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Félix Yé : "L’acquisition d’un ordinateur n’est pas une question de moyens mais un état d’esprit"

Publié le vendredi 15 octobre 2004 à 07h28min

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Félix Yé, c’est le coordonnateur du partenariat Microsoft, "Partner Learning", pour les régions de l’Ouest, du Centre et de l’Est de l’Afrique. C’est aussi, le Burkinabè de cette firme américaine qui domine le marché mondial des logiciels.

Nous l’avons rencontré pour certes mieux comprendre son projet mais aussi partager avec lui et nos lecteurs, les perspectives de l’introduction de l’outil informatique dans nos écoles et aussi la valorisation de l’expertise nationale. Il a bien voulu enfin se prononcer sur le sommet de l’organisation internationale de la Francophonie que notre pays va abriter.

Sidwaya (S) : Est-ce que vous pouvez nous présenter votre institution ?

Félix Yé (F.Y.) : Je travaille pour Microsoft depuis bientôt huit mois. Microsoft est une firme multinationale américaine dont l’activité principale est l’édition, c’est-à-dire la création de logiciels. Elle a été créée dans les années 1970 et aujourd’hui elle est la première firme de création de logiciels dans le monde de l’édition de logiciels avec une présence dans l’ensemble des pays du monde. Son activité génère des revenus de l’ordre de huit à quinze milliards de dollars. Elle compte plus de cinq cent mille employés permanents dont cinquante mille en Afrique et le reste réparti dans les 66 succursales qui se trouvent dans le monde entier.

S. : Un Burkinabè à Microsoft, comment vous y sentez vous ? Vous étiez déjà haut cadre au pays...

F.Y. : Avant d’être recruté à Microsoft, j’ai occupé des postes administratifs (Directeur général, Conseiller technique...) au Burkina jusqu’en 1997 où je suis allé au Rwanda comme consultant international du PNUD. Au bout d’un an, j’ai été recruté par l’OUA (actuelle UA) pour une année. Après Addis Abeba, j’ai travaillé pour la Fondation africaine pour le renforcement des capacités (FARC) basée à Hararé au Zimbabwe pendant trois ans. Depuis avril 2004, je suis à Microsoft en tant que coordonnateur des programmes éducatifs pour l’Afrique de l’Ouest, du Centre et de l’Est.

Nous sommes deux à nous occuper de cette tâche. Mon collègue s’occupe des pays anglophones et moi des pays francophones. A Microsoft ce que je fais, rentre en droite ligne de ce que j’ai toujours fait, c’est-à-dire faire en sorte que les ressources humaines de ce continent puissent s’épanouir le mieux possible et que les habilités, les capacités et les possibilités techniques soient vraiment intégrées dans les gestes quotidiens des travailleurs. De ce point de vue, je me sens bien à Microsoft.

S. : Est-ce qu’à Microsoft il y a des opportunités qui peuvent s’ouvrir à des Burkinabè ? Etes-vous prêts à soutenir des compatriotes dans ce domaine ?

F.Y. : Je suis de ceux qui ont toujours prôné activement la valorisation de nos capacités nationales et de nos cadres. Je suis aussi de ceux qui pensent que nous avons un certain nombre de valeurs sûres qui peuvent, non seulement contribuer au rayonnement de notre pays au plan national, mais permettre également à notre pays d’être vu et connu au plan international. Et je crois que si un jour, je devais faire quelque chose pour un cadre de ce pays pour qu’il soit à Microsoft et bien je n’hésiterai pas. Je le dis souvent, avec les TIC, le monde nous est ouvert. Il suffit de se donner un peu de moyens pour réussir.

S. : Quels sont les objectifs du projet que vous dirigez actuellement ?

F.Y. : Les objectifs du partenariat que Microsoft a noués avec un certain nombre de pays africains dont le Burkina se traduisent en offre de participation au côté des gouvernements à l’effort d’introduction des TIC, au système éducatif de sorte à permettre aux sortants de ce système d’être non seulement des lettrés mais surtout des lettrés numériques, c’est-à-dire des gens capables de se prendre en charge dans ce monde où tout se digitalise, où tout est informatisé. L’avenir est fait de telle sorte que celui qui ne maîtrise pas l’outil informatique sera toujours derrière. Donc l’esprit de ce partenariat, que Microsoft offre aux gouvernements, est de permettre à ces derniers d’introduire à des coûts raisonnables, l’informatique dans leur système scolaire de sorte que les logiciels ne soient plus un obstacle à l’introduction de l’informatique dans le système éducatif.

C’est ainsi que, sur toute la gamme de logiciels spécifiques, Microsoft fait un tarif spécifique de sorte que lorsque vous achetez un ordinateur destiné au monde de l’éducation, Microsoft minore de façon drastique les prix des logiciels qui vont avec. Cela peut aller jusqu’à la mise à la disposition gratuite des logiciels. Le Burkina est le 7e pays en Afrique à avoir signé ce partenariat. Bientôt le Sénégal et le Ghana le feront.

Mais en ce qui concerne le Burkina, le programme ne consiste pas seulement à mettre à la disposition des logiciels mais aussi à offrir des formations. Nous voulons impulser un certain nombre de transfert de compétences dans le monde de l’éducation, de sorte que de façon endogène, l’éducateur maîtrise l’outil informatique et puisse l’utiliser pour la création de contenus éducatifs et même pour la transmission courante des enseignements et des apprentissages aux élèves et aux étudiants.

A cet effet, nous allons, avec le gouvernement burkinabè, mettre en place un plan d’action qui permettra de former des formateurs qui à leur tour formeront à travers l’ENSK tous les enseignants jusqu’à ce qu’ils soient tous capables d’opérer sur un ordinateur.

S. : Est- ce qu’il est prévu en dehors des logiciels et de la formation, un équipement en ordinateurs pour les pays qui vont signer ce partenariat ?

F.Y. : C’est certain que l’outil informatique est constitué de matériel physique et de logiciel. Microsoft a la capacité d’agir sur le prix des logiciels parce que c’est là son domaine d’activité. Mais Microsoft de par sa position dans le marché des logiciels est en partenariat avec tous les équipementiers d’ordinateurs de marque.

Cela crée nécessairement des rapports, des liens étroits de travail qui font que Microsoft est capable d’entraîner un certain nombre de ses partenaires dans le type de partenariat croisé qu’il est en train d’établir avec les gouvernements. Microsoft va donc favoriser l’acquisition des ordinateurs par les gouvernements à des prix qui auront été négociés d’accord-partie avec un certain nombre d’équipementiers. Cela peut se faire à deux (02) niveaux.

D’abord Microsoft organise des concertations entre les équipementiers, les fournisseurs et les gouvernements pour le matériel neuf comme pour le matériel dit de seconde main. Ensuite, elle encourage les Etats à établir sur leurs territoires soit des structures de reconditionnement des ordinateurs de seconde main, soit des structures d’assemblage des ordinateurs qui leur permettront de faire venir les pièces et de monter sur place les ordinateurs.

S. : Comment va se passer concrètement la mise en œuvre de ce projet sur le terrain ?

F.Y. : La spécifité du Burkina est qu’il existe déjà un plan général d’orientation de l’introduction de l’informatique dans tous les secteurs d’activités. Il y a dans tous les secteurs un ensemble de propositions que le gouvernement a déjà recueillies. Dans ce cadre, des perspectives sont tracées en fonction de l’électrification du monde rural et de l’extension de la couverture téléphonique... Nous insérons notre appui dans la mise en œuvre de ces actions entreprises par le gouvernement et pour lesquels un certain nombre de comités spécifiques ont des propositions qui sont en cours d’exécution.

Le plan d’action que nous avons discuté avec le gouvernement s’inscrit dans le cadre de ces perspectives tracées dans le plan général d’informatisation du pays. Ce que nous disons, c’est de commencer la mise en œuvre du plan là où il y a des possibilités. C’est vrai qu’il y a des contraintes d’électricité, de téléphone... Mais faut-il attendre que toutes ces contraintes soient levées avant de commencer ? Nous pensons qu’il faut progressivement avancer dans l’exécution du projet.

S. : A l’issue de votre séjour au Burkina, est-ce que vous avez des motifs de satisfaction que vous voulez partager avec nos lecteurs ? Avez-vous l’espoir que le projet se déroulera dans de bonnes conditions ?

F.Y. : Je peux vous dire que je suis agréablement surpris par le dégré d’engagement des responsables du secteur de l’éducation. Nous avons eu à nos côtés durant les trois jours les deux ministres en charge de l’éducation. Ils ont constamment discuté de toutes les possibilités avec nous. Ils nous ont dit clairement de ne pas nous baser seulement sur la réalité d’aujourd’hui mais de regarder sur les possibilités à venir.

Nous avons donc une volonté des autorités qui est vraiment marquée en ce qui concerne l’informatisation et le ministre nous a dit dans son discours de clôture que sa mission à lui c’est de faire en sorte que la jeunesse de demain soit capable de s’insérer harmonieusement dans le monde de demain. Le monde de la jeunesse de demain, c’est celui du numérique. Et pour lui, alphabétiser ne signifie plus apprendre à lire et à écrire mais aussi faire en sorte que les apprenants soient capables d’utiliser l’outil informatique. C’est vous dire combien l’outil informatique est important.

S : Le démarrage de vos activités coïncide avec le séminaire des partisans des logiciels libres, quel commentaire faites-vous de cette "coïncidence" ?

F.Y : C’est très certainement un hasard de calendrier. Le protocole d’accord avec le gouvernement a été signé en juin dernier et quelque deux ou trois mois après, nous avons commencé à mettre en place des structures. Maintenant pour ce qui est des logiciels libres nous n’en faisons pas un problème de chapelle ni de fanatisation. Les logiciels libres ont leur place tout comme l’eau du barrage et l’eau minérale.

S : En dehors de ce projet en cours, est-ce que vous avez d’autres initiatives pour le Burkina allant toujours dans ce sens ?

F.Y : Oui ! Microsoft a développé un ensemble de propositions qui constituent ce que nous appelons l’offre citoyenne. Dans la tradition de l’entreprise et du capitalisme américain une entreprise qui fait des bénéfices se doit de faire quelque chose à un moment donné pour la communauté dans laquelle elle est implantée. C’est pour cela d’ailleurs qu’il y a aux Etats-Unis beaucoup de fondations. Ces structures permettent à l’entreprise de pouvoir rendre quelque chose à sa communauté. L’offre citoyenne développée par Microsoft s’inscrit dans cette logique.

Cette offre citoyenne consiste à venir en aide au secteur de l’éducation et aux communautés. Il y a donc un autre programme qui est en train de se mettre en place et qui s’appelle "un limited potential" qui est destiné à assister les communautés urbaines et rurales, les mairies, les municipalités... en mettant à la disposition des citoyens un accès plus facile à l’outil informatique en général et à l’Internet en particulier.

S : Quel est le coût et la durée de votre projet ?

F.Y. Le programme qui s’appelle "partner in learning".,c’est à dire le partenariat éducatif est un programme mondial qui a été mis en place pour 5 ans. Dans certains pays il a démarré en 2003. En Afrique, dans les pays anglophones il a démarré en septembre 2003 et en mars 2004 dans les pays francophones. Donc nous en avons jusqu’en 2009. Le coût total du programme s’élève à 250 millions de dollars pour l’ensemble des pays du monde . Chaque pays en fonction de son plan d’action, en fonction de ce que le gouvernement met en place, reçoit en retour le soutien nécessaire de Microsoft. Autrement celui qui investit beaucoup dans le domaine, recevra beaucoup de Microsoft et vice-versa.

S. : Le Burkina va bientôt abriter le sommet de la Francophonie. Qu’attendez-vous de cette rencontre ?

F.Y. : Je pense que la Francophonie est une particularité qui permet d’introduire une petite diversité dans un monde qui tend vers l’uniformisation linguistique. C’est un instrument comme d’autres qui devrait permettre de présenter d’autres aspects du monde, d’enrichir la globalisation qui se dessine.

De ce point de vue, je pense que la Francophonie est un concept, une démarche qui contribue à renforcer la présence des pays francophones africains sur la scène internationale. C’est une démarche qui crée un lien de partenariat et de solidarité entre les pays africains. L’humanité n’a à aucun moment créé autant de richesses et de biens que présentement. Paradoxalement, la pauvreté gagne du terrain. Pour corriger ce paradoxe il faut créer des espaces solidaires. Il faut encourager les regroupements dans des ensembles forts.

Dans tous les cas, c’est comme dans l’informatique, on n’arrête pas le progrès. Prenons l’exemple du cellulaire qui, aujourd’hui est à la portée de tout le monde. Au début c’était l’affaire de quelques personnalités. Il en sera bientôt de même avec l’outil informatique. Ce n’est plus une question de moyens mais une disposition d’esprit. Si nous nous mettons dans cette disposition, nous allons participer à arme égale à la révolution du troisième millénaire qui est la révolution des technologies de la communication et de l’information.

Entretien réalisé par Zakaria YEYE
Victorien A. Sawadogovisaw@yahoo.fr
Sidwaya

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