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Jean Bosco Bazié, Coordonnateur de l’initiative‘’A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde’’ : « Investir dans le dialogue autour de l’eau, c’est prévenir les conflits »

Publié le mardi 27 décembre 2011 à 00h24min

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Le Sénégal et le Burkina Faso viennent, dans le cadre de ‘’A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde’’, de tenir leurs forums nationaux de l’eau et assainissement en vue d’une meilleure participation au prochain Forum Mondial de l’Eau à Marseille en 2012. Jean Bosco Bazié, au four et au moulin, en sa qualité de Coordonnateur, nous situe sur le bilan de ces manifestations et lève un coin de voile sur la suite du processus qui, faut-il le rappeler, concerne six pays ouest africains. Le directeur général adjoint d’Eau Vive donne également des éclairages sur l’initiative et aborde les enjeux dans le secteur de l’eau potable et de l’assainissement.

Lefaso.net : Votre organisation, Eau Vive, porte à bout de bras l’initiative ‘’ A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde’’. Que faut-il comprendre par ce projet ?

Jean Bosco Bazié : ‘’A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde’’ est une initiative de soutien à la tenue de forums nationaux de l’eau dans 6 pays de la sous région ouest africaine (Bénin, Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal et Togo) en prélude au 6e forum mondial de l’eau qui aura lieu du 12 au 17 mars 2012 à Marseille en France. L’idée est partie de quelques constats : le premier, c’est le faible niveau d’information et de communication au grand public sur les enjeux de l’eau et de l’assainissement ; l’eau est considérée à tort comme un simple intrant à d’autres secteurs d’activité et son caractère vital et transversal peu ou pas mise en avant. Le deuxième, c’est le cloisonnement des familles d’acteurs intervenants dans le secteur ne favorise que très peu de synergie dans la réflexion et l’action des parties prenantes. Et enfin, la participation des pays aux foras mondiaux est peu ou pas préparée à la fois sur le fond mais aussi sur la forme ; bien souvent l’on retrouve des voix dissonantes d’acteurs d’un même pays dans les foras mondiaux, toute chose qui n’honore ni les uns, ni les autres.

C’est pourquoi, nous avons saisi l’opportunité du prochain forum mondial de l’eau pour susciter et soutenir dans les pays concernés la concertation car au-delà du rendez-vous mondial, la réflexion et ses conclusions doivent servir en premier la gouvernance nationale du secteur de l’eau et de l’assainissement. En plus de la réflexion thématique, l’initiative comprend une forte dimension culturelle afin de mettre à profit l’esprit de créativité de nos artistes au service de la cause de l’eau et de l’assainissement. C’est en cela que la fête de l’eau a été organisée à travers diverses animations théâtrales, musicales, etc., car fêter l’eau, c’est fêter la vie. Nous avons pour cela l’engagement d’imminentes personnalités du monde culturel au rang desquels on peut citer, le cinéaste Gaston Kaboré, le sculpteur Ousmane Sow, le musicien Baaba Maal, la créatrice Irène Tassembedo ou encore l’académicien Erik Orsenna qui parrainent l’initiative.

Le Sénégal et le Burkina Faso viennent de tenir des forums nationaux de l’eau entrant dans le cadre de l’initiative. Quel bilan tirez-vous de ces rencontres nationales des acteurs de l’eau ?

On ne le dira jamais assez mais il faut se parler entre Etats, Collectivités locales, ONG, usagers, opérateurs privés, etc. Chacun à son mot à dire puisqu’il représente un maillon de la chaîne de décision et d’action. Dans ces deux pays, premiers à tenir leurs forums nationaux de l’eau, l’engouement des acteurs tout au long de la préparation et de la tenue, nous laisse dire que ces évènements sont non seulement mobilisateurs pour la cause mais aussi catalyseurs et fédérateurs d’idées et d’énergies. Il n’y a pas eu de langue de bois. Les acteurs ont « vidé leurs sacs » et ont fait des propositions concrètes pour améliorer la gouvernance du secteur ainsi que la chaîne de services à offrir aux populations.

Les vertus millénaires de la rencontre, de la concertation, du dialogue et de la reconnaissance mutuelle entre parties prenantes ont une fois de plus fait la preuve de leur nécessité et efficacité. Au Sénégal comme au Burkina Faso, je dois saluer le leadership du portage national assuré par les ministres en charge de l’eau ainsi que l’optimisation de l’expertise non gouvernementale pour l’encadrement et la conduite des travaux des forums. C’est pour moi l’occasion de féliciter les différentes équipes d’Eau Vive au Burkina Faso et au Sénégal qui ont prêté main forte aux comités nationaux pour l’organisation et la réussite de ces forums de l’eau et des activités culturels associés. Je salue l’engagement des artistes qui se sont mobilisés dans chacun de ses pays pour la fête de l’eau durant les forums.

Quelles difficultés y avez-vous rencontrées, particulièrement dans la préparation et la tenue de ces rencontres ?

La première difficulté a été le temps relativement court que nous disposions pour le lancement de l’initiative et la tenue des forums nationaux avant Marseille. L’autre difficulté réside dans la complexité des processus multi-acteurs dans lesquels l’esprit collectif est bien souvent mis à rude épreuve ; chaque partie voulant tirer la couverture vers elle sans reconnaissance de l’apport des autres. Enfin, il faut noter la difficulté d’auto financement national du dialogue multi-acteurs. L’existence de ces processus est toujours tributaire du financement extérieur et cela est peu honorable. Investir dans le dialogue autour de l’eau c’est anticiper l’avenir et prévenir les conflits liés à cette ressource vitale.

Au Sénégal, l’on a remarqué une forte implication de la Présidence. Quelle signification donnez-vous à cette marque d’attention ?

A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde a effectivement bénéficié du soutien de la Présidence de la République sénégalaise qui a mis à sa disposition le plateau technique (l’un des deux plus gros existants en Afrique) pour la scène artistique. Plus de 6000 personnes ont assisté au grand concert pour l’eau le 21 décembre 2011 à la place de l’obélisque à Dakar. Tout un symbole. Le soutien de la Présidence sénégalaise dénote du grand intérêt des plus hautes autorités du pays pour la cause de l’eau. Mais, il n’y a pas que le Sénégal, où les pouvoirs publics au plus haut niveau s’impliquent dans la mise en œuvre de l’initiative. Visitez le site Web de la Présidence togolaise et vous vous rendrez compte qu’ ‘’A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde » est bien suivie au sommet de l’Etat.

Quelle comparaison pouvez-vous faire entre le Burkina Faso et le Sénégal en matière d’accès à l’eau potable et à l’assainissement ?

La situation est quasi identique dans ces deux pays. Au moins 40% de la population n’a pas accès à une eau de bonne qualité et plus de 60% n’ont pas accès à un système d’assainissement adéquat. Au Sénégal par exemple, la ressource en eau bien que disponible, est excentrée par rapport aux établissements humains ; ce qui entraine des coûts élevés de mobilisation, de transport vers les usagers. Le rythme des investissements dans le secteur reste faible dans les deux cas et si les pays ne redoublent pas d’efforts, l’atteinte des OMD en matière d’eau potable et d’assainissement sera difficile voir impossible notamment pour le Burkina Faso car il reste à peine 3 trois ans pour l’échéance de 2015.

Quel est le prochain pays sur la liste des fora nationaux ?

Il faut noter que le Togo a engagé depuis le 19 décembre, des foras régionaux dans les 5 régions administratives que compte le pays, et tiendra son forum national de l’eau les 5 et 6 janvier 2012 au palais des congrès de Lomé. C’est une approche qui apporte de la valeur ajoutée au format national de ce genre d’exercice. Suivra le Mali les 16, 17 et 18 janvier à Bamako, le Bénin du 19 au 21 janvier à Cotonou et le Niger du 26 au 28 janvier 2012 à Niamey.

Tous ces forums, visent, vous l’avez dit, à préparer le 6e Forum Mondial de l’Eau. Concrètement, comment entendez-vous vous y prendre pour que les conclusions de ces fora nationaux soient effectivement prises en compte à Marseille ?

Comme je l’ai indiqué précédemment, les conclusions des forums nationaux doivent servir en premier la gouvernance nationale de l’eau et de l’assainissement. Ceci étant, dans le format de chaque forum national, une session spéciale est dédiée à la stratégie de participation du pays au forum mondial. Bien entendu, étant impliqué au processus d’organisation du forum mondial, notre organisation a déjà repéré quelques opportunités d’espaces de valorisation des produits des forums nationaux mais il appartiendra à chaque pays de réfléchir là-dessus et nous remonter ses souhaits. En attendant, les produits, les solutions issues des forums nationaux pourront être valorisés dans les différents processus préparatoires (politique, thématique, régional et citoyen).

Au titre du processus politique par exemple, les pays de l’initiative A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde, pourront faire valoir les conclusions de leurs forums nationaux lors de la prochaine réunion préparatoire de la déclaration ministérielle (prepcom) prévue les 2 et 3 février 2012 à Paris. Au titre du processus régional Afrique, les pays pourront faire valoir les conclusions de leurs consultations nationales auprès du Conseil des ministres africains de l’eau (AMCOW) qui pilote ce processus. Au titre du processus thématique, nous travaillons en collaboration avec l’Agence française de Développement à l’organisation d’une session multi-acteurs sur les financements. L’idée d’une table ronde multi-pays « A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde » à Marseille a été proposée par le Sénégal. Reste à voir sa faisabilité auprès du secrétariat du forum mondial. Bref, plusieurs possibilités sont donc offertes pour valoriser les forums nationaux de l’eau et leurs conclusions.

‘’Le temps des solutions’’, c’est le thème du Forum mondial. Pensez-vous vraiment que Marseille 2012 peut-il contribuer à faire du droit de tous aux services d’eau et d’assainissement une réalité en Afrique et dans les quatre coins de la planète ?

Marseille sera, comme d’autres foras passés et à venir, une nouvelle étape dans la recherche de solutions pour un accès universel à l’eau. Le droit à l’eau n’est pas une nouveauté, il vient certes d’être reconnu en 2010 par les Nations Unies mais il est consacré dans la plupart des textes fondamentaux de nos différents pays et demeure une évidence et un acquis sociétal. Son effectivité ne tombera pas du ciel mais de la construction de conditions favorables tel que la règlementation, les infrastructures, les ressources humaines compétentes, les instruments efficaces de financement et de solidarité locale, nationale et internationale, …etc. Le droit à l’eau doit être opposé au devoir de chacun et de tous dans nos divers domaines de responsabilités. Marseille contribuera à faire avancer le débat sur toutes ces questions et sera l’occasion pour l’Afrique de dire son mot.
Je profite de l’occasion pour remercier une fois de plus Lefaso.net, partenaire média engagé dès le début à nos cotés dans cette initiative A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde. Mes remerciements renouvelés à l’Agence Française de Développement qui apporte soutiens techniques et financiers à l’initiative.

Propos recueillis par Grégoire B. BAZIE

Lefaso.net

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