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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (6/12)

Publié le jeudi 9 février 2012 à 17h14min

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La connexion Abidjan-Ouaga s’est forgée une nouvelle légitimité au cours de la décennie passée. Qui s’est concrétisée, symboliquement, par la tenue dans la capitale burkinabè, le vendredi 18 novembre 2011, d’un conseil des ministres conjoint Burkina Faso-Côte d’Ivoire en présence, bien évidemment, des deux chefs d’Etat : Blaise Compaoré et Alassane Ouattara (cf. LDD Burkina Faso 0276/Vendredi 18 novembre 2011).

Les Burkinabè, conscients d’avoir joué un rôle majeur dans l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire (mais aussi d’en avoir payé le prix fort), regardent le fonctionnement de leur grand voisin avec ce qu’il faut de circonspection. Les médias, quant à eux, qui ont constaté que Ouaga avait mis les petits plats dans les grands lors de la visite d’ADO fin 2011 ne manquent pas d’égratigner la façon dont les Français viennent de recevoir l’Ivoirien (25-27 janvier 2012). « Un accueil pas si aimable que ça », a titré L’Observateur Paalga (30 janvier 2012). « Un accueil somptueux à la limite de la pantomime et qui ne manquera pas de faire jalouser certains roitelets du pré carré français », a écrit Rabi Mitbkéta dans ses « billets craquants », ajoutant aussitôt : « Mais il y a eu une fausse note au cours de ce séjour princier. Tout chef d’Etat soit-il, et ami de longue date de l’hôte de l’Elysée soit-il, le président ivoirien a été accueilli à sa descente d’avion par un simple ministre de la République en la personne de Claude Guéant, titulaire du portefeuille de l’Intérieur ». Et le persiflage se poursuit jusqu’à la chute : « Et c’est souvent ainsi quand il s’agit des rois nègres, véritables commis, si ce ne sont pas tout simplement des vassaux de luxe de l’Elysée ».

Il n’est pas certain qu’ADO apprécie d’être traité de « roi nègre », de « commis », de « vassal ». D’autant plus que Souleymane Kanazoé enfonce le clou dans le quotidien national Sidwaya (jeudi 26 janvier 2012) : « ADO en France : visite d’un « commis » à un parrain ? », titre-t-il son papier. Kanazoé reprend là l’antienne des pro-Gbagbo tout en s’interrogeant sur « ce que cache réellement la visite de ADO chez les Gaulois », évoquant des « accords secrets » signés avant l’intervention de la force Licorne, « intervention décisive dans la chute de Laurent Gbagbo ». « Visite d’Etat ou relation dominé-dominant, l’avenir nous situera sur la présence de Ouattara au bord de la Seine », s’interroge-t-il.

Le Pays, de son côté, dans son éditorial du 26 janvier 2012, est bien moins dans le persiflage et bien plus dans la prise en considération de la réalité des faits : « Cette normalisation de l’axe Paris-Abidjan ne pouvait mieux tomber à une période où toutes les opportunités sont à saisir pour rebâtir une nation ivoirienne qui se remet douloureusement de son chaos. Tout le mérite de cet effort de reconstruction revient au peuple ivoirien tout entier qui s’échine, non sans peine, en témoignent les accrochages répétés entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, à tourner la triste page de la crise. Nul doute que des lueurs d’espoir finiront par poindre à l’horizon, peu importe le temps que cela prendra. L’espoir est d’autant plus permis que préside aux destinées du pays de l’espérance et de l’hospitalité, un homme de paix et de raison ».

La relation entre le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire n’est jamais une relation simple. Blaise est au pouvoir à Ouaga tandis qu’à Abidjan les chefs d’Etat défilent : Félix Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Robert Gueï, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara. Cela fait quand même du monde. Cela s’appelle-t-il… l’alternance ?

Ajoutons à cela que si Houphouët a perduré 33 ans au pouvoir et que cette persistance a été, dans une large part, la cause des drames qu’a connu par la suite la Côte d’Ivoire, Bédié, Gueï et Gbagbo ont été dégagés dans des conditions toujours dramatiques qui n’ont rien à voir avec l’alternance démocratique. ADO, quant à lui, est pour les médias burkinabè « l’homme de Paris ». Souleymane Kanazoé l’a rappelé dans Sidwaya (cf. supra) : « Lors de la crise postélectorale ivoirienne, en fin 2010, Paris a très vite pris fait et cause pour Alassane Ouattara. Au bout de deux semaines de guerre à Abidjan (fin mars-début avril 2011), l’intervention des forces françaises et des casques bleus de l’ONUCI […] pour neutraliser l’armement lourd de Laurent Gbagbo aura été décisive dans la chute de ce dernier ». On ne peut pas être plus clair.

On ne peut pas, non plus, ne pas penser qu’il y a dans le subconscient burkinabè la satisfaction de n’être, jamais, tributaire des autres. Les crises au Burkina Faso sont solutionnées par les Burkinabè eux-mêmes, sans implication ni ingérence étrangères. La souveraineté, ici, a un sens. Et, à l’exemple de Boukindi Couldiati (Le Pays - 3 février 2012), ils ont été nombreux à fustigé « la souveraineté à géométrie variable » du président Abdoulaye Wade qui dénonce les prises de position de Paris et de Washington à l’égard de Dakar mais oublie ses propres prises de positions, voici quelques mois, concernant Tripoli. Couldiati ne manque pas de rappeler à Wade qu’il s’est positionné comme le champion du « libéralisme » avant de rejoindre les rangs de « tous ceux qui ont du mal à s’imaginer une vie en dehors du pouvoir ». C’est un appel à la cohérence et il faut bien reconnaître qu’elle fait souvent défaut au sein des classes dirigeantes.

Ce n’est pas du nationalisme. Mais il y a une lassitude, exprimée consciemment ou inconsciemment, des Burkinabè à ne pas être pris en compte comme ils devraient l’être. Et soutenus par la « communauté internationale » comme le sont les autres, moins méritants. La souveraineté burkinabè est effective ; mais comme toute affirmation d’indépendance dans un monde où la dépendance est érigée en système de domination, elle est perçue comme une défiance et, du même coup, sinon l’appartenance au camp d’en face, l’appartenance à un autre camp. Celui qui n’a pas besoin des autres pour corriger ses erreurs et dont la « façon d’être » peut apparaître, finalement, comme celle d’un « donneur de leçons ».

Autre portrait d’un chef d’Etat confronté à une conjoncture détestable d’avant-campagne présidentielle. Il ne s’agit pas, cette fois, de Wade mais du Malien ATT (ici, à Ouaga, on ne parle jamais autrement de lui). Un parcours exemplaire : liquidation d’une dictature meurtrière, mise en place d’une transition démocratique, retrait du pouvoir, retour au pouvoir par les urnes et, à nouveau, retrait du pouvoir à l’issue de deux mandats présidentiels. « Le » modèle. A tel point que, ces dernières années, Bamako a été la destination préférée en Afrique des leaders politiques français qui entendaient « tropicaliser » leur CV. Un pays fréquentable. Et pourtant. « Il avait l’air bien grave, le président malien, lors de son allocution à l’ensemble de la nation malienne, le mercredi 1er février 2012. Et il avait certainement raison, le brave ATT, car soucieux, on le serait à moins. L’homme est juste à quelques semaines de la fin de son second mandat à la tête de l’Etat et rêvait de bénéficier du repos sitôt que la présidentielle prochaine lui aurait désigné un successeur sorti des urnes ; mais de toute évidence, le président malien commence à déchanter ; la raison est plus qu’évidente : la situation sécuritaire qui prévaut désormais dans le Nord malien est en passe de l’obliger à réviser ses ambitions à la baisse […] On le comprend, dans cette atmosphère, ATT, pour volontaire qu’il soit, ne peut à l’heure actuelle, envisager sereinement la tenue de la présidentielle dont le premier tour est cependant prévu pour se tenir… le 29 avril prochain : on n’organise pas d’élection dans un contexte de très grande insécurité qui frappe une si grande partie du pays ».

Celui qui s’apitoie ainsi sur le sort du « brave ATT » est Jean-Claude Kongo, chroniqueur de L’Observateur Paalga (vendredi 3 février 2012). Faut-il s’étonner de ce ton quelque peu paternaliste ? Sûrement pas. Le Mali est le pays frère du Burkina Faso. Mais Ouaga a parfois eu l’impression de ne pas être suivi comme il convenait par Bamako quand il diagnostiquait des situations à risques. Cette fois, nous y sommes.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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