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Après le naufrage de la politique maritime ivoirienne, Abidjan affirme repartir à l’abordage. Mais on a du mal à y croire ! (2/3)

Publié le jeudi 29 décembre 2011 à 17h19min

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Si Félix Houphouët-Boigny avait de l’ambition en matière d’économie maritime et s’en donnera les moyens (cf. LDD spécial Week-End 0518/Samedi 24-dimanche 25 décembre 2011), ses successeurs seront moins entreprenants. L’arrivée au pouvoir de Henri Konan Bédié va coïncider avec la liquidation des acquis maritimes des « années Houphouët ». Libéralisation, privatisation, déréglementation… seront fatales au secteur. Lui et Gbagbo en auront, par ailleurs, une vision strictement portuaire : les « com » plutôt que le commerce… !

Alassane D. Ouattara, dès son accession effective à la présidence, va nommer ministre des Transports un chef d’entreprise, formé au sein du secteur bancaire. Gaoussou Touré, dont le fief politique (c’est un RDR) est Odienné, a débuté sa carrière à la SGBCI, la Société générale des banques en Côte d’Ivoire (1977-1981) avant de se lancer dans le business (Multi-Produits SA, Sodiro, CECO…). En septembre 2011, à Yamoussoukro, il a organisé les « états généraux de la mer » en vue d’une « gestion intégrée globale et cohérente du secteur maritime […] susceptible de faire face aux défis de la mondialisation ». Ils appelleront à « l’ouverture des études de création par le secteur privé de compagnies maritimes nationales qui combleront la disparition de la Sitram, la Sivom, la Sisa, la Sivomar, etc. ». L’ambition de Touré est de faire de son pays « une grande nation maritime à l’horizon 2040 ». « Le gouvernement est en pourparlers avec des acteurs privés pour permettre à des opérateurs de battre pavillon ivoirien comme le Liberia le fait si bien. Nous sommes très avancés sur ce dossier. L’Etat est aussi ouvert à toute étude de création de flottes nationales. Des partenaires se sont déjà manifestés et nous les encouragerons pour que cela devienne une réalité », a-t-il déclaré à Baudelaire Mieu (Jeune Afrique du 28 août 2011).

La référence au Liberia n’est pas la plus saine en matière de transport maritime. Sa vision « 100 % privée » n’est pas la plus apte à relancer l’économie maritime. « Désormais, a-t-il déclaré au quotidien Le Patriote, l’Etat lui-même n’interviendra plus dans le secteur parce que c’est un secteur qui est libéralisé. Nous savons que c’est un secteur où le privé peut pleinement jouer un rôle important. Les opérateurs ont bien compris le message du ministre, parce que, selon les contacts et les retours que nous avons eus, tout se prépare. Dans la mesure où l’on sait que tout seul, les Ivoiriens n’auront pas la capacité de créer de grandes compagnies qui puissent tenir face à la concurrence actuelle, mais en nouant des partenariats intelligents avec de grosses structures qui existent déjà dans le monde, notamment les asiatiques et autres, ce sont des choses qui sont possibles. Nous avons des projets de quelques privés ivoiriens qui pensent qu’ils sont bien avancés, les uns avec Dubaï, les autres avec l’Inde ou la Chine. Ce sont autant de possibilités. Nous sommes donc ouverts et attendons toutes les propositions pouvant nous permettre de bâtir des compagnies nationales. En dehors de tout cela, nous allons développer les navires battant pavillon ivoirien car cela a beaucoup d’avantages pour le pays. En effet, en plus de ce que les privés paient, les bateaux accosteront plusieurs fois par an en Côte d’Ivoire. Ce qui permet de réceptionner beaucoup plus de navires que ce qu’ils reçoivent actuellement ».

La grande idée du « Vieux » avait été de créer un ministère de la Marine et d’en confier la gestion à un homme qui avait une compétence maritime. Ce qui n’est pas le cas de Touré qui, il est vrai, est ministre des Transports. L’économie maritime n’est pas un secteur d’activité que l’on peut aborder en dilettante ; même avec de la bonne volonté. Et le « discours » ministériel ivoirien en la matière « ne vole pas haut » si tant est que l’on puisse utiliser cette image pour une activité… maritime. Trop tôt pour évoquer un « naufrage », un « discours Titanic », une « avarie de gouvernail », etc. En 1985, la République de Côte d’Ivoire avait édité un ouvrage de 300 pages sur « la marine marchande ivoirienne » ; il lui faudra du temps avant de rééditer cet « exploit ». Seule raison d’espérer : l’annonce d’une réhabilitation de l’Académie régionale des sciences et techniques de la mer (ARSTM). Cette institution régionale de formation maritime, portuaire et industrielle, ouverte en 1987 à Niangon-Lokoa, est une école supérieure de navigation (ESN) et une école supérieure des transports maritimes (ESTM) ; elle est aujourd’hui dirigée par le lieutenant-colonel Karim Coulibaly. Il serait bon, également, de réhabiliter l’Institut de documentation, de recherches et d’études maritimes (Idrem), qui était la cellule grise de la marine ivoirienne, autrefois dirigée par Jean-Claude Kouassi, un officier de marine qui, depuis, a su fort bien tracer sa route jusqu’aux rives du pouvoir.

Créer une compagnie maritime de dimension nationale, y compris en Afrique, nécessite plus de compétence et de moyens financiers que de volontarisme politique. Surtout dans une conjoncture où les géants du secteur fusionnent entre eux. C’est ainsi que le français CMA CGM, numéro trois mondial du conteneur, s’allie avec le numéro deux, l’italo-suisse MSC tandis que le danois Maersk Line demeure le numéro un. Les flottes de ces leaders atteignent des chiffres inimaginables : plus de 1.300 navires au total pour le trio de tête ; et ce sont des géants des mers : 14.000 EVP, parfois même portés à 16.000 EVP, quand, il y a une quinzaine d’années, la norme était dans l’armement de 3.000 EVP. Les leaders mondiaux sont, aussi, les leaders en Afrique : Maersk est numéro un et CMA CGM numéro deux. L’armement français détient ainsi 33 % de parts de marché dont 75 à 80 % via Delmas (747.000 EVP en 2010 - 1,5 milliard de dollars de chiffre d’affaires), racheté au groupe Bolloré voici six ans et qui, au sein du groupe CMA CGM, conserve son identité tout en bénéficiant de la logistique d’un groupe mondial.

Pas question, donc, pour les compagnies africaines de se confronter aux grandes flottes mondiales. Et les « notes d’orientation » de l’Union africaine sur comment « créer une industrie du transport maritime sûre, sécurisée et propre en Afrique » (thème de la 2ème conférence des ministres de l’UA en charge du transport maritime à Durban, 12-16 octobre 2009), restent lettres mortes. Le projet « Sealink » initié par la banque nigériane NEXIM en partenariat avec la Cédéao et la Fédération des chambres de commerce d’Afrique de l’Ouest, n’ambitionne rien d’autre que de créer une compagnie maritime qui ne desservirait que la côte Ouest-africaine et il faudra sans doute du temps pour que ce projet aboutisse (si jamais il aboutit) et sûrement plus de trois ans d’exercice pour que des dividendes soient versés aux actionnaires (c’est l’ambition affichée du promoteur du projet Roberts Orya, le patron de NEXIM).

Dès lors que penser de ce projet ivoirien d’armement maritime qui, ces derniers jours, navigue sur le net ? Ainsi, le directeur général de la Nouvelle compagnie ivoirienne de la marine (NCIMA), le capitaine Pascal Danyell Loua, aurait, à l’occasion d’un séjour à Shanghaï, signé les 12 et 21 décembre 2011 un accord avec deux « consortiums chinois d’investissements et de fabrique [sic] de navires ». L’accord porterait sur la fourniture de 14 bateaux pour 159 millions de dollars que Loua et son équipe auraient « inspectés et testés ». Dans un français approximatif, les promoteurs de ce projet expliquent que « l’accord prévoit un chronogramme très précis de mise en œuvre qui démarre le 30 mars 2012 en attendant l’exécution de procédures techniques et administratives en Côte d’Ivoire, d’appuis institutionnels, d’aménagement des garages [sic] des navires et des installations [sic] de remorqueurs ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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