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Abdou Mbaye, premier ministre du président Macky Sall : Au nom du père et du monde des affaires (2/2)

Publié le samedi 14 avril 2012 à 12h36min

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« Gouverner autrement, c’est bannir les passe-droits, le favoritisme et le trafic d’influence ; c’est mettre l’intérêt public au-dessus de toute autre considération et traiter tous les citoyens avec la même dignité et le même respect […] Dans la gestion vertueuse des affaires publiques […], il ne saurait y avoir de place pour l’arrogance, l’autoritarisme, le règlement de comptes ou la sollicitation de privilèges et avantages indus ».

Avec un tel « message à la nation » prononcé le 3 avril 2012 à la veille de la célébration de la fête de l’indépendance et au lendemain de sa prestation de serment, la marge de manœuvre du président Macky Sall était étroite dès lors qu’il lui fallait nommer un Premier ministre. Aucun leader politique l’ayant soutenu dans sa conquête du pouvoir ne symbolisait ce « gouverner autrement ». C’est pourquoi il a appelé le fils de celui qui, lors de la leçon inaugurale de la rentrée académique 2005-2006 de l’université Cheikh-Anta-Diop, avait choisi de traiter « l’éthique aujourd’hui ». « Demandons-nous chaque fois que nous sommes tentés d’avoir un comportement non éthique ce que serait la vie si chacun faisait comme nous. Demandons-nous ce que serait une société de délateurs, de profiteurs, de voleurs, de corrupteurs et de corrompus, d’indisciplinés, d’insouciants, d’égoïstes, de fraudeurs ; la liste est longue, mais la réponse est une : ce serait une société vouée à l’échec et peut-être à la déchéance et à la misère matérielle et intellectuelle ».

Voilà donc Abdoul Mbaye, fils aîné de Kéba Mbaye (cf. LDD Sénégal 0173/Lundi 9 avril 2012), promu Premier ministre. Un grand bourgeois (ce qui à Dakar confine à la dynastie même si les Mbaye n’appartiennent pas à l’aristocratie), considéré, en 2000, comme le « meilleur banquier du Sénégal ». Né en 1953, diplômé de l’Ecole des hautes études commerciales (HEC), titulaire d’une maîtrise de sciences économiques de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, d’un DESS de sciences économiques de l’université de Dakar, Mbaye a débuté sa carrière en 1976 à la BCEAO, à Dakar. En 1982, au lendemain de l’accession au pouvoir d’Abdou Diouf, alors qu’il n’a pas encore la trentaine, le voilà promu PDG de la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS). Cette institution financière, créée en 1979, était chargée d’apporter un appui financier à la politique de développement de l’habitat social en favorisant la location-vente et la location simple.

En janvier 1990, après avoir entrepris d’assainir et de rentabiliser la BHS en multipliant les partenariats, Mbaye cédera la place à Amadou Bassirou Dia. Le voilà administrateur-directeur général de la Banque internationale de l’Afrique occidentale (BIAO-Sénégal). Alassane D. Ouattara venait, quant à lui, d’être nommé, un an auparavant, gouverneur de la BCEAO. Il avait sur son bureau un dossier brûlant : celui de la BIAO, la plus vieille banque française d’Afrique (créée en 1901, elle était l’héritière de la Banque du Sénégal créée, elle, en 1853), confrontée à des difficultés de gestion. La BNP, actionnaire majoritaire de la BIAO, voulait liquider la maison-mère, BIAO-SA, et ses filiales les plus mal en point (Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun). Ce que ne voulaient pas les gouvernements africains concernés. ADO va négocier avec la BNP (ce sera le premier « plan Ouattara » avant qu’il ne prenne en charge le gouvernement ivoirien). Avec le concours de Pierre Bérégovoy, ministre français (et socialiste) de l’Economie et des Finances, ADO va entreprendre de sauver les banques africaines. BIAO-Sénégal sera ainsi rachetée par Jean-Claude Mimran. C’est lui qui embauchera Abdoul Mbaye.

A l’instar de Mbaye, Mimran est un grand bourgeois membre d’une dynastie. Son père, Jacques Mimran, dont la famille était originaire d’Algérie, a été une des personnalités majeures du Sénégal pré et post-indépendance. Léopold Sédar Senghor disait de lui qu’il était le « père de l’industrie » sénégalaise. Mais il était également très présent en Côte d’Ivoire. A sa mort, en 1975, c’est Jean-Claude qui a pris la suite. Et, du même coup, coiffé la couronne de « roi du sucre » (le groupe Mimran c’est, d’abord, la culture de la canne à sucre du côté de Richard-Toll, sur la rive gauche du fleuve Sénégal, et le monopole commercial qui va avec). Mais le groupe Mimran c’est beaucoup d’autre choses aussi permettant à son PDG de figurer dans le top 30 des Français les plus riches (en fait, il est installé à Monaco et, surtout, en Suisse, et a des activités très diversifiées) avec une fortune estimée entre 900 et 1.200 millions d’euros !
Mimran va donc confier la gestion de la BIAO-Sénégal à Abdoul Mbaye. Qui va en faire une pépite financière qui deviendra, par la suite, la Compagnie bancaire pour l’Afrique de l’Ouest (CBAO), histoire de faire oublier ses origines.

Dans le même temps, il sera nommé vice-président de la Seninvest, premier établissement de capital-risque de la zone UEMOA, président de la société de crédit-bail Sogeca, administrateur de Mastercard pour l’Afrique et le Moyen-Orient… En 1997, il retourne à la BCEAO en tant que directeur central. Il y reste peu de temps. En décembre 1998, il sera nommé administrateur provisoire de la Banque sénégalo-tunisienne (BST) et en avril 1999, il en devient administrateur-directeur général. En détachement de la BCEAO, il va s’occuper de redresser la BST pour le compte de l’entrepreneur de travaux publics Alioune Sadio Sow, patron de la Compagnie sahélienne d’entreprise (CSE). Il a obtenu pour cela un statut de manager-actionnaire.

Quand les relations entre Sow et Mbaye vont se dégrader (les deux hommes n’ont pas la même perception du rôle des banques dans le financement de l’économie ; et c’est un euphémisme), c’est le groupe bancaire marocain Attijariwafa Bank qui mettra la main sur la BST, Mbaye encaissant au passage un chèque de 4 milliards de francs CFA tout en étant maintenu comme directeur général avant d’être « démissionné » au profit d’un cadre bancaire marocain. Depuis, Abdoul Mbaye a investi dans la prospection de l’or. Et la société minière dont il est un des actionnaires, Sored-Mines SA, a mis au jour, en 2007, un gisement dont le potentiel est estimé à 18 tonnes d’or « avec de réelles possibilités d’extension ». C’est du côté de Tambacounda (dans l’Est du Sénégal), sur le périmètre de recherche de Niamia, que la découverte a été opérée après près de trois ans de recherches. Le 2 novembre 2007, une concession pour or et substances connexes a été ainsi accordée par le gouvernement.

Richissime homme d’affaires*, peu enclin à s’engager en politique (il s’était prononcé, cependant, en 1988, en faveur de la réélection d’Abdou Diouf dénonçant alors une « opposition démagogique »), Abdoul Mbaye va être un premier ministre quelque peu anachronique dans l’histoire politique sénégalaise. D’autant plus anachronique qu’il n’a rien d’un homme lige (il l’a prouvé à Mimran et à Sow). C’était, déjà, la tentation des années 1990 : nommer des économistes et des financiers au poste de Premier ministre. On a ainsi vu débarquer Casimir Oyé M’Ba à Libreville, le professeur Lunda Bululu à Kinshasa, Nicéphore Soglo à Cotonou, Alassane D. Ouattara à Abidjan. Cela ne leur a pas si mal réussi. Est-ce que cela a réussi aux pays dont ils avaient la charge ? C’est une autre affaire. Face à une conjoncture économique fortement détériorée et à une situation financière tendue, alors que les Sénégalais ont affirmé la lassitude qui était la leur à l’égard d’une classe politique peu encline à l’introspection, Mbaye va imposer une autre façon d’être à son gouvernement dans la droite ligne du « gouverner autrement » prôné par le chef de l’Etat. Il faut espérer qu’il réussisse dans cette tâche.

* Je rappelle que son frère, Cheikh Tidiane Mbaye, ingénieur de l’Ecole nationale supérieure des télécommunications (ENST-Paris) et statisticien-économiste de la prestigieuse Ecole nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), PDG de la Sonatel (poste auquel il avait été nommé par Abdou Diouf, en 1988, à seulement 32 ans), a été promu, fin 2010, par le président Abdoulaye Wade, à la présidence du conseil d’administration de la Sénélec (cf. LDD Sénégal 0145/Lundi 22 novembre 2010).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 14 avril 2012 à 16:36, par Alexio En réponse à : Abdou Mbaye, premier ministre du président Macky Sall : Au nom du père et du monde des affaires (2/2)

    Le Probleme africain n est pas le manque des intellectuels issuent des grandes ecoles europeenes nantient des diplomes,mais notre comportement africain en face de la chose publique que beaucoup n ont pas cette notion elementaire qui leurs a echapper au cours de l education estudiatine.L integrite morale bouffer par un systeme corruptif ont contraint nos etudiants en retour au pays a se prostituer pour le pouvoir du jour.

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