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Honni soit qui Mali pense !

Publié le dimanche 1er avril 2012 à 18h07min

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Impossible de résister à ce mauvais détournement de la devise de l’ordre de la Jarretière instaurée par le roi Edouard III, au XIVème siècle. « Honni soit qui mal y pense » affirmait la chevalerie anglaise. Autrement dit, honte à celui qui interprète comme répréhensible une action à l’intention innocente. Je ne suis pas certain que le débarquement à Bamako d’une brochette de chefs d’Etat Ouest-africains mandatés par la Cédéao pour tenter de régler « la crise malo-malienne » ait été « une action à l’intention innocente » ; mais, manifestement la junte en place dans la capitale malienne l’a « interprétée comme répréhensible ». Nos chefs d’Etat ont été contraints de faire demi-tour et cela fait désordre, ce qui n’est pas grave ; mais va donner à penser aux « juntistes » qu’ils sont effectivement au pouvoir et qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent quand ils le veulent.

On peut s’étonner d’ailleurs que la flopée de galonnés régionaux qui, depuis hier, sont sur le terrain malien, n’ait pas entrepris de faire sécuriser l’aéroport dès lors que le principe de cette visite de haut niveau était accepté. Mauvaise image pour la Cédéao. Mais mauvais choix diplomatique pour une junte dont il est évident qu’elle n’a pas les moyens de ses ambitions (si tant est qu’elle ait des ambitions autre que de « foutre le bordel » ou, plus exactement, « le boxon »). Le Mali est un pays enclavé, dont le Nord est occupé par des forces armées étrangères (même si on me rétorquera que les Touareg sont, d’abord, des Maliens ; ce qui est indéniable, sauf que le fait d’entrer « en guerre » contre le gouvernement en place à Bamako et de réclamer la partition du pays peut difficilement apparaître comme un acte patriotique !). Sans les transferts financiers des Maliens de la diaspora, sans l’aide des bailleurs de fonds, sans débouchés, sans ports pour évacuer ses productions, confronté à une insécurité alimentaire et à des mouvements population de grande ampleur… le Mali, pays membre de l’UEMOA et donc de la zone franc, ne tardera pas à devenir plus exsangue qu’il ne l’est aujourd’hui.

Le sentiment « souverainiste » des Maliens est-il tel qu’ils ne veulent pas que les chefs d’Etat de la Cédéao se mêlent de leurs affaires ? Sont-ils tellement « souverainistes » qu’ils soutiennent une junte dont l’action aurait été motivée, disait-elle initialement, par l’insuffisance des moyens accordés par Bamako à l’armée pour combattre les « envahisseurs » du territoire national ? Qui pourrait le croire ? Il est plus aisé de bloquer l’accès de l’aéroport international de Bamako que d’aller combattre les « rebelles » dans le Nord dès lors que « la République est en danger ». Et si la détestation d’Amadou Toumani Touré (ATT) est si forte, pourquoi avoir attendu dix ans pour l’exprimer et à peine plus d’un mois avant l’échéance de son dernier mandat ? Bien évidemment la responsabilité du massacre des soldats maliens par les « rebelles » du Nord peut être imputée au chef de l’Etat, chef des armées, mais la situation qui prévaut désormais dans la capitale du Mali est bien plus favorable à cette « rébellion » qu’elle ne l’était il y a une semaine, lorsqu’ATT a été viré de son palais présidentiel.

Le fait qu’ATT sorte de son trou au moment où la Cédéao se réunissait à Abidjan et annonçait son « débarquement » à Bamako pouvait bien sûr laisser penser qu’il jouait un jeu trouble et espérait, peut-être, revenir sur la scène politique via le « syndicat » des chefs d’Etat de la région. Mais, en fait, tout tient en quelques mots, ceux qui font le titre en « une » du quotidien privé burkinabè L’observateur Paalga ce matin (jeudi 29 mars 2012) : « Un commando de chefs d’Etat débarque à Bamako ». Fallait-il tant de « patrons » pour aller prendre langue avec un capitaine mutin ?

Manifestement, hier, à Abidjan, Alassane D. Ouattara, président de la Cédéao, s’est emballé. Chacun sait pourtant que ce n’est pas un va-t-en guerre, ni le nouveau Clausewitz de la géopolitique africaine ; et que les affaires militaires ne sont pas sa tasse de thé. Boni Yayi, président de l’Union africaine, n’est pas mieux loti en la matière. Confusion, précipitation et impréparation ? On peut le penser même si chacun a conscience qu’il y a urgence à éviter une confrontation généralisée. « Cela ne sera pas si simple » a déclaré Blaise Compaoré à la presse de son pays à l’issue du sommet (Sidwaya et Le Pays du jeudi 29 mars 2012, propos recueillis par Bachirou Nana et Mahorou Kanazoé). Le chef de l’Etat burkinabè, qui sait ce que « médiation » veut dire, a ajouté : « Il va être surtout nécessaire, dans les tout-premiers moments, de nous informer davantage sur la nature de cette crise à la fois politique et militaire avec de nombreux intervenants ».

Six chefs d’Etat (Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso, Liberia, Niger, Nigeria) annonçant leur débarquement à Bamako, une semaine après un « vrai-faux » coup d’Etat, pensaient-ils être accueillis par des « mutins » avec tous les honneurs dus à leur rang, tapis rouge, gerbes de fleurs et fanfare ? La contre-manifestation organisée à l’aéroport n’était pas spontanée ; les banderoles exhibées démontrent qu’elle a été organisée sur le thème de la « souveraineté » du Mali.

Reste qu’il faudra bien régler, et le plus tôt sera le mieux (dans le Nord, Kidal, une position stratégique aux frontières du Mali, de l’Algérie et du Niger et une ville symbolique pour les Touareg, est en passe d’être conquise par la « rébellion »), cette crise « malo-malienne » à fronts multiples. Le capitaine Sanogo semble assez sot pour croire que le recul des chefs d’Etat de la Cédéao est une victoire de la « mutinerie », quand ce n’est qu’un échec de la tactique décidée à Abidjan (qui lui sera reproché comme une humiliation ; comment peut-il envisager, dès lors, obtenir ne serait-ce que la considération de ceux qui ont dû rebrousser chemin ?). Il semble plus encore irresponsable quand il veut en convaincre ceux qui, sur le tarmac de l’aéroport, ont empêché ce débarquement (« Le peuple s’est joint à son armée.

Pas pour soutenir une armée qui veut rester au pouvoir, mais pour soutenir une armée qui a sauvé le pays », reportage de France 24 ce jour, jeudi 29 mars 2012). C’est irresponsable et suicidaire. Car il est bien évident que la junte n’a pas les moyens humains, politiques, diplomatiques, économiques, sociaux lui permettant de mettre en œuvre une « transition » qui pourrait aboutir à l’organisation d’élections générales. Le Mali 2012 n’est pas le Mali 1992 quand ATT, installé au pouvoir, a organisé l’accession d’Alpha Oumar Konaré à la présidence de la République. D’autant plus que s’il est des Maliens qui surfent sur la vague du « printemps arabe » de 2011 (sans pour autant s’inscrire dans la philosophie prêtée à ce « printemps »), ce ne sont pas ceux qui s’agitent à Bamako mais ceux qui combattent, dans le Nord du pays, pour imposer un autre mode de production politique.

Fallait-il, face à deux nébuleuses distinctes (les « rebelles » d’une part, les « mutins » de l’autre), engager cette médiation « à l’ivoirienne » avec force tambours et trompettes ? La médiation n’est-elle pas, d’abord, l’expression d’une diplomatie sinon secrète au moins discrète ? Ne soyons pas naïfs non plus ; Blaise Compaoré (médiateur officiellement désigné) n’est pas un amateur et il travaille avec des « pros ». Il n’est pas du genre à ne pas avoir plusieurs fers au feu. Il l’a dit hier à l’issue de la réunion de la Cédéao : « [Le Mali,] c’est un voisin immédiat. Lorsque vous voyez les milliers de réfugiés sur notre sol, il est certain que si cette crise s’envenime, nous allons [en] avoir d’autres milliers. Cela veut dire que c’est une situation qui peut déstabiliser aussi des pays voisins comme le Burkina Faso. Nous avons tous intérêt à nous préoccuper de cette crise ».

On peut donc être certain que Ouaga a d’ores et déjà entrepris de rassembler, en toute indépendance, les renseignements nécessaires à une bonne connaissance de ce qui se passe à Bamako (n’oublions pas que des élèves-officiers burkinabè sont formés à Koulikoro, au Mali, dans le cadre de la coopération militaire franco-africaine) et du rapport de force entre « mutins ». On revient à la case départ. Hier, à Abidjan, ce n’est pas l’axe Ivoiro-burkinabè qui s’est retrouvé en première ligne ; ce n’est que le Burkina Faso (cf. LDD Mali 022/Mercredi 28 mars 2012). Comme d’habitude.

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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