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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (8/12)

Publié le vendredi 10 février 2012 à 16h10min

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Pour la fête musulmane du Mouloud, hier, lundi 6 février 2012, la capitale du Burkina Faso était plongée dans les ténèbres rougeoyantes d’un vent de sable exceptionnellement dense venu du Nord. Pas un temps à mettre un dromadaire dehors. Heureusement pour eux, les Touareg, désormais, ont adopté le 4 x 4. Des centaines d’entre eux, les plus fortunés, viennent de débarquer à Ouaga, faisant le plein des hôtels de la capitale.

Ailleurs, c’est « sauve qui peut ». C’est dire que la situation que vit le Nord-Mali actuellement pèse, d’ores et déjà, sur la sous-région. Sidwaya, ce matin (mardi 7 février 2012), sous la signature de Aimé Mouor Kambiré et Moumouni Tamboura, raconte la saga de ces naufragés du Sahel qui ont choisi de se réfugier au Burkina Faso. Ils seraient déjà plus de 1.500 à avoir franchi la frontière du côté de Koro pour rejoindre Ouahigouya, capitale du Yatenga, dans le Nord-Ouest du pays, ou, bien plus au Nord, après Douna avoir rejoint Djibo, capitale du Soum. Tous font état de représailles exercées par des Maliens à l’encontre de la communauté touarègue soupçonnée de soutenir la rébellion déclenchée dans le Nord-Mali, le 17 janvier 2012, par des éléments du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Dans L’Observateur Paalga (lundi 6 et mardi 7 février 2012), Issa K. Barry, rappelle le discours modérateur d’ATT le 1er février 2012, appelant les Maliens à faire la part des choses : « Ceux qui ont attaqué certaines casernes militaires et localités au Nord ne doivent pas être confondus avec nos autres compatriotes touareg, arabes, songhoï, peuls qui vivent avec nous ». Il rappelle aussi la qualification de l’équipe nationale du Mali pour la demi-finale de la CAN, ce qui est une raison de ne pas désespérer totalement.

La situation que connaît le Mali est prise très au sérieux à Ouaga. Renforcement de la sécurité aux frontières de l’Ouest et du Nord, désarmement préalable de toute personne qui veut se réfugier au Burkina Faso, organisation des sites d’accueil, appel à la solidarité internationale en ce qui concerne l’assistance, notamment alimentaire, aux populations déplacées, etc. La préoccupation est aussi politique : on a conscience, dans les instances dirigeantes, que l’organisation de la prochaine présidentielle malienne (premier tour prévu le dimanche 22 avril 2012) dans un contexte non totalement sécurisé entraînerait nécessairement la multiplication des contestations du résultat. Du côté des militaires, on se préoccupe aussi du foisonnement d’armes, parfois sophistiquées, qui se trouvent désormais sur le terrain entre les mains des « rebelles ». La réactivité des autorités militaires burkinabè (je rappelle que le patron du ministère de la Défense et des Anciens combattants n’est autre que le président du Faso) a été immédiate. Et sans hurler « Apocalypse now », on se montre particulièrement vigilant, se réjouissant que, pour l’essentiel, la « crise ivoiro-ivoirienne » soit résolue (sans, pour autant, penser que tout va très bien entre ADO, Soro et les autres, notamment en ce qui concerne le retour dans le rang des « com zones »). Un corridor sahélo-saharien en ébullition ; des points de tension un peu partout ailleurs : Dakar, Ziguinchor, Bissau, Conakry ; les incertitudes liées à la politique de « repli sur soi » que pratique depuis quelque temps Nouakchott ; la perpétuation des massacres ethnico-religieux sur fond de lutte politique dans le Nord du Nigeria, une Afrique du Nord qui découvre la « révolution permanente » mais n’a pas encore compris que, pour cela, il fallait des révolutionnaires et pas des affairistes, etc. Il n’y a pas de quoi baisser la garde.

A Ouaga, au sein du ministère de la Défense et des Anciens combattants, après le traumatisme de l’an dernier lors des mutineries à répétition, on entend ne pas se laisser surprendre par une situation régionale particulièrement volatile et une situation nationale où le feu couve toujours même si les exactions de l’an passé ne laissent plus de traces visibles (les traces invisibles, quant à elles, ne sont pas vraiment un sujet de conversation : il faut éviter de tenter le diable en évoquant son nom !). Il n’y a plus guère de pays en Afrique de l’Ouest qui soient dirigés par un officier de formation. Kérékou a passé la main voici bien longtemps au Bénin ; Gnassingbé Eyadéma, au Togo, est mort, tout comme Conté en Guinée Conakry ; on sait ce qu’il est advenu de Mamadou Tandja au Niger… Les civils, désormais, l’emportent sur les militaires (enfin, jusqu’à ce que les militaires sénégalais, mis au pied du mur, se trouvent dans l’obligation de combler le vide « étatique » qui pourrait émerger à Dakar ; ce n’est pas probable, mais c’est possible et je ne suis pas le seul à le penser compte tenu de l’évolution de la conjoncture et des mentalités). Il n’y a qu’à Ouaga et Bamako que des anciens officiers de carrière (même s’ils n’étaient pas nécessairement des officiers de vocation), tous deux arrivés au pouvoir (à l’origine) par la voie des armes, sont encore en charge de la gestion de l’Etat. Un gage d’efficacité ? Blaise Compaoré vient d’entamer la deuxième année de ce qui doit être son dernier mandat présidentiel (dans l’actuelle configuration constitutionnelle).

ATT est, quant à lui, dans les derniers mois de son dernier mandat. Ils savent que les militaires peuvent perdre des guerres mais que ce sont toujours des civils qui les gagnent. C’est pour cela qu’ils ont troqué l’uniforme pour le costume. Normal. Il n’est personne qui, ayant planté un arbre, accepte de voir ses fruits tomber dans le jardin du voisin. Il n’y a qu’eux, dans la région, pour faire la différence entre un AK 47 et un allume-gaz. Autant dire que ce n’est pas du côté des « gouvernements civils » (ce qui ne signifie pas qu’à Bamako et Ouaga nous ayons affaire à des « gouvernements militaires »), de Dakar à Niamey en passant par Cotonou, Lomé et Conakry, qu’il faut attendre une quelconque perception géopolitique de l’évolution de la situation malienne et des voies et moyens permettant d’endiguer ce qui s’y passe. A Abidjan, où Alassane D. Ouattara a toujours eu les armes et la chose militaire – surtout ivoirienne - en horreur (plus encore depuis son expérience traumatisante de 2010-2011), les « officiers supérieurs » (très supérieurs même ; enfin, selon eux) sont sans doute encore trop occupés à décrypter leurs bordereaux bancaires pour s’intéresser à des affaires qui, finalement, pourraient être dangereuses*.

Ouaga-Bamako. Eh oui, on en revient aux vieux axes géopolitiques, aux vieilles solidarités (pas toujours à l’œuvre d’ailleurs). On ne pourra pas compter sur grand monde d’autre pour endiguer la furia touarègue, qui se veut une « révolution », et mener la médiation qui devra permettre de limiter les dégâts si tant est qu’il y ait quelque chose à négocier avec un ensemble de groupuscules dont la configuration « politique » est à géométrie variable. Mais chacun à conscience de l’urgence compte tenu de l’échéance présidentielle malienne mais, plus encore, du risque de voir le désordre régnant au Mali mis à profit pour réanimer les vieux réseaux armés régionaux : à commencer par ceux de Côte d’Ivoire. Désormais, de la côte Atlantique au corridor sahélo-saharien, plus personne n’est à l’abri du chaos. Raison de plus pour ne pas créer de situation de crise. Les chefs d’Etat ont des responsabilités ; les oppositions aussi. Et c’est le message que la presse burkinabè ne cesse d’envoyer à l’attention des Sénégalais. Mais il est peu probable, hélas, qu’elle soit lue et, plus encore, entendue à Dakar. « Apocalypse now » ?

* L’Observateur Paalga, dans son édition du 26 janvier 2012, commentant les nouveaux accords de défense conclus à Paris entre ADO et Nicolas Sarkozy, a écrit : « Dans une Côte d’Ivoire où sont présents des milliers de Français et de colossaux intérêts hexagonaux, il serait d’ailleurs politiquement incorrect pour la France et même dangereux pour Alassane Ouattara de dire aux soldats [français] de faire leur paquetage. Certes, avec leur cuirasse, Soro et ses Com zones sont présents, mais tout étant volatile en politique, ADO sait qu’il vaut mieux avoir deux fers au feu. A l’évidence, tout retoqués qu’ils pourraient être, les linéaments de ce nouveau draft ressembleront mutatis mutandis à l’ancien. Les apparences seront sauves, l’essentiel demeurera ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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