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Société : Une nuit avec les « refugiés » de la rue

Publié le mercredi 1er février 2012 à 01h15min

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Par groupes ou en solitaire, des centaines d’enfants ont choisi la rue comme lieu de refuge dans les grandes villes du Burkina. Entrainés dans ce milieu par de multiples facteurs, ces mômes doivent tout ou presque à la rue : le gîte et le couvert. Le phénomène prend de l’ampleur à Ouagadougou. Nous avons tenté de pénétrer le milieu le temps d’une nuit.

Lundi 19 décembre 2011. 20h00. Cette nuit, les animateurs de l’Association des enfants et jeunes en situation de rue face à leur sort (AJER/FS) ont encore rendez-vous avec leurs cibles. Notre souhait exprimé au préalable de faire partie de l’équipe de ce jour a été agréé. Le départ est fixé à 20h à partir du siège de l’AJER/FS sis à Karpala, un quartier populaire du secteur 30 de Ouagadougou. C’est finalement à 20h10mn que nous avons quitté le siège pour prendre la direction des sites à visiter non sans avoir enfiler les gilets de reconnaissance et d’identification à l’effigie de l’association.

L’équipe est composée de 4 membres : le président de l’AJER/FS Tasséré Ouédraogo accompagné de deux (02) de ses collaborateurs et votre serviteur, auteur de ces lignes.
En cette nuit de décembre, le froid dicte sa loi. La gare routière de Ouaga inter est la première destination. « Nous avons un site à la gare routière qui regroupe une vingtaine d’enfants et jeunes en situation de rue » nous confie le président Tasséré Ouédraogo, qui joue le rôle de chef d’équipe et notre guide attitré. A notre vue, un cercle se forme rapidement au tour de nous et chacun tenait à souhaiter la bienvenue aux « maitres » avec le fameux « tampon » exécuté avec le point fermé de la main. Mes compagnons qui connaissent chacun des enfants jusqu’au prénom demandent après les absents au rassemblement. « Ils sont allés chercher à manger dans les restaurants »répond le chef de site. Le chef de site est un jeune qui a la vingtaine bien sonnée et qui fait office de leader, voire de point focal du groupe.

C’est aussi l’occasion pour lui de présenter les nouveaux qui viennent de rejoindre le groupe. Yabré Abdoulaye (12 ans) fait partie des nouveaux. Contrairement à certains de ses compagnons de rue, Abdoulaye n’est pas habillé en haillon. Mais la couleur et l’état de ses habits indiquent que le temps qu’ils ont été passés dans l’eau relève de l’histoire. Muni de sa sébile, -la légendaire boite de pâte de tomate pompeusement rebaptisée « mallette diplomatique » par ses porteuses-cet enfant au visage pâle affiche un air de timidité. Nous avons néanmoins réussi à briser la glace en initiant une conversation sur sa situation. « Je suis venu dans la rue pendant la dernière période de chaleur ». A la question de savoir pourquoi avoir fait de la rue son domicile, Abdoulaye nous confie qu’il était un apprenti tailleur mais la maltraitance de sa tante lui a contraint à déserter la cour de son oncle. Et depuis, il a déposé son baluchon dans la rue, plus précisément à la gare routière et ne compte que sur la compassion et la gentillesse d’éventuels bons samaritains pour assurer ses besoins.

Autre lieu, même réalité

Plus loin encore, Kyelem Kevin, 11 ans squatte avec ses camarades, la plus belle avenue de la capitale, l’avenue Kwamé N’Krumah. Le leader de ce site est particulièrement content de la visite des responsables de l’association au point d’appeler un des vigiles officiant dans la zone pour lui présenter l’équipe. « Ce sont nos maitres. Ce sont eux qui nous assistent jour et nuit en cas de besoin » a-t-il révélé au vigile, leur voisin de nuit, comme pour lui faire comprendre qu’ils sont loin d’être des parias et que malgré tout, ils ont eux aussi leur sous couvert. Mais le petit Kevin semble n’avoir pas le même enthousiasme. Non pas que le discours ne soit pas vrai mais parce que sa préoccupation se trouve ailleurs : faire face au froid.

Il s’est recroquevillé sur lui-même tout en tirant son T.shirt pour l’obliger à assurer une mission dont il n’a pas la compétence à savoir couvrir tous ses membres. Kevin tout comme Abdoulaye de la gare routière dit avoir fui la maltraitance en famille pour se refugier dans la rue. A l’instar de nombreux enfants en situation de rue de son âge, il affirme qu’avoir à manger au quotidien n’est pas l’équation insoluble car il se nourrit généralement des restes de nourritures des clients des restaurants. Ces enfants arrivent à bénéficier souvent de la générosité des restaurateurs qui leur gavent de nourriture. Par contre, l’ennemi du moment est le froid surtout pendant la nuit. N’est-ce pas se soumettre à un calvaire que de dormir au mois de décembre à la belle étoile sans une protection conséquente !

Avant l’étape de Kwame N’Krumah, l’équipe était passée visiter les locataires du site de Ouaga 2000. Eh oui ! Comme si aucune zone de la ville ne devait être laissée hors de leur contrôle, les enfants et jeunes de la rue sont aussi dans le quartier chic de Ouaga 2000. Ce site accueille plus de jeunes que d’enfants. Nous avons surpris quelques uns en train de consommer des amphétamines. Le président de l’AJER/FS -qui a lui-même séjourné pendant 4 ans dans la rue avant de se ressaisir-a invité ces derniers à suspendre la consommation des produits toxiques pour suivre l’entretien. Toutefois, l’obéissance à cette injonction n’a pas totalement dissipée les effluves.

Mais il y avait pire. Il y avait pire parce que les locataires de ce site préparaient un affrontement contre un gang rival localisé au centre ville et ce, pour le 28 décembre 2011 en guise de représailles à un incident antérieur qui a opposé ce gang et les protégés de celui de Ouaga 2000. Il yavait donc de l’étincelle dans l’air mais heureusement, les conseils des membres de l’équipe ont permis de désamorcer la bombe. Sur ce coup, le président de l’AJER/FS, Tasseré Ouédraogo n’a pas manqué de nous confier que les conséquences de cet éventuel affrontement auraient pu se révéler désastreuses du fait des moyens de défense et d’attaque qui sont généralement utilisés dans ce milieu. Une médiation d’urgence a donc été initiée entre ces rivaux pour amorcer une sortie de crise avant la tenue de l’assemblée générale de l’AJER/FS prévue pour le 21 décembre 2011.

Pendant qu’on s’apprêtait à clore la tournée, l’équipe a été informée de la situation sanitaire dégradante de deux jeunes filles en situation de rue qui ont installé leurs quartiers dans un coin du projet ZACA. Une fois sur place, l’on a procédé à leur évacuation au CMA de Bogodogo aux environs de minuit avec le concourt des sapeurs pompiers.

Touwendinda Zongo

MUTATIONS N. 5 de janvier 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)


Les enfants de la rue en Assemblée générale

Le mercredi 21 décembre 2011, l’Association des enfants et jeunes en situation de rue face à leur sort (AJER/FS) a tenue son assemblée générale à la Maison des jeunes et de la culture de Ouagadougou pour examiner et adopter le plan d’action 2012-2014 de la structure.
Dès 7h du matin, les enfants et jeunes en situation de rue ont commencé à occuper la salle de conférence de la maison des jeunes. Ils viennent de tous les coins de la capitale, notamment des 45 sites que compte l’AJER/FS. Zoungrana Alassane alias Z.Alas, un artiste en herbe issu du milieu de la rue assure l’ambiance. La cérémonie a commencé aux environs de 9h avec le mot introductif du président de l’association Tasséré Ouédraogo suivi de la présentation des participants et des invités.

Les responsables de la structure ont ensuite dressé le tableau sombre du phénomène des enfants de la rue. « Le nombre d’enfants et jeunes en circonstances particulièrement difficile ne cesse de croitre au Burkina Faso. » ont-ils souligné. En effet, les statistiques issues du recensement des enfants en situation de rue dans les 49 communes urbaines du Burkina Faso initié par le ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale indiquent que de 2146 enfants vivants en situation de rue, dont 525 pour la seule ville de Ouagadougou en 2002, on a dénombré au cours de l’année 2010, 5 721 cas d’enfants en situation de rue avec une concentration de 1396 enfants à Ouagadougou. Ils ont un âge compris généralement entre 6 et 25 ans en moyenne et proviennent de toutes les régions du Burkina Faso et des pays voisins. Ils fuient les conditions de pauvreté extrême de leur milieu d’origine et, souvent, une situation de violence et de marginalisation au sein de leur famille, suite à la mort d’un des parents et la reconstitution d’un nouveau ménage ou à la mort des deux parents.

Ces êtres vulnérables ont naturellement besoin d’une assistance et d’un suivi particulier. Et l’AJER/FS a concocté un plan d’action en ce sens. C’est le 2e du genre après le premier plan d’action qui a couvert la période de 2009 à 2011. Le deuxième plan d’action qui comporte 4 axes stratégiques a été adopté au cours de l’Assemblée générale par les participants.

Il s’agit de l’organisation et la structuration de l’association, la Communication externe et visibilité, la Prévention du phénomène des enfants en situation de rue, la Prise en charge et réinsertion des enfants en situation de rue. Sa mise en œuvre au cours des trois prochaines années nécessite la mobilisation d’un montant de 62.797.500 FCFA. L’AJER/FS qui est convaincue que « Nul ne construira un Burkina meilleur que ses enfants » espère pouvoir exécuter ce plan d’action et compte sur d’éventuels partenaires sensibles à la problématique.

Si l’AJER/FS m’était contée

Les responsables de l’AJER/FS expliquent que leur association est née de la volonté des enfants de la rue de Ouagadougou à s’organiser eux-mêmes avec l’aide et l’appui des anciens enfants de la rue.
Pour les fondateurs de la structure, ils sont convaincus que dans certains cas, les enfants et les jeunes vivant en situation de rue se sentent utilisés, et non impliqués, par les structures qui sont censées les aider à s’en sortir. L’association a donc été créée pour rendre aux enfants la dignité qu’ils méritent et aider les structures d’aide à agir de manière plus efficace au profit des enfants de la rue.
Elle est composée exclusivement de jeunes et enfants vivant ou ayant vécu en situation de rue. Sa mission est de représenter les jeunes et les enfants vis-à- vis des institutions, des structures d’aide et de la société.

Dans le cadre des activités de soutien aux enfants, l’AJER-FS intervient sur 45 sites spontanés de rencontre des enfants en situation de rue dans la ville de Ouagadougou, repartis en 4 zones. Au niveau de ces sites, les enfants désignent un leader, dit « chef de site » et sont appuyés par un référent de site, qui est une personne du quartier bien connue, sensible à la problématique et qui veille sur les enfants, en signalant aux responsables de l’association d’éventuelles situations critiques. Le siège de l’association situé au quartier Karpala est aussi utilisé comme centre d’accueil au profit des enfants et jeunes de la rue. Ces derniers s’y retrouvent par moments pour faire leur lessive ou même pour prendre un bain.

TZ

MUTATIONS N. 5 de janvier 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)

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Vos commentaires

  • Le 1er février 2012 à 16:08, par ALP En réponse à : Société : Une nuit avec les « refugiés » de la rue

    Salut !
    _/)/)erci pour ce effort fournit dans ces écrits. Aussi félicitation pour la lecture sur certaines réalités de la cité. Courage, car nous savons que par moment ce n’est pas aisé.
    Juste une petite suggestion. Je souhaiterais que suite à vos investigations (…), vous produisiez une conclusion pertinente à vos écrits (quand pensez-vous ?).
    Par exemple l’article (ou dois je dire le compte rendu de sortie) sur : « Une nuit avec les réfugiés de la nuit », j’aurais aimé une conclusion qui dépeint en bref cette situation et par la même occasion qui avance des recommandations à l’endroit des enfants, des parents ou tuteurs, des autorités…
    Courage à vous !

  • Le 1er février 2012 à 23:10 En réponse à : Société : Une nuit avec les « refugiés » de la rue

    Félicitations à votre assosication !!!

  • Le 23 janvier 2016 à 17:06, par OUEDRAOGO Sambologo En réponse à : Société : Une nuit avec les « refugiés » de la rue

    Je ne suis qu’un simple citoyen du Monde né au Burkina-Faso. On ne devient pas enfants de la rue par choix. Le concours des circonstances est évident. Il revient à l’ETAT de veiller à la réinsertion de ces citoyens en devenir.
    Bravo pour leur volonté affiché de ne pas se laisser aller et tomber ainsi dans le banditisme.
    Citoyens du Monde ! Indignons-nous de cette abjecte réalité sociale ! Engageons-nous dans l’action concrète ! Organisons-nous pour veiller au respect de la DIGNITE HUMAINE !!!

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