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La Guinée équatoriale cultive avec entêtement l’image de l’Afrique des présidents contre l’Afrique des peuples (1/2)

Publié le mardi 20 mars 2012 à 12h45min

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J’ai eu, ces dernières années, l’occasion d’échanger longuement sur la question avec l’homme en charge de ce dossier, Agapito Mba Mokuy, conseiller spécial du chef de l’Etat équato-guinéen. Il a mené une interminable bataille, à Paris, au sein de l’Unesco, pour faire accepter par cette institution des Nations unies, l’instauration d’un « prix international Unesco-Obiang Nguema Mbasogo pour la recherche en sciences de la vie ».

Je n’ai jamais pensé que l’Unesco était une respectable assemblée. Rien d’autre qu’un panier de crabes qui permettait à une flopée de fonctionnaires internationaux de très bien vivre en laissant penser qu’ils faisaient quelque chose pour les autres quand ils n’étaient préoccupés qu’à faire quelque chose pour eux-mêmes. C’est, incontestablement, la moins crédible des institutions onusiennes dès lors que sa finalité est, justement, la promotion des sciences et de la culture, ce qui n’est quand même pas socialement négligeable. Non pas que l’Unesco ne fasse rien ; mais elle ne fait pas grand-chose compte tenu des moyens financiers et humains dont elle dispose. Et puis il y a ces foutus prix « Unesco » qui, à l’instar du « prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix », combinent tout à la fois le panier de crabes et le nid de serpents. On y dépense beaucoup d’argent en actions de lobbying (et autres frais de représentation et Dieu sait si, à l’Unesco, on aime être en représentation) qui doivent, bien sûr, générer des commissions pour les uns et les autres.

Obiang Nguema Mbasogo s’est laissé convaincre par son entourage qu’il convenait qu’il associe son nom à un prix décerné par l’Unesco. Pourquoi ? Il y a une quinzaine d’années, personne ne savait qui était Nguema ; et personne ne connaissait son pays : la Guinée équatoriale. La mise au jour et l’exploitation des gisements de pétrole et de gaz a changé la donne. Ce bout de terre équatorial totalement méconnu (et méprisé par ceux qui le connaissaient) est devenu, dès lors, une destination prisée par tous les requins de la planète. Il y avait « du fric à faire » à Malabo, Bata et plus encore à Mongomo (le village « présidentiel »). La Guinée équatoriale est sortie des ténèbres. Ce territoire grand comme un mouchoir de poche (28.000 km²) va être le théâtre, en quelques années, de l’émergence de fortunes considérables qui ne devront pas grand-chose au travail mais beaucoup à la proximité avec la famille au pouvoir, autrement dit avec les ressources de l’Etat. Rien de neuf.

J’ai connu les mêmes comportements partout en Afrique centrale, là où les ressources pétrolières et minières sont l’objet de toutes les convoitises, de Brazzaville à Yaoundé en passant par Kinshasa, Libreville, Luanda. Sauf que la Guinée équatoriale a émergé sur la scène énergétique mondiale bien des années après les autres puissances pétrolières du golfe de Guinée, quand leur offre était en baisse – parfois même en chute – et quand la demande a explosé sur le marché mondial multipliant par dix le prix des hydrocarbures. Ajoutons à cela une population équato-guinéenne réduite à la portion congrue (660.000 habitants) et des « élites » qui, pour l’essentiel, ont choisi depuis bien longtemps l’expatriation compte tenu de la nature du régime politique en place au lendemain de l’indépendance (acquise le 12 octobre 1968) – la redoutable dictature exercée par Macias Nguema, « oncle » de l’actuel chef de l’Etat – et de l’absence totale de perspectives de développement de ces bouts de terre éparpillés un peu partout de part et d’autre de l’Equateur. Jusqu’à la mise au jour de pétrole et de gaz au mitan de la décennie 1990.

Jusqu’alors, la Guinée équatoriale n’existait pas. En moins de deux décennies, elle est devenue la pépite du golfe de Guinée. Et plus rien, alors, n’était contrôlable. Avec une flamboyance toute espagnole (Madrid était la puissance coloniale, regroupant dans l’île de Bioko les esclaves nécessaires à ses possessions américaines ; une traite « illégale » privée va durer tant que Cuba, alors espagnole, aura besoin de bras pour ses plantations), le pays va se transformer à coups de millions de pétrodollars, devenant méconnaissable. Mais sans transformer les mentalités ; bien au contraire, l’argent facile va devenir l’objectif des politiques, des diplomates, des fonctionnaires, des forces de l’ordre, des jeunes filles... Sans compter les « requins » des affaires internationales venus d’ailleurs : avocats, faiseurs d’affaires, communicateurs, conseillers, magouilleurs… qui vont prendre leurs quartiers à Malabo ou Bata. Dans une ambiance de corruption quasi généralisée, liée à la profusion des projets mis en œuvre, la Guinée équatoriale va définitivement sortir de la brume qui, jusqu’à présent, l’enveloppait. Et cette corruption va occulter la réalité géopolitique de ce pays d’Afrique pas comme les autres, objet d’une quantité invraisemblable d’opérations de déstabilisation dont les plus rocambolesques.

Mais les plus rocambolesques de ces opérations de déstabilisation de la Guinée équatoriale seront à mettre au compte de… Teodorin Nguema, le fils du chef de l’Etat. Ce n’est pas une nouveauté d’ailleurs : il a toujours été la pire caricature du « fils à papa » (et pourtant, en la matière, il y a concurrence), aux comportements extravagants, ne résistant pas d’ailleurs à exhiber publiquement ses dérives comportementales. Teodorin, du même coup, va placer la Guinée équatoriale et son père dans le collimateur des ONG et de la justice française via l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière. En France, Teodorin a accumulé les richesses : « voitures d’exception », œuvres et objets d’art (parmi les plus rares) de la collection Yves Saint-Laurent… On ne savait pas Teodorin cultivé !

La presse, quant à elle, se fait l’écho, régulièrement, des extravagances du fiston, pour lequel, dans un chantier naval allemand, on construit un des plus grands yachts du monde. Quant on connaît Malabo, Bata, Mongomo… on comprend que Teodorin préfère Paris (sans, pour autant, négliger les grandes cités US). Il préfère d’autant plus Paris que papa a entrepris de l’y faire nommer représentant permanent adjoint de son pays à l’Unesco. Là encore, ce n’est pas lié à la passion de Teodorin pour les questions d’éducation et développement culturel. Non, simplement pour mettre la pression sur l’institution internationale et, à l’occasion, conférer une immunité diplomatique au titulaire de la charge.

C’est que l’entourage du chef de l’Etat a une obsession : obtenir de l’Unesco la création d’un prix international portant le nom du chef de l’Etat et récompensant la recherche en sciences de la vie. Devenue une puissance pétrolière courtisée par les puissances « occidentales » - celles qui justement dominent l’Unesco - les Equato-guinéens ont pensé que ce ne serait qu’une formalité. Et même une reconnaissance envers un nouveau bailleur de fonds. Sauf que les ONG vont mener une rude bataille pour empêcher que le nom de l’Unesco soit associé à celui du chef de l’Etat équato-guinéen tandis que, dans le même temps, les procédures judiciaires au nom des « biens mal acquis » vont se multiplier à l’encontre de la famille Nguema. Au cours de l’été 2010, Juan Bautista Osu Bita, représentant permanent de la Guinée équatoriale auprès de l’Unesco à Paris, va être démis de ses fonctions sans avertissement pour n’avoir pas fait aboutir le projet présidentiel.

Don Federico Edjo Ovono, ambassadeur de Guinée équatoriale à Paris, devra lui aussi, fin 2011, faire ses bagages avec femme et enfants pour n’avoir pas empêché la justice française (bien soutenue par les ONG) de mettre le nez dans le patrimoine français des Nguema. Il est vrai, par ailleurs, que la gestion des uns et des autres, à Paris, prêtait le flanc à la critique : on évoquait des commissions sur les facturations, du personnel non déclaré et rémunéré de temps en temps en cash, des dépenses hors normes, des pratiques douteuses, etc. Agapito Mba Mokuy, le conseiller spécial du président en charge des institutions internationales formé aux Etats-Unis, venu mettre de l’ordre dans tout cela, sera quelque peu estomaqué par ce qu’il constatera lors de ses multiples séjours dans la capitale.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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