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Vingt et un ans après avoir renversé Moussa Traoré, où est donc passé Amadou Toumani Touré ? (2/2)

Publié le mercredi 28 mars 2012 à 12h37min

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La présidence d’Amadou Toumani Touré (ATT) aura été marquée, dès son accession au pouvoir, par « la crise ivoiro-ivoirienne ». Et, déjà, dans la gestion de cette crise où Bamako sera, un temps, dans le collimateur d’Abidjan, le comportement du chef de l’Etat malien ne sera pas toujours jugé exemplaire – encore moins solidaire !

Rapidement, il adoptera la politique qui sera désormais la sienne : se mettre en retrait dès qu’un problème fait surface. Ce sera plus probant encore pendant son deuxième mandat qu’il débute en 2007 après avoir été réélu dès le premier tour. Il s’attelle alors, dans un contexte continental et international de plus en plus délicat mais auquel il ne semble pas prêter une attention particulière, à consolider les acquis de son premier mandat et à poursuivre les grands chantiers : sécurité alimentaire et diversification de la production agricole ; lutte contre la pauvreté ; scolarisation des enfants et tout particulièrement des filles ; santé et action sociale ; routes et infrastructures ; communication… Mais, au-delà des ambitions économiques et sociales du Mali, ATT entendait poursuivre ses chantiers de la « démocratie consensuelle », notamment en faisant adopter les textes législatifs aux nouvelles réalités du pays, qu’il s’agisse de sa gestion politique ou de sa gestion sociale.

Il avait conquis le pouvoir, en 2002, en surfant sur une notoriété conquise par son… retrait volontaire du pouvoir dix ans auparavant et une aura internationale qui devait beaucoup à sa disponibilité à l’égard des médias. Président de la République du Mali, il va déconstruire peu à peu cette image sans être en mesure de s’en bâtir une autre ; si ce n’est d’être devenu l’adepte d’un « consensus mou » qui va permettre à son entourage de s’adonner au trafic d’influence tandis que les connexions « politico-affairistes » vont se multiplier, y compris dans les secteurs les plus sensibles, notamment le trafic de drogue.

L’image d’ATT va basculer dès lors que le Mali va apparaître, pour la région et la « communauté internationale », comme le « ventre mou » de la lutte contre les Touareg, toujours tentés par la « rébellion », puis le terrorisme. Une perception des choses qui va agacer le chef de l’Etat malien qui choisira la voie de la recherche du « consensus » quand, au Niger, Mamadou Tandja traitera la « rébellion touarègue » comme une association de malfaiteurs. Le Niger sera la cible privilégiée des « malfaiteurs » - AREVA oblige - mais c’est le Nord du Mali qui deviendra le QG de tout ce que la région comptera comme… « malfaiteurs ». Des Touareg mais aussi les animateurs des réseaux terroristes algériens reconvertis dans la prise d’otages, la piraterie sahélo-saharienne, les trafics divers… ATT était confortablement installé à Bamako tandis que le Nord du Mali devenait un parc d’attraction pour tous ceux qui sont en rupture de légalité.

La guerre engagée par les puissances « occidentales » contre le régime de Kadhafi et la mort du « guide de la révolution » vont libérer des combattants et des armes pour relancer la conquête des territoires du Nord, les Touareg trouvant des alliés, dans cette affaire, auprès de groupuscules terroristes et islamistes non-maliens. L’affaire, dès lors, prenait une autre dimension ; il ne s’agissait plus d’utiliser le « corridor sahélo-saharien » pour des activités mafieuses mais d’entreprendre la déstabilisation du régime en place à Bamako. Devant l’ampleur de l’offensive menée contre ATT à la veille d’une présidentielle à laquelle il n’était pas candidat, on pouvait penser qu’il fallait proclamer : « Il faut sauver le soldat… de la démocratie malienne ». Il n’en a rien été.

Attentisme, irrésolution, mollesse, complaisance… ATT, aussi empesé que son « gagni », ce bazin riche dont il est particulièrement friand et qui fait la réputation d’élégance du Mali, a subi l’usure d’un pouvoir dans lequel il s’était, finalement, complaisamment installé. L’homme qui avait fait tomber Moussa Traoré (tout en reconnaissant qu’il n’avait donné que le coup de pouce final à un mouvement dont le peuple était l’initiateur) et avait cédé le pouvoir aux civils après avoir remis de l’ordre dans le pays, n’était plus qu’un chef d’Etat comme un autre dont la gouvernance était contestée. Tout comme sa diplomatie. 2012 a fini par faire oublier 1991. Les otages « occidentaux » s’entassent dans le Nord Mali, et les « terroristes » et autres « islamistes radicaux » ont transformé la région en Club Med de la grande époque Trigano-Blitz. Et pour participer à ses activités de « contre-société », on vient de toute la région.

Le Mali est devenu, progressivement, mois après mois, le pôle de fixation de tous ceux qui entendent imposer une nouvelle règle du jeu sans que ATT ne semble s’en préoccuper particulièrement. Sa « distanciation » par rapport à cette situation apparaîtra comme une caution. Et parfois même comme une connexion entre la rébellion touarègue et certaines personnalités de la nébuleuse politico-affairiste qui s’activent dans l’entourage du chef de l’Etat. Du même coup, il n’y avait pas grand monde pour aller « sauver le soldat… de la démocratie malienne » qui donnait l’impression de ne plus être l’homme qu’il avait été (ou avait laissé penser qu’il avait été ?). Et quand les pays voisins du Mali vont subir les « effets collatéraux » de la guerre déclarée par la « rébellion touarègue », ils laisseront ATT mariner dans son bac à sable. Priorité au traitement « humanitaire » (et « alimentaire ») des flux de réfugiés, mais refus de s’impliquer plus avant dans une situation intérieure malienne. C’était en quelque sorte le message diffusé par Djibrill Y. Bassolé, le ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, lors de son point presse du vendredi 10 février 2012 sur la question malienne. Même si, dans le même temps, les capitales régionales (ainsi que Paris) étaient préoccupées par la détérioration de la situation.

ATT était à Ouaga, le 13 février 2012, aux côtés de Blaise Compaoré mais aussi d’Alassane D. Ouattara et Mahamoudou Issoufou, les présidents ivoirien et nigérien. Officiellement dans le cadre de l’ouverture de la Triennale de l’éducation mais, nécessairement, la question malienne a été évoquée par les quatre présidents concernés par ce dossier. ADO l’était alors en tant que futur président de la Cédéao, présidence à laquelle il allait accéder quelques jours plus tard (17 février 2012), à l’issue du sommet de la Cédéao à Abuja. Et, là encore, dans la capitale nigériane, le Mali sera à l’ordre du jour et la « rébellion touarègue » sera condamnée. L’éditorial du quotidien burkinabè Le Pays écrira alors (lundi 20 février 2012) : « C’est tout de même bon pour le moral du général ATT qui se sentira désormais moins seul dans son option de règlement militaire de ce conflit que la voie pacifique n’aura pas pu stopper ». Sauf que « le général ATT » ne sera pas pressé de s’engager dans cette « option de règlement militaire » !

Alain Juppé se mettra lui aussi en branle : Cotonou, Ouaga, Bamako au cours du week-end du 25-26 février 2012 pour porter un message de « dialogue » et de « réconciliation nationale ». Mais la préoccupation de la « communauté africaine » et de la « communauté internationale » se heurtera à l’apparent immobilisme du président malien.

Je l’écrivais voici quelques semaines (cf. LDD Burkina Faso 0288/Mercredi 8 février 2012) : « On peut s’interroger sur la vraie nature d’Amadou Toumani Touré et de son rôle au Mali. Soutien de Moussa Traoré avant de le liquider, il a propulsé Alpha Oumar Konaré à la présidence avant d’en prendre la suite. Et laisse une grenade dégoupillée dans l’urne qui décidera du choix de son successeur ».

Depuis près d’une semaine, ATT a disparu de la scène politique sans que l’on sache comment et pourquoi. Christian Rouyer, ambassadeur de France à Bamako, vient d’annoncer, ce mardi 27 mars 2012, avoir eu un entretien téléphonique avec lui « qui l’a rassuré sur son sort ». Reste à être rassuré sur le sort du Mali. Et là, c’est une autre affaire. Une affaire qui est désormais entre les mains de la Cédéao, qui se réunit actuellement à Abidjan. On en saura, alors, peut-être un peu plus sur la vraie nature d’ATT et de ce « vrai-faux » coup d’Etat dont on se pose toujours la question de savoir pourquoi il a pu se dérouler ; et au profit de qui.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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