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Après le naufrage de la politique maritime ivoirienne, Abidjan affirme repartir à l’abordage. Mais on a du mal à y croire ! (3/3)

Publié le samedi 31 décembre 2011 à 09h09min

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Se donner les moyens, humains et financiers, de sa politique ! Le gouvernement d’Alassane D. Ouattara veut que la Côte d’Ivoire devienne « émergente » en matière maritime. Bel objectif. Félix Houphouët-Boigny avait, déjà, cette ambition. Il avait mis en place, pour y parvenir, un ministère de la Marine dont il avait confié la responsabilité à un officier de… marine, le tout premier officier de marine ivoirien. Il avait mis en place les institutions d’études et de formation qui convenaient.

Des ports, des entreprises portuaires, des armements publics et privés composaient le paysage maritime d’un pays largement ouvert sur l’océan Atlantique. Le pari paraissait gagné quand la déréglementation prônée par les institutions internationales et les bailleurs de fonds allait couler par le fond tous les acquis de près de trente années consacrées à promouvoir « l’économie maritime ». Aujourd’hui, l’ambition demeure ; mais sa réalisation est attendue exclusivement d’un secteur privé ivoirien dont on se demanderait s’il en a les moyens si l’on n’avait pas, par ailleurs, la certitude que sa perception de ce qu’est « l’économie maritime » prend singulièrement l’eau.

Illustration. Le capitaine Pascal Danyell Loua, directeur général de la Nouvelle compagnie ivoirienne de la marine (NCIMA), était ces derniers jours à Shanghaï pour y acquérir 14 bateaux dans le cadre d’un contrat de 159 millions de dollars qui aurait été signé avec des « consortiums » chinois. Que nous dit-on de cette affaire (notamment via l’Agence ivoirienne de presse, AIP) ? « La nouvelle acquisition permettra la création de plus de 11.000 emplois dans l’industrie maritime. Et relancera un secteur pour qui la récente crise postélectorale a été fatale après plusieurs années de léthargie ». A noter que Maersk, premier armement mondial, exploite plus de 550 bateaux avec 22.000 personnes seulement ! Loua se présente comme un ancien de la Sitram, l’armement national public ivoirien, « capitaine polyvalent pont et machines, commandant en second, ancien élève des Ecoles nationales françaises de la marine marchande, chevalier de l’ordre du Mérite maritime ivoirien ». Loua est le gérant de NCIMA, SARL unipersonnelle créée le 1er juillet 2008 au capital de 1 million de francs CFA. Son objet est le transport maritime, les activités auxiliaires au transport maritime, l’avitaillement, la pêche et les activités industrielles liées à la pêche, la création d’une université privée de la marine marchande.

En 2009, le capital de NCIMA a été porté à 10 millions de francs CFA par apport en nature de la SARL unipersonnelle Sogemco International, créée en août 1999, nouvel associé, dont le gérant est… Loua et dont le directeur exécutif est le chef mécanicien en second Bleu Albert Oulai. Cette même année 2009 est créée NCIMA Assistance maritime (NAM SA), au capital de 10 millions de francs CFA, spécialisée dans le remorquage de navires, la maintenance, l’entretien, etc. dont le premier administrateur général est… Loua. Loua semble, par ailleurs, avoir récupéré le fichier du personnel des anciennes compagnies d’armement ivoirienne et revendique plus de 2.000 noms de professionnels de la mer (marins et officiers de la marine marchande, personnel du secteur pétrolier offshore, etc.).

Avant même la création de NCIMA, la mise en place d’un armement national était déjà l’obsession de Loua. Il n’était encore que directeur général de Sogemco International (qui a un site sur le net), en décembre 2007, lorsqu’il annoncera « l’inauguration de la prochaine flotte maritime privée ivoirienne » afin de « régler définitivement la question du chômage de plus de 2 000 agents de la défunte Sitram », « la formation de la relève et la réduction de la pauvreté » figuraient aussi « au nombre des priorités avec la création de 300 à 400 emplois au minimum par an ». Ce jour-là, Loua était « sponsorisé » par Ferdinand Bléka. Celui-ci se disait « offusqué du fait que la Côte d’Ivoire n’ait plus aucun bateau depuis la dissolution de la Sitram en mai 1995 » et « invitait l’Etat ivoirien à soutenir cette initiative privée ». « Nous savons où trouver les moyens, ajoutait-il, mais nous voulons y aller avec l’Etat de Côte d’Ivoire afin que ce projet aboutisse ». Bléka était connu sur la scène « médiatique » ivoirienne comme le « président international » (sic) d’Afrijapan, une ONG ivoirienne qui aurait été en charge de la promotion de la coopération Afrique-Japon (Bléka revendique la rédaction d’un ouvrage de 300 pages sur la TICAD tiré à… 1 million d’exemplaires qui devrait être dédicacé à Tokyo en 2012).

Au temps de Gbagbo, Bléka s’affirmait partenaire de la « cellule diplomatique de la présidence, du ministère du Plan et du Développement et du ministère des Affaires étrangères ». Son job : offrir des véhicules et des ambulances aux collectivités décentralisées (il disait, en 2007, en avoir offert 600 !). Dans « l’affaire Sogemco », il dira avoir apporté un « appui logistique de plus de 250 millions de francs CFA composé de cinq véhicules dont trois de type 4 x 4 ». Récemment, le 22 décembre 2011, l’AIP, Agence ivoirienne de presse, écrivait (si on peut appeler cela écrire) : « L’organisation Afrijapan-Afric-Asia, dirigée par l’Ivoirien Ferdinand Bléka, revendiquerait plusieurs actions en faveur de la Côte d’Ivoire, notamment des actions humanitaires dont des vivres et non vivres pour le secours humanitaire destinées à la région de l’Ouest du pays, affectée par les effets de longues années de crise. Cette organisation aurait amené 50 investisseurs à donner leur accord pour appuyer des entreprises ivoiriennes en difficulté à travers le ministère de l’Artisanat et des PMI. L’acquisition d’une trentaine de véhicules pour le gouvernement ivoirien constituerait entre autres actions [sic] ». Il est dit aussi que c’est Bléka qui aurait « gracieusement offert », en juillet 2011, un voyage d’étude au Burundi au cabinet du secrétariat national à la reconstruction et à la réinsertion « avec la participation effective du ministre Koné Mamadou* afin de s’informer sur le modèle burundais et rwandais de la construction et réinsertion poste [sic] crise » (les « journalistes » ivoiriens ont besoin d’un sérieux recyclage niveau CM1-CM2 !).

C’est Bléka qui, après le Japon ayant investi la Chine, aurait initié le contact entre le capitaine Loua et les « consortiums » chinois dont, nous dit l’AIP, Fusan International Marine Agency Ltd. (ce n’est qu’une agence de shipping implantée dans l’île de Zhoushan, au large de Shanghaï). On trouve aussi dans l’entourage de Loua, l’ex-ministre de la Communication et des Nouvelles technologies de l’information de Gbagbo, Douayoua Lia Bi, « parrain » de la cérémonie de décembre 2007 au cours de laquelle le duo Loua-Bléka a annoncé le lancement d’une nouvelle flotte nationale ivoirienne. Président du conseil général de Sinfra, en pays gouro, directeur départemental de campagne de Gbgbo en 2010, Lia Bi a été en pointe dans la phase hystérique du combat du FPI contre Alassane D. Ouattara, appelant à sauver « la patrie face aux envahisseurs et prédateurs de l’extérieur ».
La création d’une flotte nationale ivoirienne est un enjeu d’importance instrumentalisé, à l’international, par quelques « personnalités » privées en connexion avec la sphère politique ivoirienne dont on peut douter du sérieux. Il conviendrait d’y mettre bon ordre. D’urgence.

* Il s’agit non pas de l’actuel président de la Cour suprême mais de l’ancien ministre de la Recherche scientifique (2003-2005), directeur du Port autonome d’Abidjan (janvier-novembre 2000), nommé secrétaire national à la reconstruction et à la réinsertion avec rang de secrétaire d’Etat en juillet 2010 après avoir été conseiller spécial (mars 2010) au cabinet du Premier ministre, Guillaume Soro.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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