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Macky Sall, nouveau président du Sénégal : On ne vit pas d’alternance et d’eau fraîche

Publié le mercredi 28 mars 2012 à 04h16min

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On se console comme on peut, à l’image de sérigne Mbaké Ndiaye : « Une défaite n’est jamais agréable mais quand elle vous a été infligée par quelqu’un que vous avez couvé, à qui vous avez confié toutes les responsabilités, cela veut dire que les graines que vous avez semées sont bonnes et que les fruits mûrissent ».

Les bureaux de vote venaient de fermer, les dépouillements étaient à peine entamés et on était loin d’avoir des « tendances lourdes », mais Abdoulaye Wade avait tout de suite senti le soufre et venait d’appeler son challenger Macky Sall pour le féliciter et lui souhaiter bonne chance. Ce qu’il oublie de dire, sérigne Mbaké, c’est que depuis douze ans, le candidat dont il est le porte-parole s’est méticuleusement attelé à détricoter le lendemain ce qu’il avait patiemment tissé la veille ; c’est qu’il s’est acharné à déterrer les graines qu’il avait lui-même semées et il fallait que celles-ci soient portées par des vents particulièrement favorables pour aller éclore sur des terreaux plus fertiles que la maison du père. Dans ces conditions, il faut bien se garder de surévaluer les mérites du semeur.

Certes on ne peut que s’incliner devant l’élégance républicaine du président sortant et maintenant sorti qui ne pouvait décemment pas faire « moins que Diouf », lequel, on se le rappelle, s’était plié à la même exigence démocratique quand il avait mordu la poussière face au chantre du Sopi. Mais en reconnaissant d’emblée sa défaite dont l’ampleur reste toutefois à déterminer, Gorgui veut en réalité amortir le choc, se refaire une respectabilité qu’il avait perdue et espère par-là même partir avec un minimum d’honneur et d’égards. Ultime civilité d’un vieil homme qui veut éviter ainsi de quitter la scène sous les huées et les quolibets mais qui ne conclut pas moins de façon piteuse une vie politique à force de vouloir ramer à contre-courant du bon sens et de la raison.

Quoi qu’on dise, c’est une honte que vient d’essuyer le forceur du Point E qui sort de ce fait par la petite porte. L’humiliation est d’autant plus cinglante que beaucoup de gens lui avaient déconseillé de faire le match de trop.

En vain. A 85 ans révolus et après deux mandats de sept et cinq ans à la magistrature suprême, l’illustre chauve de Dakar, présumant sans doute de sa popularité, n’a pas compris que l’heure de la retraite avait sonné, fonçant à corps perdu dans un tazartché à la sauce mafé sous le prétexte qu’il voulait un rabiot de trois ans pour finir ses chantiers. Puisqu’il se voulait éternel et professait le culte de l’indispensabilité comme tant d’autres, il verra bien maintenant qui va les parachever. Il eût été tellement plus sage de ne pas faire dire à la Constitution ce qu’on voulait qu’elle dît coûte que coûte, c’est-à-dire autoriser un troisième bail au Palais, afin d’épargner au pays de la Téranga ces mois de tumulte, ces manifestations violentes qui ont fait tanguer le navire battant pavillon sénégalais et ces morts inutiles ! Au lieu de cela il se sera entêté, il sera allé jusqu’au seuil de l’irréel. On s’était même laissé convaincre qu’après le coup de semonce du premier tour, il aurait, pour sauver les dernières apparences, adopté une posture gaullienne en se déclarant forfait pour la finale du 25 mars parce qu’il aurait compris le message de ses compatriotes. Hélas ! Quel gâchis !

Me Wade, nonobstant des acquis indéniables, paie en réalité une gestion patrimoniale et chaotique du pouvoir : une gouvernance et des institutions malmenées ; la laïcité mise à rude épreuve par un président-talibé à la foi politiquement ostentatoire ; des libertés individuelles et collectives bridées ; des tentatives de musellement des médias et, pour couronner le tout, des velléités supposées ou réelles de dévolution dynastique du pouvoir. C’est tout cela qu’il vient de payer cash. Dans les démocratures, le forcing serait certainement passé mais dans un pays où l’opinion nationale et la société civile sont fortes, où l’administration est suffisamment républicaine et où les forces politiques sont relativement équilibrées parce qu’il y a de gros gabarits disposant d’un considérable trésor de guerre et ayant l’expérience de l’Etat, l’imposture ne pouvait passer, et la sanction a été sans appel.

C’est plus Wade que les électeurs ont puni, ils n’ont pas vraiment plébiscité Sall et si « l’Espoir » (1) renaît après les mirages du Sopi, il devra faire ses preuves et montrer qu’il a une véritable stature d’homme d’Etat. Le fait d’être, pour ce géologue qui vient de trouver la meilleure pépite de la république, le premier à accéder à cette charge après avoir été Premier ministre et président de l’Assemblée devrait l’y aider.

Mais il faut faire vite et répondre à une demande sociale (vie chère, chômage endémique, crise de l’éducation, etc.) particulièrement pressante sans oublier l’épineuse question casamançaise car on ne vit pas seulement d’alternance et d’eau fraîche. Le nouveau chef de l’Etat est bien payé pour le savoir car ceux qui l’ont investi dimanche de leur confiance sont, à bien des égards, les mêmes qui les avaient portés aux affaires un jour de février 2000, lui, Wade, Seck, Niasse et tutti quanti.

En attendant donc la déception de ceux qui espèrent toujours trop et les nouveaux clivages dans le grand front anti-Wade qui s’est formé pour les besoins de la cause, ce scrutin, exemplaire à maints égards, sonne comme une réhabilitation de la démocratie sénégalaise qu’on disait à bout de souffle, et vient apporter un peu d’oxygène à une société qui semblait étouffer. On le sait, les changements comme celui-là sont souvent porteurs d’espoir, celui que demain sera beau, quitte à déchanter une fois l’euphorie retombée, mais c’est aussi cela qui fait le charme de la démocratie.

Bon allez, on ne va pas cracher dans le tjiéboudiène car on connaît de nombreux peuples à travers le continent qui essayeraient bien autre chose s’ils en avaient seulement la possibilité, quitte eux aussi à avoir cette illusion de lendemains meilleurs mais il est des moments où on se dit que ça ne peut pas être pire. De ce point de vue, ce qui vient de se passer à Dakar fait rêver dans de nombreuses contrées africaines.

Ousséni Ilboudo

(1) Traduction de "Yaakar" en wolof, slogan du candidat Sall

L’Observateur Paalga

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