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Rasmata Badini, "chauffeur" au Premier ministère : « Il m’appelait la folle et me laissait circuler à ma guise »

Publié le vendredi 9 décembre 2011 à 02h02min

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Il y a 15- 20 ans, il était admiratif de voir une femme au volant d’un véhicule personnel au Burkina Faso ! Et il était inimaginable à cette époque de trouver la moitié du ciel dans un garage en train de s’essayer à un « métier des hommes », la mécanique auto, ou d’être embauchée comme conductrice dans la Fonction publique. Pourtant, Rasmata Badini /Ouédraogo l’a fait. Allons donc A la découverte d’une femme « chauffeur ».

« C’était sous la Révolution. Je faisais le commerce avec ma maman à « Zabr-raaga » à Ouagadougou. Une amie est venue me dire de venir nous allons faire la mécanique. J’ai informée ma maman qui a adhéré à l’initiative. C’est cette amie qui m’a amené à faire la mécanique auto pendant 17 ans ». Voilà comment débute l’histoire de Rasmata Badini/Ouédraogo, qui a aujourd’hui 15 ans d’ancienneté dans le domaine de la conduite. Mais comment est-elle devenue conductrice ? A entendre Mme Badini, tout serait parti d’une visite rendue au mari de sa sœur qui était cuisinier du ministre des Ressources animales de l’époque, Alassane Séré. « Je suis allé voir le mari de ma sœur et M. Séré lui a demandé ce que je faisais comme activité dans la vie. Il lui a dit que je faisais la mécanique auto et que j’avais mon permis C (poids lourd).

Le ministre Séré a répondu que cela tombait bien à propos, avec la promotion de la femme qui était d’actualité à l’époque. Et il m’a dit de passer afin qu’il voit ce qu’il pouvait faire pour moi ». Et la mayonnaise a pris : « Je suis allée voir M. Alassane Séré. J’ai donc commencé à le conduire il y a de cela 10 à 15 ans. C’est la première personnalité que j’ai donc commencé à conduire ». Mme Badini garde de beaux, tout comme de souvenirs amers de son métier. « C’est bien. Souvent, nous effectuons des missions à l’intérieur du Burkina tout comme à l’extérieur. Quand j’étais avec le professeur Séré, on est allé en Côte d’Ivoire et plusieurs fois en province au Burkina », dit-elle. Notre conductrice, tout en reconnaissant qu’elle a eu la chance d’avoir des patrons compréhensifs, raconte cette anecdote : « C’est pas facile quand même.

Le ministre Séré était un peu compliqué. Je le comprenais parce qu’il est comme ça. Ce n’est pas avec moi seulement. Il aime crier sur les gens, il aime se fâcher. Au début, il disait que je ne faisais pas la vitesse. Entre temps, il trouvait que c’était le contraire alors que je ne pouvais plus diminuer. Pour finir, il m’appelait la folle et il me laissait circuler à ma guise. En réalité, il y a des jours où on est motivé et d’autres jours où on ne l’est pas ».

« Les gens ne respectent pas les chauffeurs »

Rasmata Badini est née en 1968 à Bouaké en République de Côte d’Ivoire. « Je suis mariée et mon époux me comprend. Souvent, quand je rentre de mission, je l’appelle et il vient me chercher. Comme il m’a connu dans ce travail et que nous nous sommes mariés, il m’accepte. Nous avons un grand enfant et lui aussi s’adapte à la situation », explique-t-elle. Le secret de Mme Badini, c’est l’amour de son métier : « Je n’ai pas de secret. Quand tu aimes ce que tu fais et que tu es sûr que ce que tu fais n’est pas facile, tu dois pouvoir tenir. On peut t’appeler à tout moment pour un voyage. A n’importe quel moment, on m’appelle. Même si ça ne plaît pas à mon mari, il ne manifeste pas ouvertement son mécontentement.

Il sait que c’est parce qu’il y a une urgence », confie-t-elle. Selon Rasmata Badini, elle ne consomme jamais d’excitants quand elle est au volant. Et elle reste vigilante et à la hauteur de ce qu’on lui demande. « J’ai déjà fait du 160 km/h entre Koupéla et Ouagadougou ». En échangeant avec Mme Badini, l’on découvre qu’elle est mécontente à cause de l’inconsidération que l’on a pour les conducteurs. Elle n’hésite pas à l’extérioriser : « Les gens ne respectent pas un conducteur ou une conductrice ». Quels gens ? Les patrons ? « Oui, il y a des patrons qui n’ont aucune considération pour les chauffeurs, mais je n’ai pas eu ces genres de patrons. Tous mes patrons ont été gentils ou sont gentils avec moi. Je ne sais pas si c’est parce que je suis une femme ». Demander à Rasmata Baini pourquoi l’on ne respecte pas les conducteurs.

Elle répond sec : « Je ne sais pas ». Cependant, elle souhaite que les uns et les autres changent d’attitude à l’endroit des conducteurs et conductrices : « Quand nous conduisons, les autres dorment. Souvent, quand vous arrivez à destination, quand il y a quelque chose, on regarde le patron, mais pas le conducteur. Il y a néanmoins des patrons qui cherchent à savoir si le chauffeur a manger. Il y a d’autres qui ne s’en préoccupent guère. Ils descendent tranquillement manger dans le restaurant et le chauffeur est « callé » dans la voiture ». Mme Badini a été affectée au Premier ministère depuis 2000 comme conductrice. Elle ne dit pas avoir conduit encore un Premier ministre, mais elle affirme faire partie des convois des chefs de gouvernement lorsqu’ils sont en mission.

« Pas de jalousie comme chez les femmes »

Pour ceux qui croient qu’il n’est pas facile pour une femme de travailler parmi des hommes, Mme Badini dit tout le contraire : « C’est la même chose comme une secrétaire. Il y a des secrétaires qui travaillent avec des hommes. C’est à la fois un peu difficile et facile. Si tu comprends que ce sont des frères, des collègues, il n’y a pas de problème. Je n’ai pas de problème avec les chauffeurs-hommes. Je protège même les nouveaux venus de sorte qu’on m’appelle « Kaamb poogdba », tante en mooré ». Si c’était à refaire, notre conductrice qui a le niveau CM2 s’engagerait-elle à nouveau dans ce métier ? « Là, c’est compliqué. Si j’avais la chance d’aller à l’école, j’allais un peu hésiter. Ce n’est pas facile. Avant, j’avais l’amour du travail bien fait. Mais quand tu es conducteur, tu travailles, et on ne considère pas ce que tu fais ! Tu n’avances pas. Il n’y a pas de grade dedans. Tu ne bénéficies pas d’ancienneté », révèle-t-elle, avec un sourire forcé.

Mais quoiqu’on dise, Rasmata Badini adore travailler avec les hommes : « Avec les hommes, on discute facilement. C’est franc, comme des frères et sœurs. Il n’y a pas de jalousie comme entre les femmes ». De façon générale, Rasmata Badini dit aimer la franchise et le respect réciproque. En revanche, elle affirme détester l’hypocrisie et la malhonnêteté. Quant à savoir si, en tant que femme, Mme Badini acceptera, de nos jours, de conseiller ses sœurs à devenir conductrices, elle reste partagée : « Pourquoi pas, même si je regrette un peu d’être chauffeur. Peut-être que les temps vont changer, peut-être que la situation des conducteurs en général va changer. Ce ne sont pas les femmes seulement, les hommes souffrent aussi comme moi, sinon plus que moi. Je peux dire que moi, je reçois l’argent de la popote, c’est plus difficile pour les hommes conducteurs ».

A l’endroit des femmes qui ont souvent peur de s’engager dans certains domaines, notre conductrice note ceci : « Etre conductrice, c’est une expérience dans la vie. C’est chaud partout. Tu peux ne pas être chauffeur, mais ce que tu vas faire n’est pas facile. Elles peuvent venir tenter, essayer voir. Il est vrai que ce n’est pas aisé, mais quand tu aimes, il n’y a pas de problème, ça marche ». Avec espoir, Mme Badini reconnaît que c’est dur, « mais je pense qu’un jour, ça va changer ». Après tout, elle aime bien son métier parce « j’ai beaucoup voyagé à travers le Burkina Faso. Je connais donc beaucoup de provinces. Souvent, c’est difficile, parfois c’est intéressant. Ainsi va la vie ».

Ali TRAORE (traore_ali2005@yahoo.fr)

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 9 décembre 2011 à 09:03 En réponse à : Rasmata Badini, "chauffeur" au Premier ministère : « Il m’appelait la folle et me laissait circuler à ma guise »

    Très bon papier mon général.merci de faire connaître cette dame qui osé s’essayer dans un domaine qu’on croyait reservé exclusivement aux hommes. Au déla, je pense que ton article vise à encourager les braves dames à embrasser et défier des metiers qui étaient jadis une chasse gardée des hommes. Bon vent à madame Badini et toutes ces braves femmes comme le chauffeur du président de la CENI (elle est dame aussi). Courage à nos soeurs qui ont de l’ambition.bonne chance nous tous.
    Mon général, je prend quoi à la boutique en rentrant ?
    bonne journée

  • Le 9 décembre 2011 à 12:36, par nouveau En réponse à : Rasmata Badini, "chauffeur" au Premier ministère : « Il m’appelait la folle et me laissait circuler à ma guise »

    Felicitation à madame Bidini pour avoir accepté embrasser ce metier "masculin". Courage à elle.

    Toutefois je m’interroge quand elle dit que les chauffeurs n’evoluent pas.

    Est-ce à dire qu’elle a été recrutée comme benevolat Ou encore comme contractuelle du minsitère autrefois dirigée par le Pr Séré ?

    Vu qu’elle sert maintenant au premier ministère, cela voudrait peut être dire qu’elle a le statut au moins d’un contractuel de l’Etat. Alors, si tel est le cas je ne vois pas pourquoi donc elle n’evoluerai pas conformement à certaines dispositions de la loi 013 du 28 avril 1998 portant regime juridique applicable aux eemplois et agents de la fonction publique ?

  • Le 9 décembre 2011 à 15:33, par Pépé En réponse à : Rasmata Badini, "chauffeur" au Premier ministère : « Il m’appelait la folle et me laissait circuler à ma guise »

    Bsr, quand Mme BADINI dit " Avant, j’avais l’amour du travail bien fait. Mais quand tu es conducteur, tu travailles, et on ne considère pas ce que tu fais !

    Tu n’avances pas. Il n’y a pas de grade dedans. Tu ne bénéficies pas d’ancienneté

     », révèle-t-elle, avec un sourire forcé." Je pense que c’est une fausse affirmation. Un chauffeur de surcroit au 1er Ministère avance comme les autres fonctionnaires ou contractuels de l’État tous les 2 ans. Si c’est pas le cas pour elle, qu’elle saisisse les structures compétentes.

    • Le 10 décembre 2011 à 12:45, par yaa mâam En réponse à : Rasmata Badini, "chauffeur" au Premier ministère : « Il m’appelait la folle et me laissait circuler à ma guise »

      Je comprends autrement madame Badini lorsqu’elle dit que les chauffeurs n’avancent pas : un agent de liaison peut faire le concours de l’ENAM et devenir adjoint adminstratif, plus tard secrétaire administratif qui sont ceux que l’on nomme comme préfets et autres SG des mairies.... Mais un chauffeur peur-il évoluer et devenir autre chose qu’un chauffeur dans la fonction publique ? C’est peut-être le cas de réfléchir à d’autres perspectives pour que les chauffeurs puissent faire des concours professionnels, aller dans une école professionnelle suivre une formation et changer de catégorie.Ce serait une question d’équité que quelque soit l’emploi dans la fonction publique que la carrière puisse déboucher sur la catégorie A.

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