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JANAMITRA DEVAN, VICE-PRÉSIDENT DU GROUPE DE LA BANQUE MONDIALE CHARGÉ DU SECTEUR PRIVÉ : « Ce serait une erreur si le Burkina se focalise uniquement sur les mines »

Publié le mercredi 16 mai 2012 à 01h46min

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L’or est devenu depuis 2009, la principale source de devises du Burkina Faso, mais pour le vice-président du Groupe de la Banque mondiale chargé du Développement du secteur financier et privé (FPD), également vice-président de la Société financière internationale (SFI), il faut absolument diversifier l’économie burkinabè. Janamitra Devan qui lance cet appel, a assisté le jeudi 9 mai 2012, à la 3è session du Conseil présidentiel pour l’investissement (CPI) à Ouagadougou. Entre un déjeuner avec des hommes d’affaires burkinabè et une audience avec le président du Faso, Blaise Compaoré, Sidwaya a échangé avec cet économiste américain sur les actions de la SFI au Burkina Faso, les potentialités d’investissement et le contrôle des dettes publiques en Afrique pour conjurer la crise en Europe.

Sidwaya : Vous avez participé à la 3è session du Conseil présidentiel pour l’investissement. Que retenez-vous des débats, ainsi que des principales conclusions de cette rencontre ?

Janamitra Devan : C’était une très bonne session, dirigée d’ailleurs, par le président du Faso, Blaise Compaoré. Ce fut une bonne opportunité d’échanges autour des réformes concernant le climat des investissements. Celles-ci ont été présentées et discutées avec une forte adhésion du secteur privé. La Banque mondiale et la Société financière internationale sont satisfaites des nombreuses réformes entreprises par le Burkina Faso et souhaitent leur poursuite, afin d’accélérer son développement.

Nous sommes contents de la façon dont les échanges se sont menés. Il y a un consensus sur la nécessité d’un changement. Une des préoccupations du secteur privé est relative à l’accès au financement. Sans un accès à un financement conséquent, il serait difficile de développer le secteur privé. La Banque mondiale et la SFI sont prêtes à examiner avec le gouvernement cette difficulté pour trouver ensemble les moyens d’accroître les financements en faveur du secteur privé.

Le gouvernement a adopté une Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD) qui vise à doubler le Produit intérieur brut (PIB) voire à le hausser de 7%. Cela nécessite la mise en place de moyens comme le renforcement des capacités des ressources humaines. Le gouvernement a alors émis le vœu de développer des pôles de croissance semblables à celui de Bagré pour l’agrobusiness et dans le secteur minier. Ces derniers points n’ont pas été explicitement abordés, au cours de la session, mais il était important d’en discuter.

S. : Un peu partout en Afrique se créent des CPI placés sous la présidence des dirigeants au Bénin, au Mali ou au Sénégal, par exemple. Sont-ils réellement des instruments efficaces pour attirer davantage d’investisseurs ou bien s’agit-il de simples effets de mode ou l’injonctions de la Banque mondiale ?

J. D. : Le CPI existe effectivement ailleurs. Plusieurs pays l’ont adopté à travers le monde. Ces initiatives existent, non seulement en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Amérique latine et en Asie. C’est un cadre important à mon avis, car il permet des échanges utiles entre les autorités politiques, gouvernementales et le secteur privé. A titre d’exemple, si le secteur privé n’avait pas posé le problème du financement des PME, cela n’aurait pas eu l’écho que nous avons connu auprès du gouvernement et du président du Faso. C’est un forum important. Je ne pense pas qu’il faille arrêter ces genres de concertations qui permettent de réunir les secteurs publics et privés pour échanger autour des décisions politiques, afin de voir si le secteur privé participe directement à la formulation des projets le concernant.

Dans les pays où ce type de forum a réussi, les discussions sont menées avec des objectifs précis, tels que la résolution des questions du chômage des femmes et des jeunes.

S. : Que fait la SFI au Burkina Faso ?

J. D. : La SFI s’investit dans le domaine de l’appui-conseil ici, au Burkina Faso. La SFI a mené un programme d’amélioration du climat des investissements, la première phase de ce programme a été déjà exécutée. Il y a eu beaucoup d’interventions en matière d’amélioration des procédures de création d’entreprises. Cela a permis d’apporter des changements majeurs, en termes de création d’emplois. Grâce à l’amélioration des procédures et à la réduction des coûts de création d’entreprises, nous avons remarqué que 1000 nouvelles entreprises ont été créées pour des investissements de 8 millions de dollars. La SFI est très engagée dans son rôle d’encadrement et de conseiller, maintenant elle veut impulser l’investissement direct. La SFI est une filiale de la Banque mondiale qui peut prendre des parts dans les entreprises et éventuellement, dans les banques commerciales. Dans l’avenir, elle va renforcer ses activités au Burkina Faso, en prenant des participations dans le capital de banques commerciales.

S. : Les investissements au Burkina Faso concernent de loin le secteur minier. Que faut-il faire pour étendre les investissements à d’autres filières ?

J. D. : Il faut dire qu’avec la SCADD, le Burkina Faso s’est rendu compte que son économie n’était pas assez diversifiée. Elle repose principalement, sur le coton et sur le secteur minier qui connaît un véritable essor. C’est pour cela que le gouvernement s’est décidé à se tourner vers d’autres secteurs. Certes, les mines sont des ressources naturelles et un don de Dieu au Burkina, mais il faut aller au-delà de l’exploitation ou de l’extraction. Les mines sont importantes pour ce qu’elles apportent au pays. Le défi ici, c’est comment intégrer les autres secteurs à l’industrie minière, afin d’accélérer le développement. Le secteur minier doit insuffler le développement des autres industries auxiliaires. Nous avons donc besoin des autres services tels les banques, la vente en gros et en détail, etc.

S. : Comment la Banque mondiale peut-elle accompagner le Burkina Faso afin que les mines qui génèrent aujourd’hui tant d’argent pour les investisseurs créent aussi beaucoup d’emplois pour les Burkinabè ?

J. D. : Il est vrai que le secteur minier ne crée pas beaucoup d’emplois, mais il apporte des bénéfices au gouvernement, à travers le paiement des royalties, des taxes et autres recettes fiscales que le gouvernement peut utiliser pour le développement économique, en général. Je pense que même si le secteur minier ne crée pas assez d’emplois aujourd’hui, il soit tard pour reculer car le secteur a une réelle valeur. L’erreur que le Burkina Faso ne devrait pas commettre comme certains pays, c’est d’ignorer que le secteur minier peut accroître l’essor des PME et PMI. Les compagnies minières et le gouvernement ont l’obligation de soutenir ce processus. Il faudra aussi faire en sorte que les autres secteurs bénéficient de l’expertise, de la technologie, de ressources humaines qualifiées. On peut penser à toutes sortes de PME pour créer des emplois.
Le Burkina fait ses premiers pas parmi les pays miniers ; son ambition doit être de conquérir le marché international.

S. : Quels autres secteurs peuvent être développés autour de l’industrie extractive ?

J. D. : Le secteur minier n’est pas éternel, d’où l’importance de la diversification. Ce serait une grosse erreur si le pays se focalise uniquement sur l’industrie minière. Ce serait une erreur pour le Burkina de ne pas percevoir comment le secteur minier peut impacter les autres secteurs et induire le changement. On peut penser à la transformation des denrées alimentaires et du coton par exemple, jusqu’à avoir un produit fini.

Le Burkina Faso a une potentialité pour diversifier ses secteurs d’investissement et c’est maintenant qu’il faut le faire. Les pays qui ne l’ont pas fait ont commis une erreur. Il y a un concept en économie selon lequel les ressources doivent servir de moteur pour accroître le revenu moyen. Des pays qui ont des ressources minières importantes s’en sont servi pour se développer, mais ont connu une stagnation par la suite. Les ressources naturelles sont un don de Dieu, mais il faut en faire un usage judicieux.
Le secteur minier, tout comme celui du coton, repose sur des produits. Il est alors nécessaire de diversifier car ce sont des secteurs qui ne sont pas éternels.

S. : Les PME se plaignent des difficultés d’accès aux crédits bancaires. Quel mécanisme préconisez-vous à la Banque mondiale et à la SFI, pour que les PME/PMI puissent bénéficier de meilleurs accompagnements du secteur bancaire et financier ?

J. D. : La question du financement est une équation difficile à résoudre. Il faut donc faire attention. Il ne suffit pas d’octroyer des fonds aux PME/PMI. Il faut s’assurer qu’il y a des mécanismes mis en place pour le remboursement, parce que les banques ont besoin de garanties pour que l’argent prêté soit remboursé. Pour cela, ces PME doivent avoir des compétences de base, telles que la tenue de comptes et des ressources humaines compétentes, etc.
Nous ne sommes pas contre le financement des moyennes entreprises. La Banque mondiale et la SFI travaillent déjà sur des facilités de financement pour les PME. Mais tout en accordant les financements, il faut qu’il y ait d’autres initiatives de renforcement de ces PME.

S. : Comment les pays africains doivent-ils se comporter pour éviter de tomber dans les déficits budgétaires qui menacent aujourd’hui, les fondamentaux de l’économie européenne ? Que fait la Banque mondiale pour aider les Africains à se prémunir de la crise ?

J. D. : La crise en Europe se poursuit, elle connaît des rebondissements avec ce qui se passe en Grèce et en Espagne, notamment. Cette crise ne va pas mettre fin à l’existence de l’euro comme le prédisent effectivement des analystes, parce que les gouvernements européens sont en train de prendre les mesures nécessaires pour préserver leur monnaie. Pour la deuxième partie de la question, c’est plutôt les pays d’Europe de l’Est qui en subiront les conséquences, en termes de réduction de crédits. Pour l’instant, cette crise n’a pas un impact significatif pour l’Afrique. Mais, la situation pourrait s’aggraver, c’est pourquoi il faut surveiller le cours des monnaies locales et la fiscalité intérieure des pays. Je ne crois pas que cette crise européenne va affecter gravement l’économie africaine comme on le pense.

Il faut s’assurer aussi que les banques centrales contrôlent de près la situation dans leurs pays. Ceci dit, il faut être très prudent et la Banque mondiale suit de près et aide les pays africains à mener des exercices de simulation de la crise, afin de mesurer leur capacité à y faire face. Je n’ai pas trop de crainte pour l’Afrique, mais il faut suivre de près l’évolution de cette crise pour éviter toute contagion.

Interview réalisée par Romaric OLLO HIEN

Sidwaya

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