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Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

Publié le mercredi 11 avril 2012 à 15h15min

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Rabat observe avec une attention particulière ce qui se passe du côté de « l’Azawad ». Le Royaume du Maroc n’a pas de frontière commune avec le Mali, n’appartient pas à l’Union africaine et se trouve être, en Afrique du Nord, avec l’Algérie, le pays qui a été le moins concerné par le « printemps arabe » qui y a changé la donne politique en 2011.

Mais c’est, incontestablement, le pays arabe du continent qui a le plus d’intérêts diplomatiques, économiques et financiers en Afrique sub-saharienne. D’où un regard particulier sur ce qui se passe actuellement du côté de Bamako et, plus encore, à Gao et à Tombouctou.

Ajoutons que le grand voisin arabe du Mali se trouve être l’Algérie et que les relations entre Rabat et Alger sont toujours particulièrement volatiles. Et puis, cerise sur le gâteau, c’est le Parti de la justice et du développement (PJD), parti islamique modéré, qui a remporté la majorité aux législatives de novembre 2011, amenant le souverain chérifien à nommer son leader, Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement. On sait aussi que ce gouvernement est favorable à un retour du Maroc au sein de l’Union africaine (dont il n’est plus membre depuis 1984, c’était au temps de l’OUA). Youssef Amrani, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, aime à rappeler que le Maroc est observateur à la Cédéao et que « c’est d’ailleurs grâce au vote des Africains [que le Royaume a] été élu au Conseil de sécurité de l’ONU pour la période 2012-2013 ». Il dit encore : « Nous sommes conscients aujourd’hui que notre priorité, c’est l’Afrique » (entretien avec Leïla Slimani – Jeune Afrique du 29 janvier 2012).

La proclamation de l’indépendance de « l’Azawad » par le MNLA a été qualifiée par Rabat de décision « totalement inacceptable pour le Royaume du Maroc eu égard à ses graves incidences sur la paix, la sécurité et la stabilité dans la région tout entière ». L’accord obtenu par la Cédéao permettant un retour à l’ordre constitutionnel et l’instauration d’un régime de transition a été qualifié de « pas positif sur le voie du retour à la vie politique », le Maroc, par la voix de son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération Saad-Eddine El Othmani, assurant que « le Maroc continuera à déployer davantage d’efforts pour que la région du Sahel retrouve la paix et la stabilité ». Mais derrière l’engagement de Rabat en faveur de « l’intégrité territoriale du Mali » il y a d’autres motivations.

Dans son éditorial (samedi 7-dimanche 8 avril 2012), le quotidien marocain Le Matin explicite ce point de vue. Il y a d’abord la question du Sahara occidental que le Maroc revendique depuis toujours comme son territoire. « Ce n’est pas le laïus contenu dans le communiqué du MNLA sur le droit à l’autodétermination des peuples et sur l’attachement à la Charte des Nations unies qui fera douter la communauté des nations du danger du séparatisme en Afrique, écrit Le Matin. L’Union africaine elle-même, dont le Maroc est absent depuis 1984 pour cause de reconnaissance illégale et illégitime d’un Etat factice [la RASD], s’égosille, aujourd’hui, certainement à juste titre, en appelant au respect de l’intégrité territoriale du Mali. Une des facéties de l’Histoire ». Tout est dit. Mais au-delà de ce « dossier du Sahara occidental », Le Matin entend aller plus loin. « C’est sur le plan de la région que les choses doivent avancer. Le temps n’est plus aux petits calculs et aux stratégies individuelles sans issue. Le Maghreb en tant que bloc institutionnel est menacé. C’est collectivement que ce bloc doit réagir. La démarche algérienne des pays dits du champ pour contrer le terrorisme au Sahel a besoin, à la lumière du drame malien, d’une profonde mise à jour ».

Au sein du gouvernement Benkirane, Othmani, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, milite pour un réchauffement des relations entre Rabat et Alger. Sa visite dans la capitale algérienne, les 23-24 janvier 2012, n’a pas, pour autant, permis d’avancer et la politique « pro-algérienne » d’Othmani est souvent brocardée dans le Royaume. D’autant plus que lors des travaux du conseil des droits de l’homme, voici peu de temps, à Genève, la délégation algérienne a dénoncé les atteintes marocaines aux droits de l’homme dans les territoires du Sahara occidental. Il est vrai que Benkirane, le nouveau premier ministre marocain, venait de déclarer publiquement « que si les islamistes ne sortent pas vainqueurs des prochaines élections législatives algériennes [mai 2012], comme ce fut le cas au Maroc, en Tunisie et en Egypte, ce serait anormal… ». Ambiance ! L’enlèvement par le Mouvement pour l’unité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) de Boualem Sias, consul algérien à Gao, et de six de ses collaborateurs, a été l’occasion pour Othmani de dénoncer cet acte et d’assurer son homologue algérien, Mourad Medelci, de la « solidarité du Maroc avec le peuple algérien ainsi qu’avec les otages et les familles affectées par cette épreuve ».

L’occasion, également, de rappeler que « les problèmes du Mali ne peuvent être résolus qu’à travers le dialogue, la compréhension et les voies pacifiques ». La question du terrorisme est sensible en Algérie. D’autant plus sensible que les leaders d’AQMI sont essentiellement d’origine algérienne. On sait aussi qu’Alger est farouchement opposé à toute présence militaire étrangère sur sa frontière Sud, autrement dit dans « l’Azawad ». Or, Le Matin, dans son éditorial, souligne : « Que la France s’engage sur le plan logistique avec les pays de la Cédéao sur une initiative militaire est une dimension possible de la solution ». Mais le quotidien marocain ajoute aussitôt : « Mais elle ne se substituerait nullement à une initiative maghrébine, nord-africaine, construite et clairement formulée pour la paix, la sécurité et la stabilité au Sahel ». Autrement dit, pour éviter toute intrusion étrangère (et notamment « occidentale ») dans le « corridor sahélo-saharien », il faut une action conjointe maghrébine. Dont le « moteur » n’est autre que « le couple algéro-marocain ».

Les Marocains redoutent que l’indépendance revendiquée par « l’Azawad » ne donne des idées à d’autres mouvements et évoquent les Peuls « dont la situation est similaire à celle des Touareg », les Touareg du Niger, le Mouvement d’émancipation du delta du Niger (MEND) au Nigeria, les indépendantistes de la Casamance, etc. « Une mauvaise gestion de cette double crise au sein de la Cédéao aurait des répercussions jusqu’alors insoupçonnables » écrit Driss Hidass dans Le Matin, alors que « le séparatisme en collusion avec AQMI au Sahel submerge le Mali ». De son côté, L’Economiste (6 avril 2012), après avoir souligné que le Mali est « un des alliés les plus sûrs du Maroc sur le dossier sur Sahara malgré les pressions algériennes », note que « si elle persiste, cette instabilité du Mali transformerait alors le Sahel en « paradis » pour tous les groupuscules terroristes, AQMI et ses filiales, ainsi que pour les trafiquants de drogue et des armes qui écument le désert. Cette évolution, écrit le journal économique marocain, serait une source de déstabilisation pour les pays frontaliers du Mali (Mauritanie, Niger, Burkina Faso, Sénégal – protégé certes par le fleuve Sénégal – et la Côte d’Ivoire) et augmenterait la méfiance des investisseurs à l’égard de la région ». L’Economiste rappelle que le Mali est « l’une des destinations préférées des grandes entreprises marocaines sur le continent africain » qu’il s’agisse des banques, des télécommunications, des infrastructures, de l’ingénierie, du conseil…

Si au Sud du Sahara, la priorité a été de « traiter » la question du coup d’Etat militaire, au Nord, c’est le « terrorisme islamiste » qui préoccupe tout le monde, y compris les islamistes qui sont au gouvernement. Alger, qui a payé le prix fort – plus de 200.000 morts lors de la lutte contre l’islamisme radical – s’est trouvé débordé par l’irruption d’un mouvement armé touareg sur sa frontière saharienne, en connexion avec des leaders du « terrorisme islamiste » que les Algériens connaissent bien*. C’est ce que Rabat, qui n’a pas de frontière avec le Mali, ne manque pas de rappeler aux Algériens. Histoire de leur mettre un peu de pression.

* Iyad Ag Ghali, chef d’Ansar Eddin, a participé aux accords d’Alger de 2006 entre Bamako et la rébellion touarègue.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 11 avril 2012 à 19:54, par mam En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

    La dessus, c’est un joli pied de nez que l’histoire fait au Mali qui a toujours soutenu le Sahara Occidental. Comme quoi, avant de se mêler des problèmes des autres, il faut s’occuper des siens.
    L’UA devrait commencer à assumer les erreurs de sa soeur ainée (OUA) et présenter ses excuses au peuple marocain pour le soutien qu’elle a apporté aux saharaouis.

  • Le 11 avril 2012 à 22:30, par marocaine En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

    De toute façon, quoi que fasse le Maroc il sera toujours critiqué. Un proverbe marocain dit "c’est comme si on versait de l’eau dans du sable" !! Ceci dit, faudrait peut-être que notre gouvernement change de politique et fasse comme font les autres voisins,c’est à dire : ni vu ni connu, la sourde oreille .. après eux le déluge !! que les autres se fassent déchiqueter ou qu’ils crèvent la dalle .. rien à cirer !! Finit les aides humanitaires, finit les aides médicales .. chacun pour soi, et dieu pour tous !!!

  • Le 11 avril 2012 à 22:47, par Sbaai En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

    le Maroc est d accord pour l indépendance de l azawad a condition que la déclaration de l état d azawad émane des deux parties en conflit le ministre marocain a dit il faut que la déclaration soit bilatérale et pas unilatérale.d autre part l Algérie ne reconnaîtra pas l état de l azawad meme après l accord du gouvernement malien du fait que les azawadiens ne reconnaissent pas la RASD et du fait que le régime algerien a peur des touaregs de l ex sahara français.c est pour cette raison que le régime algerien a fait entrer en seine l AQMI en tant que trouble fête pour contrecarrer l aspiration des azawadiens .

  • Le 12 avril 2012 à 00:03, par marocaine En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

    De toute façon, quoi que fasse le Maroc il sera toujours critiqué. Un proverbe marocain dit "c’est comme si on versait de l’eau dans du sable" !! Ceci dit, faudrait peut-être que notre gouvernement change de politique et fasse comme font les autres voisins,c’est à dire : ni vu ni connu, la sourde oreille .. après eux le déluge !! que les autres se fassent déchiqueter ou qu’ils crèvent la dalle .. rien à cirer !! Finit les aides humanitaires, finit les aides médicales .. chacun pour soi, et dieu pour tous !!!

  • Le 12 avril 2012 à 00:09, par marocaine En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

    Vous faites partie de ces pseudos journalistes qui sèment la zizanie entre peuples !!! Comme vous le savez certainement beaucoup d’africains du sud étudient ou travaillent au Maroc .. là où j’habite, y a 5 appartements loués par des familles Sénégalaise, malienne, congolaise ainsi qu’ivoirienne et tout le monde vit en harmonie ! ne faites pas la bêtise de semer la pagaille entre peuple !! A moins que ça ne soit le but par rapport à votre article ..

    • Le 13 avril 2012 à 01:32 En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

      Dans cette affaire, le Maroc, cet autre pôle françafricain en Afrique du Nord, joue une partition que lui dicte la France et les intérêts français et occidentaux. Nous n’en sommes pas dupes.
      Avant de soutenir l’indépendance revendiquée par les Salafistes racistes et autres ethno-sécessionnistes touaregs, le Maroc devrait d’abord reconnaitre l’indépendance et l’intégrité de la RASD (République arabe saharaoui démocratique).

  • Le 12 avril 2012 à 23:59 En réponse à : Le Maroc et les « facéties de l’Histoire » au Mali.

    Je pense que la situation est benefique pour le Maroc et pour tous les pays qui sont dirigés par des islamistes aujourd’hui. N’oubliez pas que le courant indépendantiste au Mali est soutenu par des islamistes, alors que le Polisario au Maroc sont issu d’une ideologie communiste athé, que les islamistes détestent. Moi je vois dans tous ce qui se passent un retour vers une grande confédération islamique qui sera constituée de plusieurs pays ouù les islamistes gouverneront. Il reste que l’Algerie et nous voila dans une Afrique du nord entièrement islamique. dont on ne peut que se réjouir.

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