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Hermann Yameogo, un "héritier", joue la déstabilisation du Burkina Faso

Publié le jeudi 14 octobre 2004 à 11h18min

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H. Yaméogo

Samedi 3 juillet 2004. Ouagadougou. Palais présidentiel. Le président Blaise Compaoré, un oeil sur l’écran TV où l’équipe nationale burkinabè de football dispute un match contre l’équipe nationale sud-africaine, me commente la situation difficile des enfants des chefs d’Etat.

Difficile, me dit-il, évoquant sa propre progéniture, parce qu’étant protégés de tout et pris en charge pour tout, ils ont bien du mal à prendre conscience de la réalité des choses. "Quand on est élevé au sein d’un palais présidentiel, me dit-il, il devient impossible de devenir, à son tour, chef d’Etat. On a une vision fausse des choses".

Je pensais alors à Hermann Yameogo, un des leaders de l’opposition burkinabè. Quelques jours auparavant, j’avais lu l’entretien qu’il avait accordé au quotidien burkinabè Le Pays (daté du mardi 22 juin 2004). J’avais été surpris par une de ses assertions selon laquelle "des institutions de qualité médiocre, inféodées de fait à la personne du chef de l’Etat" expliquaient "la chute abyssale de l’éthique sociale et des valeurs démocratiques autant que la fuite en avant vers la consécration de la monarchie républicaine".

Cette référence à la "monarchie républicaine", bel oxymoron, avait fait tilt. Je sais qui est Hermann Yaméogo. Il est le fils de Maurice Yaméogo. Un héritier. Je le dis avec d’autant plus de sérénité que lors de la mort de son père, le 15 septembre 1993 (trois mois avant celle de Félix Houphouët-Boigny), rares ont été les journalistes occidentaux qui lui ont rendu l’hommage qu’il méritait en tant que "Père de l’indépendance". J’ai été un de ces rares journalistes.

Maurice Yaméogo est décédé dans un relatif anonymat (ce qui ne sera pas le cas de Houphouët-Boigny). J’écrivais alors : "Le Burkina Faso et l’Afrique de l’Ouest ne s’y sont pas trompés. Il fallait rendre à "Monsieur Maurice" 1 ’hommage qui convenait. Parce que l’Afrique ne peut vivre les jours d ’aujourd ’hui qu’en intégrant à son histoire ce que furent les jours d ’hier. Et se réconcilier ainsi avec son passé dans les occasions exceptionnelles. Blaise Compaoré, chef de l’Etat burkinabè, lointain héritier de Maurice Yaméogo qui, déjà, dans les journées difficiles de 1983, n’avait pas voulu la mort de "Monsieur Maurice" a souhaité, dix ans plus tard, que ce soit avec tout le faste nécessaire que le Burkina Faso honore celui qui fut le Père de l’indépendance".

Maurice Yaméogo

Le 17 septembre 1993, lors de ses obsèques à la Villa Pax, il y avait également Lamizana, Zerbo et Ouédraogo qui furent chefs de l’Etat voltaïque. Il y avait le premier ministre de Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, le secrétaire général du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), Laurent Dona Fologo, le premier ministre du Togo, Joseph Kokou Koffigoh, le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Bénin, Robert Dossou. La France, qui a la mémoire courte, avait jugé inutile d’envoyer un représentant.

Youssouf Ouédraogo, Premier ministre (actuel ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères) avait déclaré : "Avec cette disparition tragique, c’est toute la génération des pionniers de l’indépendance africaine qui pleure un des siens". Il avait souligné que "sa réhabilitation, intervenue en 1991, n’aura été que justice rendue à celui qui a consacré la plus grande partie de sa vie à lutter pour le bonheur et la prospérité de son peuple".

Une certaine proximité avec des amis de Koudougou, capitale de la province du Bulkiemdé, et du "Palais" (la villa "Pax") de "Monsieur Maurice", m’ont permis, par le passé, d’accéder à un certain nombre de ses textes et courriers, notamment lors de ses multiples emprisonnements (en 1966 et en 1983). Courrier officiel lors de son procès (en 1969) ; lettres à son "cher fils", notamment au lendemain de l’échec de son parti l’UNDD aux législatives du 30 avril 1978 ("Mais - dis-toi bien que ce n’est rien pour un homme politique qui calcule à long terme. Des épreuves de ce genre forgent et trempent le caractère "). J’ai également un texte très émouvant de Hermann Yaméogo où il évoque l’agonie de son père et l’extrême douleur qui a été la sienne et celle de sa famille. Je sais qui est Hermann Yaméogo !

Aujourd’hui, Hermann Yaméogo est mis en cause, par les responsables politiques burkinabè, dans des actions qui visent, en déstabilisant le Burkina Faso à déstabiliser le président Blaise Compaoré. Les dossiers seront entre les mains de la justice burkinabè dès lors que l’immunité de Hermann Yaméogo aura été levée par l’Assemblée nationale.

Faut-il s’étonner ? Sûrement pas. Il y a quelques semaines, je me suis longuement exprimé sur ce qui me paraissait être une opération orchestrée de déstabilisation du régime du président Blaise Compaoré (cf LDD Burkina Faso 040 à 043/Lundi 20 à Jeudi 23 septembre 2004). J’ai rappelé alors qu’une opération similaire avait été menée en 1998. Et que l’opposition burkinabè, qui venait de se "planter" politiquement à l’occasion de la présidentielle du 15 novembre 1998, s’était engouffrée dans la brèche.

Décembre 1998-0ctobre 2004. Des scénarios qui se ressemblent ! Faut-il s’étonner que Hermann Yaméogo ait tenté de jouer les metteurs en scène ? Sûrement pas. Non pas que Hermann Yaméogo soit un putschiste. Mais il m’est toujours apparu (et je le repète, je sais qui est Hermann Yaméogo) comme un piètre politique. C’est surtout qu’il n’est pas fait pour cela. Hermann Yaméogo est un "héritier". Ce qui a un sens dans les systèmes monarchiques ; ce qui n’en a pas dans un système républicain. C’est pourquoi sa référence à la "monarchie républicaine" n’avait pas manqué, voici quelques semaines, de me faire "tilter" ; si on a pu penser, à un certain moment, que la Haute-Volta se voulait une "monarchie républicaine ", c’est bien sous le règne de "Monsieur Maurice" !

Hermann Yaméogo est né le 27 août 1948. Il est le premier fils de Maurice Yaméogo, mais son troisième enfant. Il est né le jour même où son père était élu Grand Conseiller de l’AOF. Maurice n’a pas encore 27 ans. Il voulait être prêtre mais n’avait pas, vraiment, la vocation (et avait été élevé dans une famille animiste). Il sera commis expéditionnaire, tombera amoureux d’une métisse, Thérèse Larbat, dont on lui refusera la main, et épousera Félicité Zagré, une "évoluée, noire mais belle".

C’est en 1946 qu’il se lancera dans l’action politique. Il se présente comme l’héritier spirituel du pharmacien Philippe Zinda Kaboré, prince du Konkistênga et de la région de Koudougou, brutalement décédé le 24 mai 1947 ; Kaboré avait été élu député sur la liste de Félix Houphouët-Boigny le 2 novembre 1946 (depuis le 5 septembre 1932, la colonie de la Haute-Volta avait été supprimée et une partie de son territoire devenait la Haute Côte d’Ivoire). Maurice milite au sein de l’Union voltaïque (UV), ex-Union pour la défense des intérêts de la Haute-Volta (UDIHV). En 1951, il ne parviendra pas à se faire élire député ; en 1952, il perd les cantonales.

Depuis 1940, la famille Yaméogo est installée en Basse Côte d’Ivoire, à Abidjan tout d’abord ; à Djibo ensuite. Ce n’est qu’en 1952 qu’elle revient en Haute-Volta (reconstituée dans ses limites de 1932-1933 le 4 septembre 1947). Maurice est alors billeteur du service de santé. En 1956, il rate les législatives et se voit refuser le poste de secrétaire général de la mairie de Ouagadougou. Mais en 1957, il entrera au gouvernement, la Haute-Volta ayant obtenu, depuis le 23 juin 1956, l’autonomie interne. Il est ministre de l’Economie agricole.

En 1958, il est ministre de l’Intérieur et numéro deux du régime dans le gouvernement de Ouezzin Coulibaly. Qui meurt le 7 septembre 1958. A la veille de l’Indépendance, Maurice se retrouve ainsi président du conseil du gouvernement. La route du pouvoir lui est ouverte !

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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