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Vingt et un ans après avoir renversé Moussa Traoré, où est donc passé Amadou Toumani Touré ? (1/2)

Publié le mardi 27 mars 2012 à 14h57min

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La victoire totale de la démocratie au Sénégal occulte, ce lundi 26 mars 2012, la situation qui prévaut au Mali. Ou, plus exactement, que l’on pense prévaloir. Car il faut bien reconnaître que personne ne sait vraiment ce qui se passe là-bas. Et chacun est dans l’attente du sommet spécial de la Cédéao qui doit se tenir mardi 27 mars 2012, à Abidjan, sous la présidence d’Alassane D. Ouattara. Une certitude : le coup d’Etat foireux a d’ores et déjà foiré. Du fait de « l’incompétence » de son promoteur, le capitaine Amadou Haya Sanogo.

Autre certitude : au lendemain de ce « vrai-faux » coup d’Etat, la situation sécuritaire que connaît le Mali est pire que jamais. Quant à la « démocratie » malienne, elle a du plomb dans l’aile. Pour longtemps !

Vingt et un ans après le renversement de Moussa Traoré par un coup d’Etat militaire qui, le 26 mars 1991, avait ouvert la porte à l’instauration de la démocratie dans ce pays. Or, aujourd’hui, officiellement, personne ne sait ce qu’il est advenu du « soldat de la démocratie malienne ». Et si on peut penser qu’il est caché ou retenu quelque part et qu’il pourrait être ramené au pouvoir par la « communauté africaine » et la « communauté internationale », ce ne sera jamais qu’un président humilié, sous tutelle, dont la mission sera alors d’organiser, dans les plus brefs délais, la présidentielle qui permettra d’élire son successeur tandis que s’organisera (sous quelle forme ?) la reconquête du territoire national malien où les « rebelles » ne cessent de progresser. Ce n’est pas la perspective la plus réjouissante. Mais il n’y en a pas d’autre. Et s’il y a, aujourd’hui, une raison de ne pas désespérer totalement, c’est à Dakar qu’il faut la chercher.

Le pire était à craindre ; le peuple sénégalais a fait preuve, au cours de toute cette campagne présidentielle, de sa maturité. C’est un poids en moins pour l’UEMOA et la Cédéao. D’autant plus que, comme à son habitude, Abdoulaye Wade avait entrepris de s’impliquer dans « l’affaire malienne », prenant langue avec Sanogo. Reste à ramener ATT sur le devant de la scène. Et à lui donner les moyens de mener une politique qui soit en rupture avec celle en vigueur jusqu’à présent et dont la déliquescence à permis à quelques tocards de se prendre pour les « rois du monde » sous la conduite d’un prof d’anglais en treillis.

ATT, c’est quand même autre chose que Sanogo. Né en 1948 à Mopti, de culture peule par son père et dogon par sa mère (qu’il n’a pas connue), Amadou Toumani Touré s’est épanoui chez un de ses oncles, à Tombouctou. C’est là qu’il va être fasciné, dira-t-il, par la vie militaire. Il suivra cependant les cours de l’Ecole normale de Badalabougou, à Bamako. Une enfance africaine ; une adolescence marquée par l’indépendance du Soudan français, la rupture entre le Mali et le Sénégal puis, en 1968 – ATT a alors vingt ans – l’accession au pouvoir de Moussa Traoré à la suite du renversement du premier président de la République malienne, Modibo Keïta. Formé pour enseigner, ATT va choisir, par goût, le métier des armes. Trois années à l’Ecole militaire interarmes de Kati, l’affectation à la compagnie des commandos-paras de Djikoroni, lieutenant dans les Forces armées du Mali, il va s’installer au « camp para » avec sa femme (rencontrée en 1970) là où naîtront ses deux filles (Fanta en 1978, Mado en 1980). Ce sont des années d’apprentissage au commandement marquées notamment par son séjour en URSS dans le cadre de l’Ecole supérieure des troupes aéroportées de Riazan (1974-1975). ATT a alors tout juste vingt-sept ans !

Cette même année 1975, il sera nommé commandant de la garde présidentielle, fonction qu’il va assumer pendant trois ans. ATT va alors être au contact avec le président Moussa Traoré et va découvrir les réalités de la vie politique malienne. Il poursuivra sa formation militaire de haut niveau au sein du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Montlouis, en France. De retour au Mali, nommé commandant du bataillon des paras commandos, il va prendre conscience de la nécessité vitale qu’il y a pour son pays à rompre avec le mode de production politique du chef de l’Etat. C’est alors qu’il nouera, dira-t-il, des contacts avec ceux qui envisagent la mise en œuvre d’un coup d’Etat.

Capitaine, chef de bataillon, lieutenant-colonel, il va prendre du recul par rapport à la situation intérieure malienne et rejoindre, pour un stage de dix-huit mois, l’Ecole supérieure de guerre interarmes de Paris. Il séjournera en France quand le Mali explosera socialement sous la conduite de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM), syndicat alors unique, tandis que la population revendique l’instauration du multipartisme. Les premières organisations politiques et syndicales « indépendantes » sont créées alors que les manifestations se multiplient. De retour de France, ATT débarquera au Mali tandis que la tension sociale est à son paroxysme. Les « marches » se multiplient et la première grève générale de l’histoire du Mali a été décrétée par les leaders des travailleurs.

Alors que Moussa Traoré engage un rapport de force avec la rue et radicalise sa répression à l’encontre des manifestants, ATT va décider de le faire arrêter par l’armée pour enrayer un processus de dégradation de la situation, les morts s’ajoutant aux morts. Le 26 mars 1991, il met fin au régime et sera porté à la présidence du Comité de réconciliation nationale puis, quelques jours plus tard, à celle du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP). Après avoir organisé une conférence nationale, fait adopter une nouvelle constitution et divers autres textes fondamentaux régissant le fonctionnement de l’Etat et de la nation, signé un accord de paix avec les leaders de la « rébellion touarègue » (qui, déjà, empoisonnait la vie du Mali), ATT va remettre le pouvoir aux civils, conformément à ses engagements initiaux, et devient ainsi « le soldat de la démocratie malienne ». Le 8 juin 1992, il quitte le pouvoir à l’issue de la cérémonie d’investiture du nouveau président de la République : Alpha Oumar Konaré.

Ayant volontairement quitté le pouvoir, ATT, auréolé d’un prestige exceptionnel tant en Afrique qu’au sein de la communauté internationale, va s’adonner aux actions humanitaires, à travers sa Fondation pour l’enfance, et aux médiations africaines (Algérie, Burundi, Niger, RCA, Rwanda, Tchad, Togo…). Il multipliera à cette occasion les contacts continentaux. Il deviendra l’interlocuteur privilégié des médias internationaux et s’imposera, à leurs yeux, comme un bon connaisseur des problèmes géopolitiques et sociaux de l’Afrique. Cette notoriété et cette compétence, il va s’efforcer de les mettre, à nouveau, au service de l’Etat et de la nation et va se présenter à la présidentielle de 2002. Ayant remporté la présidentielle face à Soumeïla Cissé, ATT va concentrer ses efforts sur les enjeux fondamentaux : le développement des infrastructures, la lutte contre la pauvreté, le décollage économique.

Confronté à la sécheresse et à l’invasion acridienne, il va multiplier les déplacements à travers le Mali et s’efforcer de mobiliser les bailleurs de fonds internationaux pour promouvoir le développement économique et social du pays. Mais il sera également confronté, au plan intérieur, à la résurgence de la « rébellion touarègue » avec, notamment, les mutineries de Kidal et de Ménaka qui vont conduire à l’organisation d’un forum et à la mise en place d’un programme de financement de la région du Nord-Est.

Bénéficiaire, le 14 novembre 2006, du Millenium Challenge Account, le Mali va s’engager dans un vaste programme d’amélioration de ses infrastructures économiques et sociales afin de promouvoir une croissance économique soutenue sans perdre de vue la nécessité d’améliorer la justice sociale. Ce n’est pas par hasard, d’ailleurs, que du 19 au 23 janvier 2006, c’est Bamako qui a été choisi pour accueillir le premier Forum social mondial (FSM) organisé en Afrique. Le Mali – qui a été organisateur de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) de football, du sommet de la CEN-SAD, du sommet France-Afrique... – s’impose comme le partenaire « politico-culturel » incontournable pour les pays… « occidentaux ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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