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Sénégal 2012 : Faut-il régler le dossier casamançais pour gagner la présidentielle ? (2/2)

Publié le jeudi 26 janvier 2012 à 16h51min

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Dans son message de fin d’année 2011, le président Abdoulaye Wade a, d’emblée, dès les premières minutes, abordé la question de la situation en Casamance évoquant « l’irrédentisme de certaines factions alors que d’autres négocient avec nous pour rétablir la paix ».

« Des désespérés [qui] sachant que le processus de paix entamé fait de grands progrès, tentent de raviver le feu et s’attaquent à notre armée qui est plus en position de veiller sur la paix et la sécurité des populations qu’en posture de guerre. Je voudrais que les populations se rassurent. Dans leur mission de défense de l’intégrité territoriale de notre pays, nos forces armées continueront de veiller, sans relâche, sur la sécurité des personnes et des biens quelques que soient les implications de l’exécution d’un si noble devoir ».

Un tableau franchement idyllique de la situation (quels sont ceux, au sein de la rébellion, qui « négocient » ?) qu’il n’est pas certain que les Casamançais partagent totalement. Ni, sans doute, les militaires engagés sur le terrain. Wade a, également « réitéré la disponibilité du gouvernement à poursuivre le dialogue avec le MFDC pour une solution pacifique de la crise, et à mettre en œuvre les mesures de réinsertion sociale en faveur de tous ceux qui acceptent de déposer les armes ». « Dans cet esprit, a-t-il ajouté, j’invite, en particulier, MM. César Atoute Badiate, Salif Sadio et Ousmane Niantang Diatta à nous rejoindre sur le chemin de la paix et de l’unité nationale ». Et s’il « félicite les cadres casamançais qui se sont maintenant impliqués dans la recherche de la paix », faisant ainsi référence au Collectif animé par Pierre Goudiaby (cf. LDD Sénégal 0165/Jeudi 19 janvier 2012), il ne fera pas, à cette occasion, référence à Sant’Egidio. Par contre, il ramène le président de la Gambie, Yaya Jammeh, dans le processus, soulignant qu’il « nous apporte son appui pour une paix rapide et durable en Casamance ». Ce qui n’est pas particulièrement évident.

Voilà surtout la « triplette de Zig » érigée en podium de la rébellion. Une « triplette » qui accuse Wade de corrompre les uns et les autres afin de diviser le MFDC ; ce que le MFDC réussit très bien tout seul (entre scission et infiltration) tant il est vrai que chacun des « chefs de maquis » aime à ne pas partager avec les autres ! Tandis que Wade les accuse d’être entre les mains de leaders régionaux, à commencer par Laurent Gbagbo quand, bien sûr, celui-ci était au pouvoir (c’est une constante chez Wade, depuis 2002, de considérer Gbagbo - à juste titre bien souvent - comme le sponsor de ses « opposants », non seulement en Casamance mais, aussi, à Dakar, qu’il s’agisse de Moustapha Niasse, Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho, etc). Le problème est que le MFDC (ou ce qu’il recouvre) est une nébuleuse composée d’une multitude de « (petits) seigneurs de la guerre » et qu’il faudrait un bottin pour en dresser le liste, à Dakar, Banjul, Bissau, Abidjan, Genève, Paris, Lyon… Et que stigmatiser les uns en les plaçant sur le devant de la scène au détriment des autres, c’est leur faire non seulement beaucoup d’honneur mais, plus encore, susciter des frustrations chez beaucoup (frustrations qui vont de paire avec la fin des « subventions » de la supposée rébellion). Wade, manifestement, joue sur la concordance des temps.

On peut accabler Gbagbo de tous les maux. Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches et qu’en matière de subversion (aussi tocarde soit-elle) Gbagbo a fait fortune ; ensuite, là où il est, il a d’autres « chats à fouetter ». En dramatisant la situation casamançaise avant la présidentielle, Wade parvient à ouvrir un nouveau chantier : « Si je suis réélu, je vais m’efforcer véritablement de régler la question » vient-il de déclarer ; s’il n’a pas pu le faire jusqu’à présent, c’était du fait des interférences de Gbagbo. Laurent out, tout devient possible. Wade fait, dans le même temps, son mea culpa (avant d’accéder au pouvoir en 2000, il disait régler « en quelques mois » ce dossier) tout en réaffirmant son acte de foi en la paix. Le mercredi 4 janvier 2012 Wade va donc donner son accord à Goudiaby afin que Sant’Egidio joue les « bons offices » du côté de Zig, Banjul et Bissau. Et Goudiaby, jouant le rôle qui est le sien, va aller un poil plus loin que Wade. Dans un entretien au quotidien Le Soleil (10 janvier 2012), lui, qui n’a aucun statut politique, affirme : « il faut sortir de l’impasse ». Diula concerné au premier degré, il dit aussi « qu’il ne faut pas internationaliser le conflit casamançais » même si l’appel à Sant’Egidio y ressemble.

Sant’Egidio mène, comme Goudiaby, une diplomatie de l’ombre. Celle du Vatican n’a rien à envier à celle des maquis casamançais et… dakarois. Goudiaby ajoute que le « conflit […] devenu extrêmement compliqué », ne peut être résolu que par un contact direct avec… Mamadou Nkrumah Sané. Exit donc César, Salif et Ousmane « invités » par Wade à le rejoindre « sur le chemin de la paix ». Selon Goudiaby, Sané est O.K. pour « que Sant’Egidio joue un rôle dans cette affaire ». Il est vrai que celui-ci, qui s’est autoproclamé secrétaire général du MFDC depuis la mort de Diamacoune, vit à Paris depuis plus de vingt ans ; ce qui facilite la « com ». Sané affirme qu’Ousmane Niantang Diatta est sous ses ordres comme chef du « front militaire » tandis que Salif Sadio et César Atoute Badiate (qui, par ailleurs, ne s’entendent pas) ne représenteraient plus qu’eux-mêmes (entretien avec Rémi Carayol - Jeune Afrique - 29 août 2011). J’ajoute que Goudiaby « appelle de ses voeux » une fédération Sénégal/Gambie/Guinée Bissau et, ajoute-t-il, « pourquoi pas » avec la Guinée Conakry. L’occasion de réclamer l’implication « directe » de ces pays (au moins Banjul et Bissau) dans la négociation.

Si la situation sur le terrain est préoccupante (plus encore dans le contexte pré-électoral actuel du Sénégal), nul ne peut penser que la Casamance jouera un rôle-clé dans le prochain scrutin. Mais c’est un cancer qui ronge le Sénégal et dont les métastases se répandent en Afrique de l’Ouest. Or la région est déjà confrontée, au Nord, aux exactions d’AQMI, au Sud aux connexions mafieuses des Guinéens alors si l’Ouest s’enflammait à son tour… !

L’Erythrée, le Somaliland, le Sud-Soudan sont parvenus à leurs fins : la sécession ; la Casamance veut faire croire qu’elle s’y efforce depuis trente ans mais, sur le terrain, l’expression réelle de cette revendication n’est que le fait de minorités qui entendent « arracher leur part des biens de l’Etat » à un gouvernement qui ne leur permet pas de « manger à leur faim » (Moustapha Bassene, « responsable » du Comité des sages pour la paix en Casamance). Mamadou Nkrumah Sané estime que ce n’est pas une « revendication » mais un « droit » : « La Casamance, dit-il (Jeune Afrique - cf. supra), est indépendante depuis le référendum de 1958. Le « non » l’avait emporté mais les voix casamançaises ont été diluées dans l’ensemble sénégalais. Le Sénégal n’a pas à nous donner l’indépendance car il ne nous a jamais colonisés ». Autant de mots qui s’ajoutent aux maux dont souffrent les populations de cette région mais qui permettent aux « leaders » de la « rébellion » de faire inscrire leur nom sur la liste des donations qui précédent toujours les consultations électorales. La Casamance n’est pas sortie des ténèbres ; et elle pourrait bien y faire sombrer le Sénégal !

« Face aux grands chantiers qui attendent le Sénégal ces toutes prochaines années dans les domaines économique et social, mais aussi dans ceux de l’éthique et de la morale, rien ne se fera sans un retour définitif de la paix dans la partie Sud du pays » : c’est, concernant la Casamance, le message solennel diffusé par les évêques du Sénégal dans la perspective de la présidentielle 2012. Espérons qu’ils ont, plus que d’autres, l’oreille de Dieu !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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