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Economie du développement : Penser la pauvreté comme une donnée qu’il faut gérer à défaut de pouvoir l’éradiquer.

Publié le mercredi 11 janvier 2012 à 00h42min

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Dans les années 1950-1960, quand les économistes du « Nord » se sont intéressés aux pays du « Sud », le développement a été érigé en dogme. Restait à en définir les voies et moyens, capitalistes ou socialistes, voire communistes. Il y avait, en la matière, beaucoup de volontarisme. Et plus encore d’opportunisme. Le « Nord », qui venait de se reconstruire après la Deuxième guerre mondiale, avait besoin d’exploiter les ressources naturelles du « Sud » et d’en faire un débouché pour ses marchandises, ses équipements, son savoir-faire…

L’échec des « politiques de développement » a conduit à l’abandon de ce sujet de préoccupation pour les économistes du « Nord » et même du « Sud ». Le « Nord », jamais en panne d’idée (et encore moins d’idéologie), a aussitôt inventé l’économie globale : autrement dit la « mondialisation ». C’était l’aboutissement des études menées sur le commerce international : la libéralisation totale des échanges allait permettre la prospérité des pays du « Sud », à l’instar de ce qui s’était passé pour le Japon puis pour les « dragons » de l’Asie du Sud-Est. On allait bientôt nous rebattre les oreilles avec les « émergents », Chine en tête. Et si, de par le monde, il y a de plus en plus de riches très riches, non seulement la pauvreté n’a pas été éradiquée dans le « Sud » mais, désormais, elle devient aussi une donnée économique et sociale dans le « Nord ».

La « mondialisation », ce sont les pauvres qui restent pauvres dans les pays pauvres tandis que dans les pays riches on constate la paupérisation de couches de plus en plus nombreuses de la population. Du même coup, on s’intéresse désormais aux « pauvres » bien plus qu’aux « pays pauvres ». Selon Gareth Stedman Jones, historien anglais, auteur de « La Fin de la pauvreté ? Un débat historique » (éditions Ere - Paris, 2007), « le débat a été remis au goût du jour par Bob Geldof ou Bono » (entretien avec Frédérique Roussel - Libération - Samedi 15 et dimanche 16 septembre 2007) mais il remonte à la fin du XVIIIème siècle, au moment de la Révolution française. La pauvreté n’est plus alors « une punition divine » mais est perçue comme « un fait évitable parce qu’elle est reconnue comme produite par la société elle-même ». Avec plus ou moins d’hypocrisie, la « société » n’a donc eu de cesse de vouloir éradiquer la pauvreté ou d’en limiter les « désagréments ».

Le « Nord », confronté aux crises sociales, aux révoltes, aux révolutions, aux insurrections, aux guerres…, s’est efforcé de l’éradiquer chez lui en l’échangeant contre la force de travail du « Sud ». Cela n’a duré qu’un temps. Le « Sud », lui aussi, en a eu assez du « travail forcé » et de l’exploitation forcenée dès lors que les plus riches parmi les pauvres avaient compris qu’ils pouvaient avoir leurs pauvres à eux et les faire turbiner à leur profit au nom du « capitalisme » ou du « communisme ».

Quand la « mondialisation » a imposé sa règle du jeu, la « communauté internationale » a pris conscience que celle-ci était aussi une machine à fabriquer de la pauvreté. Mais, une fois encore, l’inventivité sera au rendez-vous. En 2000, on appellera cela les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). En 2004 (3-9 septembre), le Burkina Faso accueillera un sommet extraordinaire de l’Union africaine sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté.

En 2010, les chefs d’Etat et de gouvernement des 192 Etats membres de l’ONU ont dressé un état des lieux de la pauvreté dans le monde. Et fixé une nouvelle date limite, 2015, pour atteindre les OMD. Que Ban Ki-moon, son secrétaire général, a ainsi résumés : « Une vie à l’abri de la pauvreté extrême et de la faim, une éducation de qualité, un emploi productif et décent, une bonne santé et un logement, le droit pour les femmes de donner naissance sans y risquer leur vie, un monde où l’environnement durable est une priorité, et où femmes et hommes sont sur un pied d’égalité ». On est loin du compte. En matière de développement, un mot vient d’apparaître : procrastination. Il vient de la psychologie : c’est la tendance à remettre systématiquement au lendemain les actions à mener.

C’est Esther Duflot qui l’emploie dans un entretien avec Alexandra Schwartzbrod (Libération - 6 janvier 2012). C’est, dit-elle, une « caractéristique de la pauvreté que l’on ne prend pas assez en compte. Qu’on soit riche ou pauvre, on a une vision différente du présent et du futur. Sauf que, quand on est riche, on est protégé. En effet, nos lendemains sont à priori assurés par un salaire, une retraite, une assurance vie, etc. Quand on est pauvre, on n’a rien de tout cela ! En Inde, on n’a déjà pas d’eau quand on ouvre le robinet, se préoccuper du lendemain n’est même pas pensable ! ».

Au « Sud », penser à demain c’est de la programmation, penser à après-demain c’est de la prospective et penser à la semaine prochaine c’est de la science fiction. La situation est plus difficile encore depuis que planification et planificateurs ont été voués aux gémonies et que l’on veut nous convaincre que le système économique « mondial », dès lors qu’il est libéralisé, est autorégulateur.

Duflot vient de publier, avec le professeur Abhijit V. Banerjee, « Repenser la pauvreté » (éditions Le Seuil - Paris, 2010). L’économiste française est devenue une icône depuis qu’elle a décroché le Prix 2005 du meilleur jeune économiste décerné par Le Monde. Seulement quarante ans en cette année 2012, ancienne élève de l’Ecole normale supérieure, doctorat d’économie au MIT en 1999 avec une thèse intitulée « Trois essais sur l’économie empirique du développement », titulaire d’une chaire d’économie au MIT depuis 2002, Catherine Simon (Le Monde daté du 6 janvier 2009 - c’était au lendemain de son inauguration de la chaire « savoirs contre pauvreté » au Collège de France), la définie comme une « intello globe-trotteuse » : c’est que sa tête bien pleine ne saurait faire abstraction du terrain.

Economiste du développement, Duflot est « la » spécialiste de la pauvreté ; elle a même créé un « laboratoire d’action contre la pauvreté » : J-PAL, un réseau d’environ 60 chercheurs dans le monde. Son principe de base est simple : « Le discours sur la mal-gouvernance, on l’entend souvent dans la bouche de gens de droite : il leur sert d’argument pour ne rien faire ou réduire les budgets ». Duflot, elle, se revendique de « la gauche pragmatique ». Elle veut donc « changer la perspective de l’aide aux plus pauvres », dénonçant « la recherche de solutions magiques » et prenant en compte que « quand on est pauvre, se préoccuper du lendemain est à peine possible ».

Les grands programmes d’éradication de la pauvreté, fondés sur ce que Duflot appelle « les trois i » (« idéologie, inertie, ignorance ») ont tous échoué ; y compris dans les pays du « Nord » qui se revendiquent comme des pays « riches ». C’est, pour beaucoup, le prétexte à dénoncer le « Sud » et à ne rien faire ; tandis que le « Nord », lui, pratique de plus en plus une politique d’exclusion de ses plus pauvres. Duflot, quant à elle, entend gérer la pauvreté considérant qu’elle « résulte du croisement d’une multitude de problèmes » : alimentation, « mésinformation », procratination… Elle veut « réintroduire un peu de paternalisme dans notre attitude vis-à-vis des plus pauvres », prenant pour modèle le « paternalisme libertaire ». « C’est l’idée, explique-t-elle, que le choix par défaut - fait par nous - a énormément d’influence, et qu’il n’y a donc pas de situation sans paternalisme. C’est l’idée que l’environnement détermine un certain nombre de choix. Donc, autant que l’environnement fasse les choix les meilleurs pour les plus pauvres ». Après tout les gouvernants ont toujours prouvé leur capacité à faire les choix les meilleurs pour les plus riches ; il suffit d’inverser la donne. Facile ?!

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 10 janvier 2012 à 21:19, par Le fils du pauvre En réponse à : Economie du développement : Penser la pauvreté comme une donnée qu’il faut gérer à défaut de pouvoir l’éradiquer.

    Merci Jean-Pierre
    Pourquoi un riche va-t-il chercher a éradiquer la pauvreté ? Il ne le fera certainement pas. Un pauvre oui, lui il vit dedans et sait qu’il aura une meilleure condition s’il parvenait a l’éradication de cette pauvreté. Que faut-il donc faire ? Le pauvre, dès qu’il est en charge de mener a bout les actions qui pourraient sortir ses concitoyens de leur misère, se met a se servir "first". Bientot il devient un riche et oublie de ce fait les pauvres. S’il se donnait seulement pour objectif d’aider tous les autres a sortir du "puit" et d’en sortir le dernier, il aurait certainement reussi sa mission. Ce dont nous avons le plus besoin, ce n’est pas d’une nouvelle théorie de développement ou de lutte contre la pauvreté... Ellen G. white dans son livre, Education (Dammarie les Lys, Ed. Vie et Santé, 1986), p. 67, 68. affirmait que :
    « Ce dont le monde a le plus besoin, c’est d’hommes, non pas des hommes qu’on achète et qui se vendent, mais d’hommes profondément loyaux et intègres, des hommes qui ne craignent pas d’appeler le péché par son nom, des hommes dont la conscience soit aussi fidèle à son devoir que la boussole l’est au pôle, des hommes qui défendraient la justice et la vérité même si l’univers s’écroulait. »

    Je crois que de tels hommes/femmes existent encore au Burkina Faso. Je prie pour mon pays

    Dieu, sauve le Faso !!!!!

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