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Bénin : Quand Marie-Elise Gbèdo met les pieds dans le plat !

Publié le jeudi 15 décembre 2011 à 02h49min

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C’est désormais la guerre déclarée entre les magistrats béninois et leur ministre de tutelle, Me Marie-Elise Gbèdo, qui a prestement et fermement mis les pieds dans le plat le 8 décembre dernier. La ministre béninoise de la Justice, de la Législation et des Droits de l’Homme a en effet mis tous les membres du monde de la magistrature dans le même panier de la corruption, provoquant l’ire de ses vis-à-vis…

« La justice de mon pays est corrompue. Tous les juges de mon pays sont corrompus… Je suis à la tête d’un ministère dont j’ai honte… La justice béninoise est totalement corrompue… La justice est par terre… » Crus et directs, les propos de la ministre n’ont certainement pas fini de choquer le corps de la magistrature, qui réclame sa tête. Le président de l’Union nationale des magistrats du Bénin (Unamab), Onésime Gérard Madodé, n’y est d’ailleurs pas allé par quatre chemins pour demander à Me marie-Elise Gbèdo de rendre son tablier si elle a tant honte de la Justice de son pays.

Jugés inélégants et excessifs, outrageants et provocateurs, les propos de la ministre sont considérés comme répondant à une manœuvre en vue de susciter « un sentiment d’antipathie et de préparer par ailleurs l’opinion publique contre les magistrats ». L’Unamab s’apprête, informe-t-on, à dénoncer « les fils de règlement de comptes personnels dont sont cousus quelques cas de figures dans les dernières nominations de magistrats au niveau des Cours et tribunaux ».

Le torchon brûle donc – et c’est le moins qu’on puisse dire – entre le Garde des Sceaux de la République et le personnel de la magistrature. Au point que le syndicat des magistrats attend de tenir, vendredi prochain à Cotonou, une Assemblée générale extraordinaire afin de « statuer sur les propos du Garde des sceaux et sur les récentes nominations ». Un bras de fer dont on ne peut encore dire qui, des deux protagonistes de cette affaire qui tient désormais la rampe médiatique au Bénin, l’emportera au change. Car, à y bien regarder, c’est ni plus ni moins à un hara-kiri que les magistrats invitent leur ministre de tutelle, faute de démission.

Cependant, au-delà de la polémique, il y a certainement lieu de s’interroger sur la pertinence des propos de Marie-Elise Gbèdo. Personnage haute en couleurs et au caractère bien trempé, cette avocate a toujours eu le verbe clair et le ton acerbe, préférant se laisser aller à dire ce qu’elle pense sans s’embarrasser des circonvolutions diplomatico-stratégiques et/ou politiques. Les formules ampoulées et le langage châtié de ces messieurs et dames qui savent si bien arrondir les angles et ménager les chèvres et le chou semblent ne pas faire partie du mode d’expression de la première femme candidate à l’élection présidentielle du Bénin. Du moins, ainsi apparaît-elle – ou voudrait-elle apparaître, figurant le roseau qui plie face aux vicissitudes de la vie, mais qui ne rompt pas.

Seulement, voilà ! Marie-Elise Gbèdo n’a pas parlé la semaine dernière en son nom propre. Ni comme avocate plaidant pour une condamnation exemplaire contre cet appareil judicaire dont on sait qu’il traîne tout de même beaucoup de tares. Ni comme candidate à une élection présidentielle, dont le discours conduirait à promettre de mettre l’ordre dans « tout ça » si les urnes lui sont favorables. Ni même comme une simple citoyenne qui a mal à sa Justice et qui en a marre de ses travers. Non, c’est de son observatoire stratégique de ministre de la Justice que Marie-Elise Gbèdo a dressé son cinglant « réquisitoire » contre… la Justice de son pays ! Et cela fait toute la différence !

De mémoire de citoyens, on n’a pas encore vu un membre de gouvernement être aussi direct envers un système dont il est par ailleurs le garant. Et mieux, aller aussi loin dans la critique, clamant tout haut ce que bon nombre de citoyens pensent tout bas. Tant et si bien qu’on a du mal à croire que cette dame bouillante ait pu faire une telle sortie sans la caution du président de la République qui l’a nommée à ce poste, et qui reste, aux termes de la Constitution, le chef du gouvernement. Chacun attend donc de voir ce qu’il adviendra de cette seconde expérience gouvernementale du « roseau » de la vie politique béninoise qui refuse décidément de rompre. Thomas Boni Yayi la disqualifiera-t-il de son équipe, montrant à tous qu’elle est allée trop loin en ne sachant pas « la fermer », ou au contraire prendra-t-il le diagnostic de Marie-Elise Gbèdo à son compte, pour dépoussiérer courageusement la justice de ses tares ?

En tout état de cause, et même si on peut regretter quelque peu la généralisation de ce vigoureux coup de pied ministériel dans la fourmilière judiciaire de son pays, on peut raisonnablement lui donner quitus pour ce constat de vérité. Et espérer qu’elle n’ait aucun regret si cela devrait lui coûter son fauteuil ! Du reste, cette description n’est nullement l’apanage du seul Bénin, mais pourrait s’appliquer à la quasi-totalité des systèmes judiciaires africains, désespérément à la recherche de renaissance et de crédibilité.

Serge mathias Tomondji

Fasozine

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