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Boureima Badini, l’homme de la « facilitation » burkinabè dans la « crise ivoiro-ivoirienne » (1/3)

Publié le vendredi 25 novembre 2011 à 10h55min

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Vendredi 18 novembre 2011. Présidence du Faso. Dans la salle qui accueille le conseil des ministres, se tient (avec retard, mais il n’est pas facile de faire marcher d’un même pas ministres burkinabè - qui sont chez eux et entendent donner l’exemple - et ministres ivoiriens quelque peu en vacances et qui découvrent le confort du Laico à Ouaga 2000 et les charmes du centre ville) le conseil des ministres conjoint BF-CI.

J’ai pris la poudre d’escampette pour retrouver chez lui un des acteurs majeurs de la résolution de la « crise ivoiro-ivoirienne ». Boureima Badini, représentant spécial du facilitateur, suit à la télé les prestations des deux présidents et de leurs collaborateurs à l’issue du conseil des ministres : lecture du communiqué final, des résolutions et, dans la foulée, conférence de presse de Blaise et d’ADO.

Badini est, depuis le 4 septembre 2007, représentant spécial du facilitateur. Une nomination qui faisait suite à la signature de l’accord politique de Ouagadougou (APO) le 4 mars 2007. On évoquera, parfois, à l’époque, un poste de haut représentant - un super ambassadeur ; en fait, dans le contexte qui va être celui de la Côte d’Ivoire pendant quatre ans, il sera un « proconsul ».

Né le 25 mai 1956 à Ouahigouya (province du Yatenga), Badini a obtenu son bac (série B) à Ouaga et sa maîtrise en droit privé à l’Université du Bénin à Lomé (Togo). Son mémoire avait pour intitulé : « La protection des travailleurs et le droit du travail en Haute-Volta ». C’était en 1981. Il complètera sa formation théorique par des stages au palais de justice de Ouagadougou et au tribunal de grande instance de Bobigny en France (1982-1983). Il suivra également les cours de la section internationale de l’Ecole nationale de la magistrature de Paris (juillet 1983).

Retour en Haute-Volta. « Avec le vent de la Révolution » (4 août 1983), me dira-t-il un jour. Il a 27 ans. Il sera juge d’instruction auprès du tribunal de Bobo-Dioulasso (septembre 1983), procureur, toujours à Bobo (novembre 1984), avocat général auprès de la Cour d’appel de Ouaga (septembre 1986). Lors de l’affaire du 15 octobre 1987, qui ouvre la voie à la « rectification », il était, depuis quelques mois (août 1987), directeur de la documentation et de la reprographie au ministère de la Justice. Il est alors nommé chef de service juridique et du contentieux du Comptoir burkinabè des métaux précieux (CBMP) de janvier 1988 à décembre 1989. Il mettra à profit cette nomination pour se spécialiser dans les droits de l’homme, à Strasbourg (Institut international des droits de l’homme), Rome (International Development Law Institute), Genève (Centre des droits de l’homme).

En janvier 1990, il sera nommé président de chambre à la Cour d’appel de Ouaga, sera membre du Conseil supérieur de la magistrature, vice-président de la Commission nationale d’organisation des élections présidentielle et législatives.

Changement d’orientation le 30 avril 1993, il devient directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). 1993 est une année essentielle pour le Burkina Faso. C’est cette année-là qu’a été organisée la première Conférence annuelle de l’administration publique (CAAP), du 27 septembre au 1er octobre, qui a été, selon moi, un événement majeur. C’est cette année-là aussi que Jean Léonard Compaoré, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité sociale, s’est attelé à la modernisation de la CNSS sous l’autorité de Badini.

Badini s’est également beaucoup investi, à ses débuts, dans le secteur associatif. Il a été secrétaire général du Mouvement burkinabè contre le racisme, l’apartheid et pour l’amitié entre les peuples (Mobrap) ; il a été membre de l’Association burkinabè pour le bien-être familial (Abbef), conseiller juridique puis président de la Fédération burkinabè de football (« J’ai joué au football quand j’étais encore très jeune. Mais je n’ai pas fait une longue carrière. Il est difficile en Afrique de concilier les études et les loisirs. A un moment donné, il faut choisir »). Il a été membre fondateur de la Ligue des consommateurs du Burkina Faso.

Manque à cette liste (très écourtée) de ses multiples activités initiales, celles liées à la politique. « J’ai mes sensibilités, m’avait-il précisé lors de notre première rencontre, voici plus de dix-sept ans. Mais compte tenu de mon statut de magistrat, je ne les exprime pas. J’ai un devoir de réserve ».

Il va demeurer à la direction générale de la CNSS jusqu’à son entrée au gouvernement le 12 octobre 1999. La présidentielle du 15 novembre 1998 a été boycottée par l’opposition et le troisième gouvernement du premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo n’est que d’étroite ouverture, les grands leaders nationaux ayant refusé d’y participer. Badini prend en charge le portefeuille de la Justice (garde des sceaux) alors que le pays est bouleversé par l’assassinat du journaliste Norbert Zongo (un mois après la présidentielle, le dimanche 13 décembre 1998) et de David Ouédraogo (le chauffeur du frère du chef de l’Etat sur la mort duquel enquêtait Zongo). Le Burkina Faso est en crise. L’opposition regroupée au sein du Groupe du 14 février (G14) s’efforcera d’exploiter la situation à son avantage sans pour autant, il faut le souligner, mettre trop d’huile sur le feu.

Badini restera au gouvernement, au même portefeuille, quand Ernest Paramanga Yonli prendra la suite de Kadré Désiré Ouédraogo à la primature. « L’affaire Zongo » va rythmer sa vie. De manifestation en manifestation, de campagne de presse en campagne de presse. Une commission d’enquête indépendante, créée cinq jours après le meurtre, a été mise au travail. « Elle a entendu tous les acteurs du drame, des plus puissants aux plus humbles […] La commission dispose de pouvoirs qui feraient envie à bien des magistrats instructeurs de par le monde » écrira Thomas Sotinel qui suivait ce dossier pour Le Monde.
204 témoins interrogés, 228 procès-verbaux établis, un rapport de 35 pages. Bilan : homicide politique.

Le 1er juin 1999, un Collège des sages est institué pour prendre la suite de la commission d’enquête indépendante. Son activité débouchera sur la mise en place, le 23 novembre 1999, de deux commissions : la commission de concertation sur les réformes politiques et une commission pour la réconciliation nationale (qui invitera notamment le chef de l’Etat à demander pardon, au nom de l’Etat, aux familles des victimes de la violence politique, ce qu’il a fait le 30 mars 2001).

Tout était dit. Restait à juger. C’est le rôle des juges. L’impunité était, disait-on alors, en procès au Burkina Faso. « Dans l’affaire David Ouédraogo, il me semble que les peines prononcées en août 2000 étaient à la hauteur du forfait [252 millions de francs CFA de dommages et intérêts pour les familles des victimes et trois membres de la garde présidentielle condamnés à 20 et 10 ans de prison], dira Badini au début de l’année 2001. L’objectif est d’accélérer l’instruction des dossiers en souffrance et de rendre la justice sans passion dans des délais raisonnables ».

Plan d’action national pour la réforme de la justice, Programme d’appui au renforcement du processus démocratique, l’Etat de droit et la bonne gouvernance (PADEG)… l’activité de Badini, à la Justice, au-delà de « l’affaire Zongo » (entre les mains du juge d’instruction et non pas celles du ministre), s’inscrira dans une vision de la justice qui allait bien au-delà « de la chose jugée » pour prendre en compte, également, ce qu’on appelle au Burkina Faso les « droits humains » (alors confiés à Monique Ilboudo*) qui prendront une dimension toute particulière dès lors que « l’ivoirité » va exercer ses ravages à l’encontre des Burkinabè de Côte d’Ivoire.

* De novembre 2000 à juin 2002, la « promotion des droits de l’homme » était également à la charge de Badini au ministère de la Justice.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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