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Un Etat en faillite. Une nation en ruine. Il ne reste pas grand-chose du Mali des années ATT

Publié le jeudi 15 mars 2012 à 13h08min

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Nous sommes entrés dans un temps où la volatilité des systèmes politiques a pris une ampleur particulière. La Côte d’Ivoire, longtemps présentée comme un modèle de cohabitation ethnique, s’est illustrée dans la xénophobie et la violence, mettant par terre, en quelques années, tout ce qui avait été construit en plusieurs décennies.

Au Niger, Mamadou Tandja, dont on disait que le double mandat présidentiel était, tout compte fait, un modèle d’alternance dans ce pays trop souvent victime de coups d’Etat militaires, voudra refaire un tour de manège à quelques mois d’une fin de parcours annoncée. On sait ce qu’il en advint. En 2011, l’inimaginable est arrivé : Tunisie, Egypte, Libye, ces trois régimes férocement répressifs et anti-démocratiques, dont les leaders étaient présentés comme indéboulonnables, ont sombré brutalement sous les coups de boutoirs des populations (et, en ce qui concerne la Libye, d’une coalition « occidental »).

Au Sénégal, un homme raisonnable dans un pays où les choses se sont passées, jusqu’à présent, plutôt mieux qu’ailleurs, est devenu totalement déraisonnable. Jusqu’à présent, on y a évité le pire. Jusqu’à présent… ! Et puis il y a le Mali. Sur les rives du fleuve Niger, Bamako avait, en vingt ans, vu disparaître un dictateur et l’alternance s’installer entre deux hommes, Amadou Toumani Touré (ATT) et Alpha Oumar Konaré. Un modèle, disait-on. A tel point que le pays devenait une référence culturelle et un passage obligé pour toutes les personnalités politiques « occidentales », de gauche comme de droite, qui entendaient célébrer la « démocratisation », enfin en marche, de l’Afrique noire.

ATT, après ses deux mandats, avait annoncé sa décision de ne pas forcer le destin. Il ne serait pas candidat à sa propre succession et, dès lors, une flopée de candidats s’est précipitée pour prendre la suite. Les commentateurs souligneront la vitalité de la démocratie malienne où les hommes politiques étaient légion. Et, dans l’ensemble, plutôt crédibles. Jusqu’à ce jour du 17 janvier 2012 – il n’y a pas loin de deux mois – où le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) a déclenché la « guerre » contre le régime en place à Bamako.

La situation, tout d’abord, a été perçue comme « intra-malienne » puis, les réfugiés fuyant la guerre et les exactions contre les populations « blanches » s’étant multipliés dans les pays de la sous-région voisins du Mali, comme « humanitaire ». Alain Juppé, le ministre français des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, fera le déplacement à Cotonou, Ouagadougou et Bamako pour appeler au nécessaire « dialogue », redoutant par-dessus tout les connexions entre la « rébellion » touarègue et les katibas d’AQMI. A un moment critique : le premier tour de la prochaine présidentielle est programmé le dimanche 29 avril 2012. Il est évident, aujourd’hui, à sept semaines de cette consultation électorale, que celle-ci ne pourra pas être organisée. Ce qui ne semble pas chagriner grand monde à Bamako.

Et c’est là que le bât blesse. Alors que partout dans la région, à Alger, Nouakchott, Ouagadougou, Niamey notamment, chacun s’inquiète d’une situation militaire que le gouvernement malien ne semble plus maîtriser, Bamako semble se foutre totalement de ce qui se passe dans le Nord de son territoire. Y compris quand les « rebelles » s’emparent du camp de Tessalit, pôle stratégique situé dans le Nord-Est du Mali, à la frontière avec l’Algérie et le Niger, et mettent la main sur un arsenal considérable.

« Il n’y a pas eu de conquête car c’est nous-mêmes qui avons décidé de faire évacuer le camp […] Il fallait faire l’économie des pertes humaines inutiles d’autant plus que si nous abandonnons le camp aujourd’hui, nous pourrons toujours le reprendre plus tard ». L’explication du ministre malien des Affaires étrangères, Soumaïla Boubèye Maïga, exprime la déliquescence dans laquelle se trouve, aujourd’hui, l’Etat malien. Une rébellion armée occupe le Nord du pays et y fait ce qu’elle veut sans que la classe politique au pouvoir ne semble s’en soucier. « Nous verrons plus tard », dit-elle en substance. Sauf qu’en pratiquant ainsi « le retrait stratégique », Bamako abandonne de plus en plus de terrain, de plus en plus de moyens logistiques, de plus en plus d’armes… à la « rébellion » qui renforce ainsi ses positions ; et décrédibilise l’action gouvernementale tout en démoralisant les troupes maliennes. Qui voudra mourir pour Kidal, à 200 km au Sud de Tessalit, que les Touareg considèrent comme la capitale de la République de l’Azawad qu’ils veulent fonder ? Et quand la « communauté internationale » prône le dialogue entre les parties en présence, personne ne dit comment on peut négocier utilement avec des « rebelles » en position de force qui vont de victoire en victoire sans jamais être inquiétés par les forces loyalistes. La position malienne est incompréhensible pour les autres pays de la région, touchés par les effets collatéraux de cette « guerre » des Touareg contre Bamako. Quelle république, quel Etat, quelle nation peuvent ainsi accepter, sans broncher, une domination étrangère sur son territoire et de voir, aussi durablement, sa souveraineté bafouée ? Ce qui amène bien sûr à se poser des questions sur la République malienne, l’Etat malien, la nation malienne et crédibilise la thèse selon laquelle l’entourage d’ATT instrumentalise cette « guerre » pour perdurer au pouvoir au-delà du 29 avril 2012. L’autre question est de savoir si ATT est un chef d’Etat (qui plus est un chef militaire) vraiment nul ou s’il est l’otage des ultras de son régime. L’avis général est d’ailleurs qu’il est nul et que c’est pour cela qu’il s’est fait prendre en otage ! Il est vrai que l’image d’ATT en a pris un sacré coup en l’espace de quelques semaines*.
Reste, du même coup, que toute médiation devient difficile dès lors que Bamako accepte l’inacceptable et supporte l’insupportable. Déjà, la Mauritanie joue sa propre partition et n’hésite plus à multiplier les incursions dans l’espace aérien malien, Nouakchott étant convaincu que la « guerre » dans laquelle se sont lancés les Touareg est un vecteur d’implantation « durable » d’AQMI et de ses divers démembrements dans le « corridor sahélo-saharien » et que tout laxisme peut être mortel pour la région. Alger, de son côté, voit la menace se rapprocher de son territoire avec la prise de Tessalit (qui dispose d’infrastructures importantes dont notamment une piste d’atterrissage). Le président Bouteflika sait la difficulté qu’il y a à éradiquer le terrorisme dès lors que les réseaux parviennent à s’implanter et à se structurer. Il sait aussi quelle est la vulnérabilité sociale de son pays où la jeunesse n’en peut plus d’être exclue de la croissance et de voir les apparatchiks du FLN se goberger (plus encore en cette année 2012, cinquantenaire de l’indépendance du pays après une longue guerre de libération 1954-1962). Une médiation étrangère au Mali peut-elle s’engager avec le MNLA alors que c’est le territoire malien qui est concerné ? Et peut-on négocier utilement avec le MNLA si c’est AQMI qui tire les ficelles ? C’est le défi auquel est confronté le Burkina Faso qui s’implique dans la recherche d’une solution en multipliant, aujourd’hui, les déplacements dans les capitales concernées. Djibrill Y. Bassolé, qui a en charge ces contacts, a fixé le fondement sur lequel la négociation peut être menée, soulignant que « l’agenda du MNLA : l’indépendance régionale, est hors de portée. La communauté internationale n’est pas prête à soutenir un tel agenda ». On ne s’étonnera pas que la question de la souveraineté soit au cœur de la préoccupation des Burkinabè. En la matière, ils ne transigent jamais ! A bon entendeur, salut.

* Considéré en Afrique comme un modèle en matière d’acceptation des alternances en un temps où la tendance était au tripatouillage des constitutions, ATT était présenté dans la presse burkinabè, voici encore quelques semaines, comme un homme « droit dans ses bottes » (L’Observateur Paalga – 21 février 2012), « un démocrate jusqu’au bout » (Le Pays – 27 février 2012). Depuis, il a beaucoup perdu de son aura et n’est plus qu’un général en déroute.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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