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Cinq ans après la mort du professeur Joseph Ki-Zerbo, où sont passés les « intellectuels africains engagés » ? (2/3)

Publié le vendredi 9 décembre 2011 à 19h56min

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A Ouagadougou, le professeur Joseph Ki-Zerbo était le plus prestigieux des universitaires. Le président de la République, Maurice Yaméogo, qui se méfiait des intellectuels (« Si toi, tu es agrégé en histoire et en géographie, cela ne fait pas nécessairement de toi un génie politique. Moi, Maurice, je suis agrégé et docteur du peuple » ; ce que l’histoire démentira par la suite et c’est, justement, Ki-Zerbo qui lui assènera cette leçon de choses), le nommera inspecteur d’académie et confiera la direction du Cours normal des jeunes filles à son épouse, Jacqueline.

Ki-Zerbo va profiter de sa position et de son prestige au sein du corps enseignant pour y implanter, clandestinement, le MLN (alors interdit) et noyauter les syndicats. Tandis que la situation de la Haute-Volta ne cesse de se détériorer économiquement et socialement, Ki-Zerbo et ses alliés vont porter le coup de grâce au régime Yaméogo. Les syndicats vont faire leur unité contre la politique d’austérité de « Monsieur Maurice ». La grève générale est proclamée. Le 3 janvier 1966, Jacqueline Ki-Zerbo, qui n’a rien à envier à son mari en matière d’engagement politique radical, marchera sur le cœur de la capitale à la tête de ses élèves normaliennes, bientôt rejointes par les lycéens, puis par la population. Les forces de l’ordre doivent refluer avant de faire cause commune avec les manifestants. L’histoire va basculer.

Sous la pression des syndicats, de la population et de l’armée, « Monsieur Maurice » va, dans la soirée du 3 janvier 1966, abandonner le pouvoir. Qui va tomber dans l’escarcelle des militaires. On dira, parfois, que c’est Ki-Zerbo lui-même qui a crié « l’armée au pouvoir ». Il contestera cela : « Non ! Ayant été le premier à prendre la parole le 3 janvier sur la place [la Place d’armes en 1966 puis, ensuite, Place du 3 janvier, Place de la Révolution et, désormais, Place de la Nation], je vous dirai que j’ai eu à crier Vive l’armée pour que l’armée, qui recevait des ordres du gouvernement, soit sensibilisée aussi aux aspirations du peuple. Mais je n’ai jamais crié l’armée au pouvoir » (magazine burkinabè Regard, 6-12 septembre 1993).

En 1966, le général Sangoulé Lamizana prendra donc le pouvoir à la suite d’un mouvement populaire. En Haute-Volta, comme ailleurs, les travailleurs seront, une fois encore, « les dindons de la farce », les partis qui les ont poussés dans la rue ayant été incapables de les conduire au pouvoir. Ki-Zerbo ne gagnera que sur un point : son organisation, le MLN, sort de la clandestinité. Le 14 juin 1970, la Constitution de la Deuxième République sera adoptée avec près de 98,5 % de « oui » ; le président de la République sera désormais le militaire le plus ancien dans le grade le plus élevé. En décembre 1970, les élections législatives permettent au MLN de conquérir 6 des 57 sièges de l’Assemblée nationale. Ses militants vont vite retrouver leurs vieux réflexes : noyauter les syndicats et occuper la rue tandis qu’à la tête de l’Etat c’est la guerre des chefs.

Les années 1970 vont permettre à Ki-Zerbo de poursuivre sa carrière professionnelle. Après avoir été directeur général de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, il sera ainsi secrétaire général du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) qui lui permettra d’instaurer l’agrégation « Made in Africa ». C’est à cette époque également que sera publiée par l’éditeur Hatier son Histoire de l’Afrique noire.

Politiquement, il a transformé le MLN (auquel, d’ailleurs, il ne fera plus référence dans ses CV officiels) en Union progressiste voltaïque (UPV) qui résultait d’une fusion avec le Mouvement autonomiste de l’Ouest (MAO), région dont était originaire Ki-Zerbo. La Constitution du 27 novembre 1977 reconnaîtra le multipartisme, mais limité aux trois partis les plus représentés à l’Assemblée nationale. L’UPV, qui avait recueilli 15 % des voix lors des législatives du 30 avril 1978, étant arrivée en troisième position obtiendra, du même coup, l’onction officielle. Ce qui poussera Ki-Zerbo à se présenter à la présidentielle du 14 mai 1978. Mais il ne passera pas le premier tour ; le deuxième tour opposera le général Lamizana et Macaire Ouédraogo (qui était, en fait, la doublure de l’ex-président Maurice Yaméogo, le fils de ce dernier - Hermann - étant alors trop jeune pour concourir).

Ki-Zerbo, originaire de la même région que Lamizana, n’appellera à voter ni pour l’un ni pour l’autre au second tour, conformément aux décisions du conseil national de l’UPV. L’UPV va alors s’allier à l’ex-RDA de Joseph Ouédraogo (en fait au Front du refus-RDA qui résultait d’une scission au sein du vieil RDA à la suite de la guerre des chefs déclenchée lors de la présidentielle 1978) pour former le Front progressiste voltaïque (FPV).

Le 25 novembre 1980, un coup d’Etat permettra l’accession au pouvoir du colonel Saye Zerbo qui va prendre la place de Lamizana. Le facteur déclenchant aura été, une fois encore, la grève des enseignants ; ce qui poussera bien des commentateurs, à l’époque, à considérer que Ki-Zerbo a organisé l’accession au pouvoir de Saye Zerbo, les deux hommes, originaires de la même région bien évidemment, étant très proches l’un de l’autre (« Nous ne sommes pas de la même famille, nous avions simplement des sentiments réciproques profonds, réels, qui demeurent toujours » - Regard, cf. supra). Mais les multiples contradictions qui minent le nouveau régime en place vont ouvrir la porte aux « capitaines » (en 1981, Thomas Sankara rejoindra le gouvernement) avant le déclenchement de la « Révolution » du 4 août 1983.

Ki-Zerbo n’aimait pas les révolutions. Cela lui vaudra une image d’intellectuel bourgeois. Il est vrai, aussi, que les « révolutionnaires » de 1983 étaient particulièrement critiques à l’égard d’un homme considéré comme le « frère » du « fasciste » Saye Zerbo (dont Sankara a cependant été un sous-ministre !). Ki-Zerbo va donc choisir, « volontairement », de quitter la Haute-Volta, devenu Burkina Faso, pour s’installer à Dakar. Il choisissait ainsi de « voter avec les pieds » à l’égard « d’un régime dont les actes positifs ont trop souvent entraîné un coût social et humain trop élevé ». Le FPV (membre de l’Internationale socialiste) aura été en pointe dans le combat contre l’accession au pouvoir du Conseil national de la Révolution (CNR). Le 4 août 1983, son bras armé, le Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta (SNEAHV), tenait d’ailleurs son congrès à Bobo-Dioulasso. Il avait été un des meilleurs soutiens du régime de Saye Zerbo, acceptant même la suppression du droit… de grève !

En octobre 1983, avant la grande rafle des anciens leaders politiques, Ki-Zerbo s’échappera donc du Burkina Faso pour gagner le Sénégal. A Dakar, il va créer le Centre de recherches pour le développement endogène. Il a dépassé la soixantaine. Il va passer une petite dizaine d’années chez Abdou Diouf. Le 15 octobre 1987, la « Révolution » ayant dévoré les « révolutionnaires ». Blaise Compaoré prendra la suite de Sankara. Le Burkina Faso entre dans des temps nouveaux : ceux de la « Rectification », du « Front populaire » puis de la « démocratisation ».

Le 24 mai 1992, des élections législatives seront organisées, concrétisant la réinstauration de la vie parlementaire après des années de régime d’exception. Pour l’occasion, Ki-Zerbo était revenu au pays. Il sera élu à l’Assemblée nationale. Il y présidera la Convention nationale des patriotes progressistes/Parti social-démocrate (CNPP/PSD), principal parti d’opposition avec 13 députés. Il avait plus de 70 ans ; mais il avait gardé sa fraîcheur intellectuelle et sa pugnacité politique. Et, aussi, cette capacité à nager, parfois, en eaux troubles. Le professeur était toujours un homme politique de premier plan ; même si la réalité du terrain lui échappait quelque peu.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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