LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

La diplomatie vaticane a-t-elle encore une raison d’être ?

Publié le vendredi 13 janvier 2012 à 13h03min

PARTAGER :                          

C’est dans le cadre, d’une remarquable beauté, de la Sala Regia (aussi haute que longue : 34 mètres !), la Salle Royale du Palais apostolique du Vatican, que Benoît XVI a prononcé le lundi 9 janvier 2012 le traditionnel discours du pape au corps diplomatique. Dans un contexte particulier.

D’une part, l’année 2011 a été celle du « printemps arabe » et de la montée en puissance des islamistes via les urnes ; d’autre part, la question de la succession sur le trône de Saint-Pierre est, désormais, ouverte. Caroline Pigozzi, sur le site de Paris-Match, a l’abordé sans détour le jour de Noël : « Vatican. La succession est ouverte » ; Pigozzi a d’ailleurs un favori : Angelo Scola, cardinal archevêque de Milan. Rappelons que Benoît XVI a 84 ans et est apparu très fatigué lors de ses dernières apparitions publiques. On pouvait donc attendre, de la part du pape, une communication qui prenne en compte les changements géopolitiques fondamentaux et indique la ligne à suivre. Vaine espérance.

La diplomatie vaticane n’est pas chose négligeable. 179 ambassadeurs accrédités près le Saint-Siège dont 80 résidant à Rome, un secrétaire pour les relations du Saint-Siège avec les Etats, en quelque sorte le ministre des Affaires étrangères du Vatican (en l’occurrence Mgr Dominique Mamberti, un Français nommé par Benoît XVI en septembre 2006), et une flopée de nonces apostoliques (les « ambassadeurs » du Vatican). S’y ajoutent les réseaux catholiques, les groupes d’influence, les officines diverses (à l’exemple de Sant’Egidio) sans oublier la Sainte Alliance, les services secrets pontificaux (cf. LDD Saint-Siège 013/Lundi 9 juillet 2007). Autant dire que l’influence « mondiale » du Vatican n’a pas véritablement de concurrence ; et que son niveau de performance vaut largement celui des puissances occidentales.

Pour autant, le « tour d’horizon de la situation politique internationale » auquel s’est livré le pape a déçu les observateurs. La crise économique et financière doit être l’occasion « de nous donner de nouvelles règles qui assurent à tous la possibilité de vivre dignement et de développer leurs capacité au bénéfice de la communauté dans son ensemble », a-t-il dit. Le « printemps arabe » ne serait « qu’un vaste mouvement de revendication de réformes et de participation plus active à la vie politique et sociale » de ces « jeunes qui souffrent entre autres de la pauvreté et du chômage et craignent l’absence de perspectives assurées ».

Pour le reste, c’est le rappel que « la famille [est] fondée sur le mariage d’un homme avec une femme », la dénonciation de l’avortement « pour des motifs de convenance ou des raisons médicales discutables », la revendication que la « contribution » de l’Eglise catholique aux institutions scolaires « soit reconnue et valorisée aussi par les législations nationales ». Enfin, on retiendra la primauté accordée à l’Italie qui, selon le pape, « continue à promouvoir une relation équilibrée entre l’Eglise et l’Etat, constituant ainsi un exemple auquel les autres nations puissent se référer avec respect et intérêt ».

Jean-Marie Guénois, dans Le Figaro (10 janvier 2012), voit dans ce discours, notamment en ce qui concerne « la montée de l’islamisme », une « diplomatie de l’Eglise [qui] n’est plus simplement observatrice mais directement impliquée puisqu’il en va de l’avenir vital de populations chrétiennes ». Ou Guénois entend des voix ; ou il sait lire dans le marc de café.

Dans La Croix, Frédéric Mounier, envoyé spécial permanent auprès du Vatican, tient des propos plus critiques. Le quotidien catholique rapporte (10 janvier 2012) que « les ambassadeurs à Rome regrettent une diplomatie en mode mineur », peu audible « sur la Libye, le printemps arabe, la crise ivoirienne », une « trop grande attention » accordée à la situation italienne, une diplomatie « plus ecclésiale que politique, plus multilatérale que bilatérale », des nonces parfois à côté de la plaque*.

Mounier rapporte qu’on « entend parfois » : « A quoi bon maintenir une telle survivance diplomatique onéreuse ? ». Depuis Benoît XVI, la diplomatie vaticane n’est plus « menée tambour battant » (selon l’expression de Mounier) comme sous Jean-Paul II. En janvier 2004, celui-ci était dans un tel état de fatigue qu’il n’avait pas pu lire intégralement son message qui abordait des « classiques » : Moyen-Orient, dossier israélo-palestinien, violence, terrorisme (cf. LDD Saint-Siège 004/Mercredi 14 janvier 2004). Sa vision de la diplomatie refusait toute substitution des relations internationales aux démarches des acteurs nationaux.

Ainsi le Vatican entendait que l’Irak ne soit pas un protectorat US mais un pays occupant pleinement sa place sur l’échiquier moyen-oriental et mondial ; de même, Jean-Paul II estimait que l’intervention de la « communauté internationale » dans le dossier israélo-palestinien ne pouvait conduire qu’à « un début de solution » ; une paix durable ne pouvant être le fait, exclusivement, que des acteurs sur le terrain. Sous Jean-Paul II, il y avait la géopolitique d’une part et l’Eglise d’autre part ; même si l’Eglise avait « contribué à la transformation pacifique des régimes autoritaires, ainsi qu’à la restauration de la démocratie en Europe centrale et orientale […] en promouvant la liberté et les droits de l’homme ». Jean-Paul II qui s’était, personnellement, impliqué dans ce combat, pouvait, lui, se permettre cette affirmation.

Benoît XVI a une conception différente de la diplomatie vaticane. Exprimée dès sa première adresse au corps diplomatique en 2006 : il avait abandonné le terrain géopolitique pour rappeler les grands principes de l’Eglise qui devraient être ceux du monde (cf. LDD Saint-Siège 011/Vendredi 13 janvier 2006). N’ayant pas les références internationales de son prédécesseur, qui a été un infatigable « parcoureur » d’espaces, son message était, dès l’origine, un rappel aux principes. Ceux de l’Evangile qui sont ceux de l’Eglise et devraient être, selon lui, ceux du Monde. Strictement théologien, moins « laïc » que Jean-Paul II, Benoît XVI avait délivré alors un discours s’articulant autour de trois principes : « Vérité, liberté, réconciliation ». Au-delà de la démarche religieuse, une démarche strictement morale. Sauf, bien sûr, que la diplomatie ne relève de la morale, loin de là.

L’Etat de la Cité du Vatican n’est pas un Etat comme les autres. Et son chef occupe sur la scène diplomatique mondiale une position hors du commun. Cet Etat, dont le fonds de commerce est la religion catholique, a bien sûr une approche morale. Peut-il en être autrement ? Sûrement pas. Est-ce à dire, qu’au-delà de la morale, la diplomatie vaticane est vide de sens ? Le croire serait se tromper. Dans La Croix (mardi 10 janvier 2006), Jean-Marie Guénois (aujourd’hui journaliste au quotidien Le Figaro - cf. supra) écrivait qu’au Vatican « on évite de se payer de mots, pour aller au bout des conséquences de ceux que l’on prononce ». Magnifique formule.

Jean-Paul II était un pape omniprésent sur le terrain des relations internationales. Dans un contexte qui lui convenait : né en Pologne, il avait vécu la monté des revendications de « vérité » et de « liberté » dans les pays de l’Europe de l’Est et l’effondrement de l’empire soviétique. Benoît XVI était appelé à un autre type d’action diplomatique, les déchirures intérieures (« Terre sainte », chiites-sunnites, terrorisme, Soudan, Grands Lacs, Côte d’Ivoire, « printemps arabe », etc.) l’emportant sur les conflits entre Etats. S’il en a été conscient (« réconciliation »), il n’a pas permis que sa diplomatie s’adapte à cette nouvelle donne.

* Frédéric Mounier, qui s’intéresse aussi à l’Afrique (il a été, dans les années 1970, un temps, rédacteur à Ediafric-La Documentation africaine à Paris), écrit notamment : « Lorsque le nonce à Abidjan (Côte d’Ivoire) a appelé, peu avant la chute de Laurent Gbagbo, à respecter la décision de la Cour constitutionnelle qui l’avait déclaré vainqueur, les diplomates accrédités à Rome ont été choqués. « Mais on nous a expliqué qu’il fallait tenir compte des dissensions internes à l’épiscopat local », se souviennent-ils ».

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique