écrira-t-il dans Le Monde (27 avril 2001), nous avons des valeurs essentielles en partage. Une Afrique qui ira mieux, ce sera davantage de fraternité concrète. Ce sera aussi davantage de sécurité économique pour la planète ». Quand début 2002, le président Jacques Chirac va recevoir à Paris treize chefs d’Etat et de gouvernement africains pour une réunion de travail sur le NEPAD, Fabius rappellera (Le Figaro du 8 février 2002) que « la question du développement des pays pauvres sera nécessairement centrale au cours des prochaines années ».

Dans cette perspective, il avançait six nouvelles propositions. 1 – « Pour renforcer les réserves de change des pays en développement, il serait utile de décider rapidement une allocation exceptionnelle de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI ». 2 – « Instaurer un mécanisme stable de traitement du surendettement des Etats souverains ». 3 – « Mieux équilibrer les relations commerciales internationales ». 4 – « Faire bénéficier en priorité de l’APD les pays qui mènent les politiques économiques et sociales les plus efficaces ». 5 – « Rechercher de nouvelles sources complémentaires de financement pour le développement ». 6 – « Répondre aux besoins en termes de santé publique ou d’éducation qui restent immenses chez les plus pauvres ».

Quelques semaines plus tard, le 5 mars 2002, lors du premier Forum européen pour le développement durable et une entreprise responsable organisé par le quotidien Les Echos, Fabius prônera une relance de l’aide au développement fondée sur une « nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux du FMI en faveur des pays pauvres » et la « recherche d’une forme de prélèvement international pour le développement ».

En 2002, la victoire de Chirac à la présidentielle et de la droite aux législatives qui suivent met fin à la troisième cohabitation. Fabius quitte le gouvernement et redevient un simple député PS de Seine-Maritime. Il va se préparer alors pour la présidentielle de 2007 (il échouera aux primaires face à Ségolène Royal) et dans cette perspective s’intéressera à nouveau à l’Afrique. Le financier d’origine béninoise Lionel Zinsou, alors associé-gérant de la Banque Rothschild, lui organisera, en 2006, une tournée qui le conduira au Sénégal et au Mali (le séjour prévu au Ghana dans le programme initial n’aura pas lieu).

A son retour à Paris, Fabius publiera dans Le Figaro (22-23 juillet 2006) une chronique dans laquelle il exprimera sa crainte qu’à l’occasion de la campagne pour la présidentielle 2007 « nous parlions trop peu de l’Afrique ». Or, en ce qui la concerne, il proposera quatre « changements de fond ». 1 – « Changement dans nos mémoires » afin de sortir du « déni, notamment sur la question de l’esclavage et du travail forcé ». 2 – Changement de notre politique d’immigration, « l’immigration choisie [étant] ressentie par beaucoup comme une atteinte à leur dignité, une façon de mépriser les Africains déjà présents en France et de vouloir piller la matière grise de ces pays ». 3 – Changement de notre politique commerciale, le « juste échange » plutôt que le libre échange. Il proposait notamment de « refuser de réduire les Accords de partenariat économique (APE) à de simples zones de libre-échange, et agir pour que ces accords prévoient un plan d’investissement massif d’afin d’accélérer l’intégration régionale, une période de transition longue, permettant les adaptations nécessaires et la suppression des subventions déloyales ». 4 – Changement dans notre relation avec l’Afrique afin « d’en finir avec la Françafrique ».

Ce bref tour d’horizon est restreint. Mais formate, me semble-t-il, ce qui sera le fondement de la relation nouvelle que le gouvernement Hollande/Ayrault souhaite instituer entre la France et l’Afrique ; et dans ce cadre, Canfin semble en adéquation avec Fabius* : l’Afrique est appelée à se développer à condition que la « mondialisation » lui en laisse l’opportunité. Plutôt que de se mêler des petites affaires franco-africaines qui bien souvent ne profitent qu’aux intermédiaires, il convient de se préoccuper des fondamentaux économiques et de relancer une APD qui bat de l’aile. Une tendance qui pourrait s’aggraver du fait de la crise de l’économie « occidentale ». L’APD aurait chuté de 3 % en 2011 – une première depuis 1997 – et la part destinée aux PMA a reculé de près de 9 %. La France, troisième donateur européen derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni, a enregistré une baisse de 5,6 % de son APD en 2011 (soit 0,46 % de son revenu national, loin de l’objectif fixé par l’ONU de 0,7 %).

En résumant désormais la « coopération » au « développement » (sans que l’on sache quel sera le champ d’intervention de ce ministère délégué), le gouvernement Hollande/Ayrault ne renoue-t-il pas avec l’ambition initiale du ministère de la Coopération lorsqu’il a été créé à la demande du général De Gaulle en 1959 ? Il s’agissait alors de contribuer au développement de l’Afrique autonome puis indépendante. C’est par ailleurs François Mitterrand qui, en 1981, l’avait rebaptisé ministère de la Coopération et du Développement. Son intégration aux Affaires étrangères, le 1er janvier 1999, puis son transfert de la rue Monsieur à la rue de la Convention en 2008 en avaient fait une administration comme une autre sauf que 27 ministres, ministres délégués et secrétaires d’Etat ont assumé cette mission depuis plus d’un demi-siècle, ce qui est un record !

Il est vrai que la « Coopé » est décriée depuis qu’elle est assimilée aux dérives des relations franco-africaines (le point de départ en est l’affaire « Carrefour du développement » au temps du socialiste Christian Nucci - 1982/1986 - ; auparavant ces dérives étaient le fait de la « cellule Foccart » au sein de l’Elysée). Les dérives, ce sont justement les « bêtes noires » de Canfin. Arrivera-t-il à changer la manière d’être de la France en Afrique (et, trop souvent, de l’Afrique à l’égard de la France) ? On ne peut que le souhaiter !

* Dans l’entretien accordé à Vincent Rémy (Télérama du 25 janvier 2012), Pascal Canfin rappelle « qu’une grande partie des lois de déréglementation financière, à commencer par les stock-options introduites en France par Laurent Fabius, ont été prises sous François Mitterrand, et avec un gouvernement socialiste ». Mais il ajoute aussitôt : « Ma conviction est que les responsables socialistes ont évolué, mais qu’ils devront être aiguillés, dans la future coalition de gouvernement, si l’on veut mener à bien une vraie réforme du système financier… ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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