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Ouagadougou, de la « diplomatie de la médiation » à la « diplomatie de l’émergence »

Publié le mardi 21 février 2012 à 12h55min

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On ne pouvait pas rêver d’un meilleur timing. A la veille de la tenue, à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, de la 12ème conférence des ambassadeurs, voilà donc que Kadré Désiré Ouédraogo déboule, enfin, à la présidence de la commission de la Cédéao. Un événement : jamais un Burkinabè n’avait obtenu ce job. C’est d’ailleurs, aussi, une première pour la République « sœur » de Côte d’Ivoire : Alassane D. Ouattara est le premier chef d’Etat ivoirien a être propulsé par ses pairs à la présidence de l’institution régionale.

Félix Houphouët-Boigny doit vociférer au fond de son tombeau, lui qui détestait tout autant la Cédéao que le Nigéria (on se souvient qu’il avait été le principal vecteur de soutien aux sécessionnistes biafrais dans les années 1960) et le Ghana. Mais les temps changent ! Et l’Afrique de l’Ouest a bien du mal à se reconnaître dans le foutoir qui la caractérise aujourd’hui entre réseaux mafieux partout, AQMI et rébellion touarègue dans le « corridor sahélo-sahalien », terrorisme au Nigeria et dans le golfe de Guinée, entêtement d’un vieillard à rester au pouvoir à Dakar, incertitudes politiques et tensions sociales ailleurs, insécurité alimentaire… Je crois bien que, jamais, l’Afrique de l’Ouest ne s’est portée aussi mal et ait autant fait parler d’elle sur la scène diplomatique mondiale.

Des hommes neufs pour une nouvelle dynamique ? Il faut l’espérer. On tente de m’expliquer, autour d’un verre de J & B dans un bar d’hôtel, que ces nominations sont une mauvaise chose et qu’il me faut les dénoncer. Trop de pression sur Blaise Compaoré déjà occupé partout ailleurs (y compris au Burkina Faso) a faire tourner sans fin des assiettes sur des bambous en veillant à n’en briser aucune (cf. LDD Burkina Faso 0289/Jeudi 9 février 2012). Quant à ADO, il est déjà pas mal embarrassé par sa gestion d’une Côte d’Ivoire pas encore pacifiée et encore moins réconciliée. J’ai beau rétorquer que je pense que l’axe Abidjan-Ouaga est le plus à même de résoudre les problèmes régionaux, parce qu’il est l’axe le plus significatif (en fait, il n’y en a pas d’autre) et que la solution aux problèmes régionaux ne peut pas être le fait d’une seule capitale. Un duo c’est toujours mieux qu’un solo. Surtout quand ce duo est l’alliance du savoir-faire (Ouaga) et du faire-savoir (Abidjan). Et puis ce sont deux capitales crédibles sur la scène diplomatique « occidentale », ADO ne cache pas son étroite connexion avec l’Elysée ; quant à Blaise, tout en affichant une authentique indépendance d’action, il est suffisamment pragmatique pour être bien avec tout le monde sans être vassal de personne.

Je dis encore à mon interlocuteur qui me reproche d’écrire en « brossant dans le sens du poil » que le Burkina Faso comme la Côte d’Ivoire désormais (même si c’est dans une moindre mesure) ont, globalement, les hommes qu’il faut à la place qu’il faut. L’administration burkinabè peut bien se dégrader « comportementalement » jour après jour (on se demande, désormais, s’il est convenu de backchicher ses interlocuteurs tant la « pression » est gentiment exprimée – un Coca, un café, rien de plus mais c’est nouveau -, y compris chez les corps habillés surtout quand ils ne portent plus l’habit !), elle n’en demeure pas moins exceptionnellement opérationnelle comparée à ce qui se passe ailleurs (y compris dans le secteur privé qui, lui aussi, voit sa qualité de service se désintégrer peu à peu). Aussi, pour moi, pas de doute : Abidjan-Ouaga, c’est un duo qui ne manquera pas de donner plus de visibilité à une Cédéao qui en a bien besoin ! Surtout en ce moment crucial de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest.

La « diplomatie de la médiation », dans laquelle s’est illustré le Burkina Faso avec un réel succès, n’a pas que des aspects positifs. D’abord, c’est une diplomatie de crise ; et les crises, il vaut mieux les éviter. Ensuite, c’est une diplomatie de coulisses ; être sous les feux de la rampe nuirait à son efficacité. Enfin, l’équation < crise + secret > laisse toujours penser qu’il se trame quelque chose de pas transparent dans la gestion des affaires régionales. Mais son handicap majeur, c’est qu’elle amène à croire qu’on s’occupe des autres avant de s’occuper de soi : ça flatte l’ego, mais ça frustre les populations qui aimeraient que l’énergie mise en œuvre pour trouver des solutions aux problèmes des autres serait bien mieux employée à solutionner les problèmes nationaux. La 12ème conférence des ambassadeurs (qui se souvient de la 11ème ?) se situe à un moment clé de l’histoire du Burkina Faso. Un an après les mutineries de 2011 – la plus grave crise que le pays ait jamais connue – alors que la Côte d’Ivoire, le pays « partenaire » par excellence, entre dans une nouvelle étape de son histoire après près de vingt ans de troubles politico-militaires* (et pas moins de cinq présidents pendant ces vingt dernières années), quelques semaines après la tenue (avec succès) à Paris de la table ronde des bailleurs de fonds de la SCADD et au lendemain de l’accession de Kadré Désiré Ouédraogo à la présidence de la commission de la Cédéao, la diplomatie burkinabè affiche une nouvelle ambition : être une « diplomatie de l’émergence ».
C’est un changement de rythme et d’espace. La « diplomatie de la médiation » c’est la Présidence du Faso + quelques baroudeurs et des ambassadeurs en relais (pour ne pas dire, parfois, en figuration). La « diplomatie de l’émergence » c’est le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, une administration plus musclée qu’elle ne l’était jusqu’à présent, des ambassadeurs-acteurs et une reconfiguration de la carte diplomatique burkinabè. Au lendemain de la conférence de la SCADD à Paris, Emmanuel Beth, ambassadeur de France au Burkina Faso, se félicitait de la réussite de cette réunion mais s’étonnait qu’elle n’ait rassemblé que les partenaires habituels. « Où étaient les émergents ? » me dira-t-il. Bonne question ; dont la réponse sera apportée lors des trois journées qui vont rassembler l’ensemble de l’administration diplomatique burkinabè. Le Burkina Faso compte aujourd’hui 27 ambassadeurs en poste à l’étranger (+ un ambassadeur itinérant) dont 12 en Afrique (6 rien qu’en Afrique ex-française ; 4 rien qu’en Afrique de l’Ouest), 7 en Europe, 3 en Amérique, 3 en Asie et 1 seulement au Moyen-Orient. Il faut ajouter l’ambassadeur auprès des Nations unies. Une diplomatie « post-indépendance » qui fait la part belle aux vieilles connexions. Avec quelques spécificités : Cuba (héritage des années Sankara) et Taïwan (héritage d’une vieille amitié qui prive Ouaga d’une relation diplomatique avec Pékin). Et l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde (trois des cinq BRICS) – et même le Japon – poids lourds d’Afrique, d’Amérique et d’Asie, ne sont que des partenaires diplomatiques ne disposant que depuis récemment, parfois même très récemment, d’un ambassadeur burkinabè.
Ouaga doit capitaliser sur les acquis de sa « diplomatie de la médiation » pour « émerger » sur la scène internationale aux côtés des nouvelles puissances mondiales : la question de Pékin est bien sûr posée : peut-on se priver, au nom de la fidélité, de cette relation majeure ? Mais on pense aussi au Qatar (où Djibrill Bassolé a pris ses habitudes), à la Turquie, aux puissances caucasiennes, etc. Ouaga y pense aussi ; réponse à l’issue de la conférence des ambassadeurs.

* Notons que le Burkina Faso demeure très impliqué dans la gestion de la sortie de crise en Côte d’Ivoire. Une mission d’évaluation de l’ONU s’est entretenue, pendant plus de deux heures, le mardi 14 février 2012, avec Boureima Badini, représentant spécial du Facilitateur du dialogue direct inter-ivoirien. Et aucun sujet de souveraineté de la Côte d’Ivoire n’était exclu de ces entretiens : situation sécuritaire et réforme de l’armée nationale ; relance économique avec le retour des investisseurs et point d’achèvement du PPTE ; reprise des élections législatives dans 11 circonscriptions le 26 février 2012 et certification de ces élections par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU ; réconciliation nationale ; libre circulation des personnes et des biens ; situation des droits de l’homme ; poursuite du soutien de la communauté internationale à la Côte d’Ivoire ; coopération régionale et éradication de l’insécurité transfrontalière. On comprend que les « grands airs » ivoiriens exaspèrent parfois les Burkinabè qui n’auraient jamais accepté une telle situation de soumission.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 21 février 2012 à 15:32 En réponse à : Ouagadougou, de la « diplomatie de la médiation » à la « diplomatie de l’émergence »

    faut le reconnaitre,on a fait fausse route en se tournant vers taiwan que pékin car y a qu’a voir ce que pékin a fait au mali,cela donne a saliver. taiwan croit que c’est les equipements militaires qui nous intéressent. on s’en fou de ces milo,qu’on les supprime meme

    • Le 28 février 2012 à 11:04 En réponse à : Ouagadougou, de la « diplomatie de la médiation » à la « diplomatie de l’émergence »

      A Taïwan et Corée du Sud, il y a beaucoup de maçons ! C’est très rare en Chine. Et si on comprend bien le titre de l’article de ce "griot polaire qui cherche à manger sous les tropiques", la diplomatie burkinabè joue les pompiers pyromane-médiateurs dans la sous-région pour s’y imposer en pôle françafricain incontournable ?
      Quel beau programme ! Heureusement, qu’on a les intérêts et les bases de légionnaires français en couverture. Sinon ça craint grave !

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