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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (11/12)

Publié le jeudi 16 février 2012 à 17h25min

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Depuis mon arrivée à Ouaga, voici moins de quinze jours, bien des choses ont changé dans la perception de la situation continentale et régionale. Les errements de l’Union africaine ont rapidement cédé la « une » aux élucubrations de la classe politique sénégalaise. Et à Ouaga, on s’est complu à dresser un parallèle entre la situation qui prévaut au Palais de la République à Dakar et celle que l’on subodore, ici, devoir prévaloir prochainement du côté de chez le PF. Addis-Abeba et Dakar sont bien loin de Ouaga. Mais Bamako, c’est à côté. Et les Burkinabè originaires du Mali sont légion.

La crise que traverse le Mali impacte directement le Burkina Faso ; rien à voir avec la crise sénégalaise. Ce matin (vendredi 10 février 2012), dans la « chronique » du quotidien national Sidwaya, Saturnin N. Coulibaly, n’a pas manqué de souligner que « tous les ingrédients semblent réunis pour que ce cocktail explosif déchaîne ses composantes dans l’espace […] Partout, on a l’impression que les positions se radicalisent. A telle enseigne qu’on se demande où est passée la tradition de dialogue reconnue aux Africains ». Coulibaly poursuit son papier sur « le bal d’un malaise régional » en écrivant : « Conséquence immédiate des afflux de réfugiés vers le Burkina qui sort d’une crise aiguë en 2011 : avec des récoltes moyennes et un tiers de communes déclarées en situation de famine, l’arrivée de ces immigrés de guerre va exacerber sans conteste la crise céréalière. Sans oublier qu’au Niger un scénario à la malienne n’est pas à exclure. La crise, du moins la rébellion, y est latente… Au Burkina Faso, il est difficile d’affirmer que l’orage est totalement passé. Il y a un sentiment de radicalisation qui se dégage malheureusement. Pour un rien, des citoyens qui s’estiment lésés choisissent de se rendre justice par le recours excessif à la violence ».

On ne peut pas dire que ces préoccupations ne soient pas partagées par beaucoup de commentateurs. « En fait, la rébellion touareg ne trouble pas que la quiétude des acteurs politiques du Mali ! Elle interpelle toute la sous-région, les peuples qui l’habitent, l’ensemble de la classe politique (gouvernants et opposants), la société civile, les partenaires techniques et financiers, à propos du mal développement, de nos valeurs, de nos promesses, du juste partage des ressources nationales. Afin que l’hémorragie s’arrête la solidarité africaine va devoir jouer à fond », écrit ainsi, dans son éditorial (vendredi 10 février 2012), le quotidien privé Le Pays. Et du côté des chancelleries, on considère que la crise malienne est porteuse d’orages non encore identifiés ; dans le même temps, effectivement, on constate aussi que la montée en puissance des revendications de la population burkinabè s’exprime désormais, de plus en plus, à travers des actes de violences. Djibrill Bassolé, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, accompagné de son staff, est monté au front… médiatique. Conférence de presse au ministère alors que la journée et la semaine se terminent. Afin « d’échanger […] sur la situation qui prévaut à nos frontières Nord et Ouest avec la République du Mali ».

De la frontière Sud-Ouest (Koloko, Faramana) à la frontière Nord (Djibo, Ti-n-Akof, Deou), sans oublier les villes majeures (Ouahigouya, Bobo-Dioulasso et Ouagadougou), le Burkina Faso compte d’ores et déjà plus de 10.000 réfugiés (dont 72 militaires et paramilitaires). C’est dire que nous sommes loin de l’épiphénomène ; d’autant plus que L’Observateur Paalga a fait sa « une », hier (jeudi 9 février 2012) avec l’interview d’un « colonel touareg » qui fait du bruit.

Hassane Ag Mehdy, dit « Jimmy le Rebelle », colonel de l’armée malienne installé au Burkina Faso jusqu’en 1990, ex-commandant du premier escadron, ex-commandant de région, ancien de la guerre au Liberia, se dit aussi un des signataires des Accords de Ouagadougou en 1990 en tant que « chef de guerre ». Et il n’y va pas par quatre chemins : « Je suis de nouveau dans la rébellion, déclare-t-il à Boureima Diallo et Nankoita Dofini. Pour nous, la résolution [des] problèmes passe par l’indépendance du Nord-Mali. Ni plus, ni moins. Nous sommes fatigués du diktat de Bamako […] Nous ne voulons plus vivre dans le même Etat. Nous voulons notre liberté, notre indépendance […] Nous ne refusons pas de médiation. Le problème, c’est qu’il y a eu trop de négociations et aucune n’a permis de résoudre le problème du Nord-Mali parce qu’en face il y a réellement un manque de volonté. Nous n’y croyons plus tellement ». Ouaga, qui se fait régulièrement allumer pour abriter des « opposants » aux régimes en place, de la Mauritanie au Cameroun (on se souvient de « l’affaire Guerandi Mbara »), se retrouve avec un encombrant colonel sur les bras dont on se demande d’ailleurs pourquoi, alors que la « rébellion » fait rage au Mali, il a choisi de se réfugier au Burkina Faso plutôt que d’aller combattre avec ses « frères ». Sauf à penser que L’Observateur s’est fait enfumer par un « charlot ». Ou que Ag Mehdy ne soit un envoyé spécial de la « rébellion », pré-positionné au Burkina Faso, afin être son interlocuteur auprès de Ouaga*.

« Jimmy le Rebelle » a débarqué comme un « cheveu sur la soupe » dans le dossier malien. Dont Bassolé ne veut faire, pour l’instant, qu’une opération strictement humanitaire et en évacuer toute la dimension politique et militaire. Selon sa déclaration liminaire, les réfugiés fuient les combats ; pas les exactions de certains Maliens à l’encontre des ressortissants du Nord. « Pas question de porter une appréciation de valeur » sur ce qui se passe au Mali a-t-il répondu à ma question. Les efforts visent à stopper le conflit et à restaurer la paix en « s’abstenant de tout propos provocateur ». « Nous accueillons ceux qui sont en danger sans chercher à qualifier ce qui leur arrive ». « Les seuls acteurs de la crise sont le gouvernement du Mali et les groupes armés. Eux seuls peuvent dire ce qu’il faut faire ». Une préoccupation : que le Burkina Faso ne soit pas une base arrière pour la rébellion ; et éviter autant que possible toute intervention extérieure. Ne nous y trompons pas. Cette diplomatie soft de Ouaga ne fait pas l’impasse sur ce qui se passe dans le corridor sahélo-saharien mais entend ne pas jeter d’huile sur le feu et laisser ouverte toutes les portes permettant d’envisager un accord entre les « rebelles » et le gouvernement de Bamako.

Bassolé a été, également, elliptique en ce qui concerne la concertation des pays du corridor sahélo-saharien. Il évoque, certes, un « espace communautaire », un « travail » conjoint avec « la République sœur du Mali ainsi que les pays voisins et amis du Mali », mais n’annonce, pour l’instant, aucune initiative. C’est dire que la crise malienne étant jugée avec toute la gravité nécessaire, Ouaga entend la traiter avec tout le doigté nécessaire, évitant de « mettre la charrue avant les bœufs ». Mais personne ne s’y trompe : la région n’est pas sortie des « emmerdements » ; après le « printemps arabe », on peut redouter que les Touareg, à leur tour, veuillent fêter le changement de saison !

* Qui peut penser que « Jimmy le Rebelle », revendiquant le parcours qui est le sien et les responsabilités assumées, n’ait pas sa fiche dans une banque de données des « services » ? Il suffit de taper son nom sur le net pour y lire sa déclaration d’adhésion au MNLA. Dès le 4 février 2012, celui qui signe effectivement « Jimy [sic] le Rebelle », annonce son arrivée au Burkina Faso à la tête d’un convoi de 60 véhicules emportant des familles touarègues qui fuient, dit-il, « les agissements des populations du Sud ». Haut fonctionnaire de défense au ministère délégué auprès du Premier ministre chargé du développement intégré de l’Office du Niger, ce colonel s’est notamment fait remarquer en organisant, les 11/12 septembre 2011 une réunion dans le Nord du Mali sur la « lutte contre l’insécurité dans le Nord ». Il s’y était fait le propagandiste de « l’avènement d’une véritable culture de la paix dans le Nord afin de juguler les diverses formes d’insécurités résiduelles déjà existantes ». Il avait, à cette occasion, appelé ses amis à « rester fidèles aux principes républicains dans une armée juste et loyale ». Si les autorités politiques burkinabè ont été débordées dans cette affaire, on peut regretter que L’Observateur Paalga se soit contenté d’écouter le colonel Ag Mehdy sans, semble-t-il, chercher à savoir qui il était réellement.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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