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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (12/12)

Publié le vendredi 17 février 2012 à 16h46min

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Un pays enclavé, sans ressources naturelles exceptionnelles, significativement peuplé et dont la diaspora est partout présente en Afrique, particulièrement dans la sous-région, doit nécessairement avoir une dimension diplomatique qui influe sur son évolution politique. Le Burkina Faso exprime pleinement cette situation. Il y a nécessité vitale, pour ce pays, d’être dans un environnement où « stabilité et développement durable » sont érigés en valeurs cardinales.

Or, il faut bien le reconnaître, c’est loin, très loin, d’être le cas depuis quelques décennies ; et, cependant, le Burkina Faso, malgré les aléas internes et externes, a su maintenir le cap, ne pas sombrer, ne pas concéder un pouce de sa souveraineté. Qui, ici, n’est pas un vain mot.

Il y a, en économie, un principe fondamental : la capacité d’absorption. En gros, avoir une politique en adéquation avec les moyens que l’on se donne. En diplomatie, ce principe devrait être, également, appliqué. Et je pense que ce sera une des lignes de réflexion de la prochaine conférence des ambassadeurs, qui se tiendra à Ouaga, à compter du 20 février 2012. C’est que le Burkina Faso ne peut pas avoir une diplomatie strictement réactive (formatage imposé par les multiples médiations et autres facilitations confiées à Blaise Compaoré et à ses équipes de « pompiers de service »). Il lui faut, dans le contexte du monde actuel, une diplomatie participative. Certains vont même jusqu’à dire « prédatrice ». Boureima Badini, l’homme de la « facilitation » burkinabè dans la « crise ivoiro-ivoirienne », me le rappelait récemment, à l’occasion du conseil des ministres conjoint Burkina Faso/Côte d’Ivoire (cf. LDD Burkina Faso 0278/Mardi 22 novembre 2011) : « Les Etats n’ont pas que des amis ; ils ont aussi des intérêts. Et notre intérêt est de voir comment nos populations vont tirer le maximum de profit de la paix retrouvée en Côte d’Ivoire ». Ouaga ne peut pas se contenter de la seule satisfaction du devoir accompli et de la reconnaissance éternelle de la « communauté internationale ». Il faut, toujours, à un moment ou à un autre, passer à la caisse.

Paris en est conscient et joue le jeu. Et cela va au-delà des belles paroles prononcées par Emmanuel Beth, l’ambassadeur de France, lors de la remise de la Légion d’honneur à Djibrill Y. Bassolé, le 14 janvier 2012. La preuve en a été la récente tenue, à Paris, dans d’excellentes conditions, de la conférence internationale de mobilisation des fonds dans le cadre de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD). Au lendemain de la visite d’Etat à Paris d’Alassane D. Ouattara, avec ce qu’il faut de fastes présidentiels pour satisfaire l’ego des « grottos » ivoiriens, la conférence de la SCADD sonnait comme une reconnaissance du « boulot » fourni par les Burkinabè dans la résolution de la crise ivoirienne. Il y avait urgence : au niveau de la population burkinabè, il y a encore de la suspicion à l’égard de la classe dirigeante ivoirienne (qui n’est pas jugée la plus à même de réconcilier les Ivoiriens entre eux, trop soucieuse de ses intérêts particuliers).

Et tant que la relance de l’économie ivoirienne ne profitera pas, significativement, aux Burkinabè, ceux-ci auront le sentiment que l’énergie mise en œuvre dans l’action diplomatique régionale aurait été mieux employée dans la recherche de l’amélioration de leurs conditions de vie. Notamment celle de la jeunesse qui se sent exclue de la photo qui fait aujourd’hui du « pays des hommes intègres » un modèle de stabilité en Afrique de l’Ouest et l’allié privilégié d’un « Occident » plus que jamais perçu comme égoïste.

Remettant la Légion d’honneur à Bassolé, Beth, notre ambassadeur, affirmait : « Je me plais à souligner que, sur [les] dossiers essentiels pour la stabilité en Afrique de l’Ouest, nous défendions les mêmes idées, les mêmes objectifs et les mêmes principes ». Les Burkinabè ne sont pas dupes. Les alliances des « en haut d’en haut » ne sont pas celles dont profitent les « en bas d’en bas ». Réactive, la presse burkinabè n’a pas manqué de fustiger les déclarations de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, pour qui « contrairement à ce que dit l’idéologie relativiste de gauche, toutes les civilisations ne se valent pas ». Et plus que ces mots, c’est l’empressement des UMP à tomber à bras raccourcis sur le député apparenté PS de Martinique Serge Letchimy, qui a choqué les commentateurs. Pour ceux qui ont mon âge, participer à un congrès de l’UNI (le groupuscule devant lequel Guéant s’est exprimé, « mouvement » étudiant ancré à l’ultra-droite et qui, autrefois, s’efforçait de trouver ses subsides du côté de Jonas Savimbi, sous les auspices de leurs aînés du mouvement fasciste « Occident ») n’est pas neutre.

Comme l’a écrit H. Marie Ouédraogo dans L’Observateur Paalga (9 février 2012) : « Tout compte fait, on se surprend à préférer ceux qui, comme Le Pen, sont franchement racistes et xénophobes, aux autres qui préfèrent louvoyer entre leurs aspirations réelles et les diktats du politiquement correct ». Boulkindi Couldiati, dans Le Pays (9 février 2012), évoque la remise « au goût du jour [de] la théorie de l’hégémonie culturelle avec tout ce qu’elle a valu à l’humanité. Venant d’une personnalité française, ces propos ne devaient pas étonner ».

Et pan ! Bonjour l’image. « Nous sommes à l’ère de la mondialisation où l’humanité a plus que jamais compris qu’aucune culture, aucune civilisation, quel que soit son génie créateur, si elle se replie sur elle-même, s’étiole. C’est le mélange des races et des civilisations qui fait la beauté du monde », ajoute Couldiati. Belle leçon de libéralisme de la part d’un « nègre » à ceux qui, justement, se veulent les chantres du libéralisme. Mais il est vrai que depuis toujours Guéant, joue au sein du « clan » sarkozyste (pour reprendre une expression de H. Marie Ouédraogo), avec un réel talent, le rôle du « réac » qui, chez lui, n’est d’ailleurs pas un rôle de composition (ses premiers biographes « autorisés », voici déjà plusieurs années, l’ont attesté). Même Sidwaya, le quotidien national burkinabè, est monté au créneau sur une pleine page sous la signature d’Ali Traoré. Qui rappelle les vrais mots du député Letchimy, auquel on fait le mauvais procès d’avoir assimilé Guéant à un « nazi » : « M. Guéant, le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ? ».

Alain Juppé, notre ministre des Affaires étrangères et européennes (qui a, timidement, pris ses distances avec les propos de Guéant), l’a dit : la question cruciale est celle du « passage des générations ». C’était au sujet du Sénégal d’Abdoulaye Wade, mais c’est vrai partout. Saturnin N. Coulibaly l’a dit, lui aussi, pour ce qui est du Burkina Faso, dans sa « chronique » de Sidwaya (10 février 2012) : « Les changements de génération sont en train de s’opérer avec beaucoup de risques. A tel point que c’est devenu une équation à géométrie variable [il voulait sans doute dire à plusieurs inconnues], qu’il faudra pourtant, tôt au tard, résoudre ». « L’Occident » n’est plus le modèle. Notamment en Afrique. Et plus encore en cette période où les ex-colonies regardent les ex-puissances coloniales se désintégrer sous le poids de leurs contradictions. Les jeunes générations sont « mondialisées ». Souvent contraintes et forcées ; plus souvent encore en consentant d’énormes sacrifices. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : cette génération des 25/35 ans est bien plus « africaine » que ne l’était celle de leurs pères et grands pères quand ils se formaient, à mes côtés, sur les bancs de la Sorbonne : eux se rêvaient identiques ; leurs enfants et leurs petits-enfants affirment leur différence en refusant toute condescendance et en proclamant leur « indépendance totale ».

Le ton de la presse burkinabè est, globalement, celui qui convient pour exprimer les préoccupations de la jeunesse burkinabè. Ce pays est le seul en Afrique où la révolution (je parle de celle de 1983) n’a pas dégénéré en dictature mais a conduit le pays sur la voie de la « démocratie » politique et du « libéralisme » économique. Les imperfections sont nombreuses. Les frustrations sont plus nombreuses encore. Mais nul ne peut nier qu’aujourd’hui le Burkina Faso ne soit la vigie. Le pays qui dit à l’Afrique comme au « Reste du Monde », y compris à la France, où nous en sommes.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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