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Les UACO 2011 et la révolution médiatique : Faut-il abandonner le pilotage de l’information aux passagers du net ? (2/2)

Publié le mardi 29 novembre 2011 à 13h37min

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Les mutations technologiques ne sont pas des fins en soi. C’est la mise en œuvre d’outils qui doivent permettre de rendre les activités humaines plus performantes. C’est dans la nature de l’être humain de vouloir maîtriser l’environnement qui est le sien et de le transformer. Le zèbre, quant à lui, depuis son apparition sur terre, s’est contenté de brouter son bout d’herbe et de se faire « bouffer » par les prédateurs.

La capitalisme, au XXème siècle, visait à une production de masse pour satisfaire des besoins matériels pour lesquels il y avait une demande solvable. Le post-capitalisme du XXIème siècle vise seulement une consommation de masse sans même se soucier s’il y a un besoin à satisfaire (le marketing et la publicité sont là pour cela) et une demande solvable (la mutation technologique s’accompagnant d’une innovation permanente en moyens de financement et de crédit). Les nouveaux médias, nous dit-on, permettent de créer du « lien social » avec de parfaits inconnus qui ne sont pas nécessairement ce qu’ils prétendent être. Formidable ; c’est le triomphe du virtuel. Et ce qu’on peut voir sur le net, ce que nous proposent en matière « d’information » les opérateurs téléphoniques (à commencer par les infos pour gogos - sonneries à télécharger, horoscopes express, affinités sentimentales… - que balancent à longueur de journée les chaînes « musicales ») me semble très éloigné de la réalité française et internationale et, surtout, une remarquable source de frustration.

Ces mutations technologiques nous permettent d’aller plus vite, plus loin mais pas nécessairement où nous avons besoin d’aller. Pour les envies, pas de problème, les maîtres des mutations technologiques sont aussi devenus des maîtres dans l’art de les susciter. Il n’est pas question pour autant de se placer en marge de ce courant (même s’il nous emporte). Il faut prendre conscience de ses atouts et de ses limites ; et, surtout, de sa signification politique et sociale. Au temps de Reagan-Thatcher, le maître-mot des ultra-libéraux était : « Trop d’impôt tue l’impôt ». Aujourd’hui, on pourrait affirmer que « trop d’information tue l’information ». Reste à savoir à qui le crime profite. Traiter les mutations technologiques comme la mise en œuvre d’un simple progrès technique sans impact politique, économique et social ce serait faire injure à l’économiste autrichien Joseph Schumpeter qui en avait fait, au siècle dernier, une des causes majeures de l’effondrement du capitalisme. Le net n’est pas la VW (dont Hitler voulait faire la « voiture du peuple allemand ») ; ce n’est pas « le média des peuples ». C’est un hypermarché des événements du monde dans lequel on peut aimer se promener ; mais c’est le domaine du vrac, des « gros volumes », du discount…, rien d’autre. La « nouvelle » (cf. LDD Burkina Faso 0279/Mercredi 23 novembre 2011) a laissé la place à l’information puis à la communication ; et nous voici entré dans l’ère de « l’événementiel » et de « l’information publicitaire ».

Les médias sont, désormais, exclusivement, entre les mains des grands groupes industriels et financiers ; ou des Etats. On tente, aujourd’hui, de nous faire croire que l’individualisation de l’information qu’autorise le net (« J’était là, telle chose m’advint » pour détourner la belle formule de Jean de La Fontaine) est une avancée politique et sociale : l’information s’échappe et se répand sur le net comme une traînée de poudre. Illusion.

Laisser penser que nous sommes tous des journalistes et que les informations se ramassent à la pelle, c’est être le prédateur de la liberté de la presse. Pourquoi payer des professionnels de l’information quand on peut remplir les « tuyaux » avec tout et n’importe quoi ? Et que cela ne coûte pas un sou. Dans les économies développées, la situation n’est pas encore dramatique ; même si elle est préoccupante (de moins en moins de jobs de journalistes dans des grands médias et beaucoup d’entre eux doivent se reconvertir dans la « com »). I

l y a une presse nationale, régionale, locale, des news-magazines et des magazines spécialisés, des journaux gratuits, des chaînes d’information généralistes avec un JT (qui maintiennent leur audience ; ce qui démontre que l’info clé en main surclasse encore l’info en kit), des chaînes d’information en continu, des annonceurs, des groupes de pression, des partis politiques qui maintiennent la tradition de la presse d’opinion… La dérive, c’est la monopolisation-globalisation de l’information : une information « centralisée » (en opposition à une information de « proximité ») qui nous dit de plus en plus de choses sur le monde et de moins en moins sur notre « environnement » immédiat. On me rétorquera que le net est un contre pouvoir. On le disait, voici trente ans, des « radios libres » en France ; on sait ce qu’il en est advenu !

Les mutations technologiques sont-elles des progrès ? Je me pose la question. Ecouter, parler, lire, écrire ; ce sont les fonctions basiques Je peux lire, encore, les livres offerts quand j’étais un gosse ; ceux achetés depuis un demi-siècle. Je ne peux plus écouter mes 78 tours de biguine camerounaise, mes 33 tours de free-jazz, les bandes magnéto de mes premiers reportages en Tanzanie et au Kenya, les cassettes audio des entretiens avec Houphouët-Boigny, Savimbi, Mobutu, Bongo… ; il m’est de plus en plus difficile de pouvoir « relire » les centaines de disquettes sur lesquelles j’ai stocké mes textes depuis que je travaille avec un ordinateur (1985)… Cela ne signifie pas que ces mutations n’ont pas changé notre vie professionnelle et je ne regrette pas mes machines à écrire, le papier pelure et le carbone pour le double (les photocopieuses n’existaient pas), les télex et les fax… mais ce « confort » technologique a-t-il changé la qualité de mon travail d’information ? Je n’en suis pas certain.

En Afrique francophone (en Afrique anglophone, la donne est différente), la situation est plus préoccupante. L’info via le net tend à prendre le pas sur l’info « papier » et le contrôle de ce qui circule sur le réseau est difficile. Ce qui laisse le champ libre à la « rumeur », à la manipulation de l’information et à son instrumentalisation. Quand tout va bien, ou à peu près, pas de problèmes. Quand les tensions politiques et sociales sont fortes, les journalistes ont intérêt à être un corps social organisé, solidaire et éthiquement irréprochable.

Au Burkina Faso, qui ouvre le débat sur cette problématique de l’impact sur les médias des mutations technologiques à l’occasion des 8ème UACO, les acquis ne sont pas négligeables (les drames « médiatiques » non plus). Le premier ministre, Luc Adolphe Tiao, est journaliste de formation. Béatrice Damiba, présidente du Conseil supérieur de la communication (CSC), également. Joseph Kahoun, ancien ministre de l’Information, membre du collège des conseillers du Président du Faso, préside la commission chargée de la liberté de la presse, de l’éthique, de la déontologie et du suivi de la publicité. C’est dire qu’il y a une prise de conscience des problèmes qui se posent à ce secteur d’activité, qui est à la jonction du politique, de l’économique, du social, du culturel.

Les journalistes doivent s’approprier le net comme un outil de travail ; mais ne pas se laisser capturer par lui. Pour cela, il faut améliorer leur formation (trop de journalistes généralistes ! En Afrique les seuls journalistes spécialisés sont ceux qui traitent du sport), leur donner des moyens de travailler dignement, multiplier leurs expériences nationales et internationales et les considérer comme des acteurs essentiels de la démocratie. La « médiacratie » (pour reprendre le terme employé par les UACO en opposition à la « démocratie ») ne ferait que le lit du populisme ; avant celui du totalitarisme, le retour de l’info formatée « parti unique ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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