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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (7/12)

Publié le vendredi 10 février 2012 à 16h03min

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La détérioration de la situation au Mali (cf. LDD Spécial Week-end 0524/Samedi 4-dimanche 5 février 2012) fait ressurgir le spectre d’une crise « ethniciste ».

Dayang-ne-Wendé P. Silga l’affirme dans Le Pays (3 février 2012) : « Pendant que l’armée de leur pays est en guerre contre la rébellion touareg, les hommes du pays de Soundiata Keita ont choisi de faire pleuvoir des coups sur leurs compatriotes de la même ethnie que leurs agresseurs. Des commerces et des maisons de Touareg ont été saccagés dans plusieurs localités par des Maliens furieux qui ont vite franchi le Rubicon d’une chasse aux sorcières dirigée contre une ethnie […] D’où vient alors cette mauvaise idée de faire subir l’enfer sur terre à des frères (avec qui ils vivaient en bonne intelligence avant ces événements) parce qu’ils sont Touareg ? A l’évidence, la violence des combats et leur issue incertaine pour l’heure, trouble le bon sens de nombreux citoyens maliens et les font tomber dans des considérations dangereusement ethnicistes ».

C’est un nouveau pôle cancéreux qui vient ainsi d’émerger dans le Nord-Mali. Qui ne surprend personne. Bamako et Niamey avaient, dès le déclenchement de la guerre contre Kadhafi, souligné le risque de voir resurgir la rébellion touarègue avec de nouvelles armes, de nouveaux hommes, de nouvelles ambitions. Et des connexions avec AQMI, les Talibans d’Afghanistan, la secte islamiste Boko Haram dans le Nord-Nigeria. Une rébellion que la presse burkinabè ne traite pas comme un épiphénomène, ni un gangstérisme comme un autre, ni un acte isolé. « On sait que les revendications de ces rebelles concernent une zone qui va de la partie Nord du territoire malien jusqu’aux portions territoriales d’Etats limitrophes comme le Niger et le Burkina Faso. C’est une preuve, si besoin est, qu’il faut une réponse concertée et globale à ce mouvement », écrivait déjà Le Pays dans son éditorial du jeudi 19 janvier 2012.

Si au Sénégal, c’est l’entêtement d’un homme âgé qui déstabilise le pays (où la situation en Casamance n’est toujours pas réglée), au Mali, pays « démocratiquement » exemplaire, n’est-ce pas trop de démocratie qui tue la démocratie ? En matière de gestion de la rébellion touarègue faut-il reprocher quelque chose à ATT qui avait choisi la voie de la négociation quand, on s’en souvient, au Niger, Mamadou Tandja avait choisi la voie de la répression. Dans L’Observateur Paalga (mercredi 1er février 2012), H. Marie Ouédraogo rappelle qu’ATT avait voulu instituer « le binôme sécurité développement » et mis en place un Programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord-Mali. « Destiné à offrir aux hommes bleus une place au sein de la nation, cette initiative présidentielle partait du principe que seul le développement constitue une réponse à l’insécurité chronique et au terrorisme, écrit Ouédraogo. Mais voilà qu’à peine empaqueté, le somptueux présent fait les frais d’un nouvel accès de fièvre sécessionniste. Foulée aux pieds à travers les attaques répétées de ces derniers jours, la belle initiative du président malien, à peine mise en œuvre, se retrouve désormais dans une impasse tandis que son auteur est payé en monnaie de singe ».

Les pays africains ont une vulnérabilité maximale. Même ceux d’entre eux qui ont été considérés comme des « modèles » économique ou politique. La Côte d’Ivoire hier, le Sénégal aujourd’hui, le Mali demain. Des pays majeurs ; rien à voir avec la Guinée ou la Guinée Bissau, la Sierra Leone, le Liberia...

« De fait, cela repose la problématique de la construction des nations en Afrique. Des Etats ont été créés mais pas des nations. Visiblement, les populations ont vécu ensemble pendant des décennies mais elles ne partageaient pas une communauté de destin et les mêmes valeurs. Il ne faut donc pas s’étonner de cette fracture sociale douloureuse parce que le Mali court de graves dangers à cause de la rébellion touareg. L’Etat malien a, en tous les cas, du souci à se faire », a commenté Silga dans Le Pays (cf. supra). Ces textes traduisent, « subliminalement » sans doute, la perception qu’ont les Burkinabè d’être, non pas au-dessus de la mêlée, mais d’être, toujours (enfin, jusqu’à présent), en capacité de gérer la mêlée. Si, ici, les soubresauts politiques et sociaux ont parfois atteint un summum, ils ont toujours trouvé une solution rapide évitant que cela ne dégénère en crise ; et, chaque fois, c’est en interne que cette solution a été trouvée. C’est sans doute aussi que les événements historiques qui ont marqué l’histoire de ce pays, et ses épreuves subséquentes, ont forgé cette « façon d’être » burkinabè.

Une « façon d’être » qui apparaît comme un fil rouge dans les éditoriaux et les commentaires de la presse burkinabè, tout au moins dans ses titres phares (Sidwaya, Le Pays, L’Observateur Paalga, Journal du Jeudi, etc.). A Ouaga, on peut trouver bien des faiblesses à cette presse. Elle en a. Quand on vient d’ailleurs, en Afrique noire francophone, on lui trouve bien des qualités. Elle en a aussi. C’est, d’abord, un intérêt pour l’international et pas seulement pour l’anecdotique national. C’est ensuite la qualité de la réflexion qui se nourrit de l’histoire du pays et du continent et le refus d’être strictement (et bêtement) clientéliste et, du même coup, sombrer dans le « griotisme ».

Il y a souvent, me semble-t-il, une prise de conscience de la responsabilité qui est celle du journaliste qui se doit d’informer, qui peut parfois polémiquer et même s’engager, mais sans jamais perdre de vue l’éthique et la déontologie de son métier. Et la nécessité vitale qu’il y a pour des « démocraties » fragiles (on vient de le voir hier en Côte d’Ivoire, aujourd’hui au Sénégal et au Mali) de ne pas jouer le jeu de la déstabilisation. « La démocratisation suit son bonhomme de chemin sur le continent, du fait de la vigilance et de la détermination des peuples, écrivait Le Pays dans son éditorial du mercredi 1er février 2012. Toutefois, elle se heurte toujours au manque de volonté politique et à l’incurie des gouvernants. Cela se traduit parfois par des crises ouvertes, lesquelles sont diversement interprétées […] La demande sociale s’accroit. Ensuite, les revendications pour davantage d’espaces de liberté et de transparence dans la gestion et la gouvernance africaine ne cessent de s’amplifier. C’est qu’à la faveur du jeu démocratique, le citoyen électeur devient chaque jour plus exigeant, mieux informé et plus critique envers l’action gouvernementale. Enfin, les partenaires techniques et financiers sont devenus bien plus avisés et audacieux que par le passé ».

J’aime particulièrement ce texte qui se rapporte, par ailleurs, à ce que devraient être les porte-parole de chefs d’Etat et de gouvernement africains. Il dit ce qu’il faut dire : les sociétés civiles ne sont pas bloquées ; elles évoluent et c’est leur évolution qui formate le mode de production de l’Etat. Tout comme, à leur tour, elles sont formatées par le mode de production de l’Etat. Gouvernants et gouvernés marchent ensemble ; pas toujours au même pas ; pas toujours dans le bon sens. Mais les uns ne vont jamais sans les autres. C’est quand on ne marche pas ensemble, qu’on ne marche pas dans le même sens, que les crises éclatent : Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali... Le Pays dit : « Prises au piège de l’avènement d’une presse libre et plurielle, les élites dirigeantes d’Afrique cherchent aussi à échapper à tout prix à l’isolement qui les guette ». L’idée qu’une « presse libre et plurielle » puisse « isoler » les hommes de pouvoir ne manque pas d’attrait. Sauf que ce n’est pas la vocation de la liberté et du pluralisme de la presse. Elle doit être la vigie du monde et avoir une vision de 360°.

Dire, en toute indépendance, ce qu’elle voit et en tirer les conclusions qui s’imposent. « Aller au-devant des choses pour situer l’opinion sur les événements » écrit Le Pays. Une amie burkinabè qui lit par-dessus mon épaule m’interroge sur ce qu’est effectivement une vigie, terme apparemment tombé en désuétude. Je le lui dis. Elle me dit, qu’en fait, c’est une sentinelle. Pourquoi pas ? Cela implique une dimension de gardien… vigilant sur lequel repose la sécurité du groupe. L’engagement en plus. « Sentinelle » ? Pas mal !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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