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La Guinée équatoriale cultive avec entêtement l’image de l’Afrique des présidents contre l’Afrique des peuples (2/2)

Publié le mercredi 21 mars 2012 à 17h59min

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En 2011, la Guinée équatoriale a présidé l’Union africaine. En 2012, elle a organisé (conjointement avec le Gabon) la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football. Deux « rencontres » continentales qui ont été l’occasion, pour le pays, d’exhiber la flamboyance de ses moyens économiques et d’ancrer dans la tête des chefs d’Etat africains que, tout puissants qu’ils soient chez eux, ils n’étaient que des nains financiers.

Etait-il possible, dès lors, pour le groupe africain, de ne pas se soumettre aux désirs des Equato-guinéens de voir conférer à leur chef d’Etat le « prix international Unesco-Obiang Nguema Mbasogo pour la recherche en sciences de la vie » ? D’autant moins que Malabo, dans cette opération, parvenait à obtenir, au nom de la souveraineté des Etats, le soutien des pays arabes, d’Amérique latine, d’Asie et de la Russie (la connexion entre Moscou et Malabo a toujours été étroite : formation des cadres au temps de Macias Nguema ; coopération militaire et technique désormais - cf. LDD Union africaine 006/Vendredi 10 juin 2011).

33 voix pour et 18 voix contre ; la majorité se situant à 26 voix, le prix a été adopté le jeudi 8 mars 2012 après quatre longues années de négociation. Etait-il nécessaire de dépenser autant d’énergie et d’argent – car dans cette affaire l’argent a nécessairement circulé – pour créer ce prix ? Si l’entourage du président Obiang Nguema Mbasogo a répondu à l’affirmative à cette question, refusant à tout moment de céder à la pression des uns et des autres et, plus encore, à celle de la patronne de l’Unesco, Irina Bokova, très opposée à l’instauration de ce prix, c’est que « le jeu en vaut la chandelle ». Pas en terme d’image. Bien au contraire. Les décideurs politiques et les acteurs diplomatiques ne sont pas dupes. Les peuples, eux, s’en offusquent ou s’en foutent. En Guinée équatoriale, la majorité de la population ne sait ni lire ni écrire ; les « élites », quant à elles, n’entendent pas scier la branche sur laquelle elles sont confortablement installées. « En Guinée équatoriale, écrivait récemment (mercredi 14 mars 2012) le quotidien burkinabè Le Pays dans son éditorial, le minimum n’est pas assuré au plan social à la population. Les conditions de vie et de travail y sont si désespérantes. Lors de la dernière édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) jouée alternativement au Gabon et dans ce pays, les visiteurs ont pu être témoins de la misère dans laquelle croupit le peuple équato-guinéen. Il est donc incompréhensible que seulement peu de temps après, l’Unesco ait offert à Obiang Nguema l’opportunité de se refaire une respectabilité comme sur un plateau d’argent ».

« Incompréhensible » ? Oui, si on prend en compte l’Afrique des peuples. Mais beaucoup moins si on se place dans une perspective de l’Afrique des présidents ! Or, c’est dans cette perspective que se place l’entourage du chef de l’Etat. Pour comprendre cette démarche (ce qui ne signifie pas l’accepter), il faut revenir un peu en arrière. C’est que la Guinée équatoriale revient de loin. Tout à la fois de l’enfer et du Moyen Age. Sa décolonisation, sous la conduite de Macias Nguema, a été pire que sa colonisation (et pourtant, en la matière, l’Espagne n’a pas été un modèle). Et après les longues années de terreur du fascisme tropicalisé exercées par les sbires de Franco dans la petite île de l’océan Atlantique, le despotisme de Macias Nguema, qui y avait conquis le pouvoir en 1968, a fait sombrer ce pays dans les grands fonds de l’histoire de l’humanité. Douze années de terreur redoublée.

Si l’indépendance avait été une espérance, cette espérance aura été assassinée, elle aussi, par Macias qui, ayant expulsé les Espagnols, se tournera vers l’URSS. Obiang Nguema Mbasogo me dira un jour : « Le problème c’est que Macias était très dur non seulement avec les Espagnols mais, aussi, avec les Equato-guinéens ». Il avait une explication à cela : « C’était une famille où il y avait quelques cas de paranoïa » (Jacques Foccart caractérisait Macias comme « un homme à l’équilibre incertain »), me confiera-t-il laconiquement. Il est vrai que, président à vie, Macias s’était fait proclamer « infatigable et unique miracle de la Guinée équatoriale » !

Quand, le 3 août 1979, à la suite de ce qu’on appelle en Guinée équatoriale, « le coup de la liberté », Obiang Nguema Mbasogo a mis un terme définitif à une des dictatures les plus féroces d’Afrique, il héritait d’un pays en ruine et d’un peuple tétanisé. Des ressources agricoles qui n’étaient plus exploitées et valorisées, des infrastructures qui n’étaient plus entretenues, des « élites » locales qui avaient choisi l’expatriation, un isolement diplomatique absolu. Le chef de l’Etat a trouvé alors des raisons de ne pas désespérer dans son adhésion à la francophonie. Une bouée de sauvetage pour ce seul pays hispanophone d’Afrique au Sud du Sahara. Le chef de l’Etat va aller plus loin. Dès 1984, son pays va rejoindre l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (Udéac) et la zone franc.

Paris n’a pas perçu pleinement l’intérêt de cette démarche. Curieusement, depuis que la Guinée équatoriale n’est plus, pour paraphraser l’historien burkinabè Joseph Ki-Zerbo, « ce pays qui existe mais qu’il est rare de rencontrer », la France n’a pas semblé lui porter, toujours, tout l’intérêt qu’il mérite malgré son ancrage volontaire dans la zone d’influence « franco-africaine ». A l’indifférence, tant que la Guinée équatoriale ne sera pas une puissance pétrolière, succédera la suspicion, l’affaire des « biens mal acquis », la curiosité sans limite de la justice à l’égard du patrimoine de la famille Nguema, l’interminable contentieux sur le prix « Unesco-Nguema ». Malabo s’en étonnera puis s’en irritera. Considérant que, quoi que fasse la Guinée équatoriale, rien ne trouve grâce, jamais, aux yeux de « l’autre camp » qui serait celui des « comploteurs » contre le régime en place dans l’île de Bioko (cf. LDD Guinée équatoriale 019/Mardi 4 octobre 2011). Autrement dit, les Français trouvent du charme à la Guinée équatoriale quand ils y font des affaires, mais se montrent d’une rare susceptibilité lorsqu’ils évoquent le mode de production politique d’un pays décidemment pas comme les autres. Président en exercice de l’Union africaine, le chef de l’Etat équato-guinéenne ne sera pas invité au G8 de Deauville. La France deviendra, dans la géopolitique équato-guinéenne, un « mal nécessaire » ; mais un « mal » avant tout et la rancœur sera forte entre Malabo et ceux qui, à Paris, lui ont laissé croire que tout était possible dès lors que l’argent était sur la table.

L’indépendance acquise (en Guinée équatoriale, elle a été acquise après une longue lutte qui a eu ses héros et ses martyrs), le bien le plus précieux porte un nom : souveraineté ! Le dictionnaire dit, en la matière, clairement les choses : « C’est le pouvoir suprême reconnu à l’Etat, qui implique l’exclusivité de sa compétence sur le territoire national et son indépendance dans l’ordre international, où il n’est limité que par ses propres engagements ». C’est la préoccupation majeure d’Obiang Nguema Mbasogo après les années d’humiliation de la colonisation et de la décolonisation. Faire respecter la souveraineté de la Guinée équatoriale et le droit fondamental qui est le sien de choisir les voies et moyens de son développement économique, politique et humain. Tout son comportement politique et diplomatique découle de cette démarche ; y compris sa volonté (qui peut sembler puérile voire mégalomane) de voir instituer un prix Unesco à son nom.

Mais le drame de la Guinée équatoriale (qui se rêve en Qatar du golfe de Guinée) est que cette revendication permanente de sa souveraineté oblige le chef de l’Etat, en tant que président de la République, à couvrir toutes les dérives comportementales de son fils. Le pire est quand même, quand on connaît la réalité sociale de la Guinée équatoriale, d’entendre l’avocat français de celui-ci déclarer que les biens récemment saisis à Paris (assurés pour la somme de … 180 millions d’euros) dans un hôtel particulier de 5.000 m² avaient été financés par les ressources propres du fiston. Indécent et scandaleux.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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