Dialogue : CSI et pas ailleurs
La coexistence entre journalistes et hommes politiques a toujours été matière à débat sous nos tropiques. La nouvelle qui défraie la chronique ces temps-ci reste l’interpellation du député Hermann Yaméogo, président de l’UNDD. (Dialogue imaginaire du Journal du jeudi NDLR).
A travers certaines déclarations faites ici et là, le grand patron de l’UNDD ne semble pas satisfait des prestations de "ces cracheurs" d’encre et autres "mangeurs" de micros. Pourquoi n’en parlerait-il pas à Luc Adolphe Tiao, président du Conseil supérieur de l’information, un homme qui s’échine à instaurer dans ce pays une culture du vrai débat démocratique ?
Hermann : On ne peut pas dire que tes mecs font du bon boulot ces derniers temps !
Tiao : Et pourtant ! Les sons de cloche sont nombreux qui attestent de la réalité de la liberté d’expression !
Hermann : On frôle très souvent la diffamation et la désinformation...
Tiao : Il faut que les uns et les autres comprennent que la presse a une grande particularité...
Hermann : Le pouvoir de dire n’importe quoi ?!
Tiao : Mais non. Écoute, elle peut s’exprimer et l’on dira qu’elle prend parti ! Mais elle peut tout autant la boucler sans que cela signifie qu’elle n’a pas de parti pris ! Je pense qu’il faut faire confiance en la bonne foi des
journalistes...
Hermann : Je le voudrais bien ! Je regrette seulement qu’en Afrique la presse soit très souvent coupable de délits du silence...
Tiao : Et pourquoi ?
Hermann : Lorsqu’il s’agit d’informations pouvant troubler le sommeil des princes qui nous gouvernent, elle la boucle, mais il suffit qu’un opposant use de sa liberté d’expression pour qu’on trouve un lièvre à lever...
Tiao : Tu dis cela comme s’il y avait des pouvoirs éternels en Afrique ! Non, à ce jeu, on n’en sort pas. Les journalistes savent que leur crédibilité dépend plus de leur objectivité que de leurs éventuelles amitiés ou accointances politiques...
Hermann : Je dis qu’il y a disproportion dans le traitement des informations...
Tiao : Il ne faut pas confondre information journalistique et propagande ! Cette dernière, chaque parti la fait, à sa manière ; en cela je me dois de te féliciter pour l’existence du journal du parti !
Hermann : C’est un hebdomadaire d’informations générales !
Tiao : Des informations générales traitées avec un objectif précis, n’est-ce pas ?
Hermann : C’est là un procès d’intention de la part...
Tiao : Au CSI notre premier boulot c’est de constater ! Ensuite nous tirons les conclusions susceptibles d’être utiles à la poursuite de nos objectifs.
Hermann : Je suppose que tu dois recevoir de nombreuses plaintes...
Tiao : Non, c’est raisonnable.
Hermann : Je voudrais bien te croire !
Tiao : Il le faut car la presse a suffisamment le dos large pour encaisser les coups. Et chacun sait comment ça peut faire mal, les coups qu’elle se décide à rendre...
Hermann : Moi, je ne fais qu’attirer ton attention. Il faut qu’elle cherche à vérifier, à écouter tout le monde.
Tiao : Écoute, ce n’est pas parce qu’on exerce ce métier qu’il faut apprendre à écouter aux portes ! L’affaire est plus délicate que cela : en politique, la notion de compétence est très élastique ; elle ne tient souvent qu’à la fonction qu’on occupe. En clair, on est censé détenir les lumières de ses fonctions. Or, les journalistes sont astreints à une éthique.
Hermann : Écoute, il y a aussi des règles en politique !
Tiao : Bien sûr, mais qui peuvent changer avec le temps, le régime et même avec les humeurs !
Hermann : Oui, mais y a quelque chose qui cloche dans tout ça : il y en a qui voudraient me détruire...
Tiao : Et pourquoi ?
Hermann : Tu sais bien qu’on cherche toujours à détruire ce qu’on craint ! Et on nous dit que nous vivons en démocratie...
Tiao : Certainement ! Mais la démocratie est d’abord un mode de vie associé d’expériences communes communiquées...
Hermann : Où veux-tu en venir ?
Tiao : Ben... si mes souvenirs sont exacts, tu as été parmi les premiers à soutenir officiellement le président du Faso ! Tu as participé à son gouvernement où tu avais montré tes talents de grand médiateur et de diplomate ! Aujourd’hui les gens ne s’expliquent pas ce qui se passe entre vous ! Jeter tout d’un coup à la poubelle une amitié qu’on disait exemplaire...
Hermann : C’est une autre histoire, celle-là. Moi, je te dis que certaines prestations de tes gars me laissent perplexe...
Tiao : Mes gars, comme tu dis, ne s’en sortent pas si mal ! Eux sont soumis à des principes dont la compétence, c’est-à-dire être sûr de soi, prêt à reconnaître ses erreurs, ne rien faire qui puisse réduire la confiance du public envers les médias, servir tous les groupes, etc. Quand on sait qu’il y a des métiers ou prétendus tels, où l’on fait feu de tout bois...
Hermann : Il y en a qui se croient tout permis.
Tiao : Je te comprends, mais laisse-moi te dire que ce métier comporte des devoirs dont le plus capital consiste à respecter la vérité. Il se trouve que, très souvent, droit et devoirs s’entremêlent...
Hermann : Moi, je suis avocat, mais toi, tu sais bien tout embrouiller...
Tiao : Mais non ! Écoute : il y a le droit à l’information,
celui qu’a le public de savoir la vérité. Le journaliste le sait ; il a le droit et le devoir de rechercher et de publier l’information. S’il la commente ou la critique, il devra le faire en toute loyauté. Comme tu le vois, il y a dans ce sacré boulot des droits à défendre et des devoirs à observer. Les démagos n’y ont pas de place...
Hermann : En attendant, jure-moi que tout ce qu’on vient de se dire, c’était hors micro...