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Ouaga, capitale politique sous-régionale, presse Abidjan de jouer son rôle de capitale économique (4/5)

Publié le mercredi 23 novembre 2011 à 19h53min

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Il n’est pas un responsable politique burkinabè qui, aujourd’hui, n’évoque des liens anciens et fraternels unissant son pays à la Côte d’Ivoire. C’est oublier que les relations entre Ouaga et Abidjan ont longtemps été celles du cheval et du cavalier pour reprendre l’image forte (et datée) de l’éditorial du quotidien burkinabè Le Pays (12 mai 2003 - cf. LDD 0274/Mercredi 16 novembre 2011).

Pour ce qui est de l’histoire contemporaine du « pays des hommes intègres », la « révolution » puis la « rectification » avaient été des périodes d’introversion. Occupée à gérer ses contraintes internes, la Haute-Volta - devenue Burkina Faso - n’aura guère le loisir de se soucier de ses contraintes externes. D’autant moins que tout « baignait » alors : Air Afrique n’avait pas encore été liquidée, la RAN assurait sans encombres majeurs la liaison entre le « pays pauvre » et le « pays riche » et la diaspora burkinabè en Côte d’Ivoire assurait, tout à la fois, la richesse du pays d’Houphouët et les fins de mois de celui des « hommes intègres ». C’était le temps où, avec condescendance, les responsables politiques et économiques ivoiriens m’expliquaient « qu’ils était tranquilles dès lors qu’ils avaient un Burkinabè à la maison ». Malgré la « révoltification », l’ordre régnait donc sans anicroches majeurs dans les relations entre les deux pays. Dans la plus totale indifférence d’Abidjan pour Ouaga.

Ayant choisi d’emprunter la voie périlleuse vers le libéralisme politique (la « démocratie ») et le libéralisme économique (le « capitalisme »), Ouaga aura, par la suite, bien d’autres préoccupations que les soubresauts ivoiriens liés à la captation de l’héritage du « Vieux ». A commencer par la gestion d’une dévaluation faite sur mesure pour Abidjan et imposée, du même coup, à Ouaga (et aux autres). La mise en place des institutions (avec la résurgence du poste de premier ministre notamment), l’émergence du « Burkina nouveau » sur la scène diplomatique africaine (CAN, OUA, etc.), les « déchirures » politiques (notamment « l’affaire Zongo »), etc. vont faire que Ouaga concentrera son attention sur ce qui se passe à… Ouaga. Jusqu’à ce que la « crise ivoiro-ivoirienne » fasse prendre conscience aux Mossi qu’il était temps de rompre avec leur orgueilleuse humilité pour se consacrer aux affaires du « monde ».

Olivier Blot, dans un mémoire soutenu à Paris (université Paris I Panthéon-Sorbonne) dans le cadre du DEA d’études africaines, à l’occasion de l’année universitaire 2002-2003, a traité des « épiphénomènes burkinabè de la crise ivoirienne ». Il y disait (voici près de dix ans) deux choses essentielles. 1 - « Autant la crise ivoirienne semblait prévisible, sinon attendue, autant ses conséquences sur la société burkinabè semblaient devoir être inévitables et importantes. Aussi, les scénarios alarmistes se sont multipliés au lendemain du 19 septembre [2002], qui mettaient le Burkina au bord d’un gouffre économique et social imminent. Et, contre toute attente, il s’est avéré au fil du temps que la déstabilisation n’a pas entraîné le choc envisagé ». 2 - « Quand à l’opportunisme politique dont a fait preuve le camp présidentiel, il surprend surtout par la forme. Blaise Compaoré avait toujours joué la discrétion et le mutisme ; il est singulier de le voir prendre publiquement des positions ; devant les Burkinabè, mais aussi sur la scène internationale ».

Ce texte souligne, bien des années avant que l’on connaisse « la fin de l’histoire », deux aspects géopolitiques importants : tout d’abord, le Burkina Faso a su « faire » sans la Côte d’Ivoire : sans le port, sans le train, sans les transferts de la diaspora… ; ensuite, Ouaga s’est montrée apte, dans une conjoncture politique, diplomatique, économique et sociale difficile, non seulement à surfer sur la « crise ivoiro-ivoirienne » mais, plus encore, à en faire un point d’appui pour passer à une nouvelle étape de son histoire. Après la « révoltification » est venu le temps de l’affirmation du savoir-faire burkinabè. Pas seulement en matière de médiations africaines mais aussi dans le domaine du développement économique, social et culturel.

Le carcan forgé au cours des années de fer et de feu s’est brisé et les nouvelles générations sont arrivées sur le front ouest-africain. Formation, ambition, revendication. Tandis que « l’ancienne » génération - celle de la « revoltification » - s’attelait à instrumentaliser la « crise ivoiro-ivoirienne », la « nouvelle » génération ne doutait pas de sa valeur et entendait investir tous les créneaux de la vie politique et économique du pays. Cette « nouvelle » génération n’a réussi que partiellement sa percée ; d’où une certaine frustration. Normal, il n’était pas pensable que le Burkina Faso, confronté à de multiples problèmes conjoncturels, puisse être fragilisé par un débat politique intérieur qui risquait d’être tendu. La jeunesse a vu ainsi ses espoirs s’écraser sur le mur de l’article 37 (qui limite à deux quinquennats le mandat présidentiel). Et on ne saurait s’étonner de la concordance des temps entre la fin du régime Gbagbo et l’expression violente du mal-être de la jeunesse burkinabè que les recrues ont exprimé brutalement dans les rues et les garnisons de tout le pays.

Le message est clair (et a été reçu 5/5 par le nouveau premier ministre Luc Tiao) : il faut passer à autre chose et capitaliser, au profit des Burkinabè, les souffrances et les efforts que ce peuple a enduré tout au long - au moins - de la dernière décennie au titre de la « crise ivoiro-ivoirienne ». Ce n’est pas une page qui se tourne ; ni même un nouveau chapitre que l’on écrit. C’est un livre que l’on referme et un tout nouveau que l’on ouvre. Le « Burkina Faso nouveau » vient d’émerger, plus fort, plus conscient, plus déterminé qui veut aller au-delà de ce qu’il a été jusqu’à présent et rompre définitivement avec son image de pays pauvre mais digne pour affirmer celle d’un pays dynamique et entreprenant.

Pour paraphraser Julien Green, disons que le peuple burkinabè, dans sa nuit, marche vers la lumière. Un rayon a fusé, déjà, ce soir, jeudi 17 novembre 2011, à Ouaga 2000, sur l’avenue Pascal Zagré, mon ami trop tôt disparu, emporté par son rêve d’un Burkina Faso qui n’aurait pas eu à choisir entre un pays idéaliste ou un pays capitaliste. Non loin de l’hôtel Laico, dernier vestige burkinabè de la Libye de Kadhafi, les ministres ivoiriens avaient rejoint les ministres burkinabè, les experts et quelques personnalités ad hoc qui ont planché sur ce que peut avoir de commun le devenir entre les deux pays. A cet instant, la plus forte concentration de masse salariale publique en Afrique de l’Ouest… !

Au-delà de l’anecdotique, ce conseil des ministres conjoint qui se tiendra demain, vendredi 18 novembre 2011, sous la présidence des deux chefs d’Etat burkinabè et ivoirien, est une expérience inédite en Afrique. Et à la veille de cette phase politique, c’était le temps de l’examen des « projets intégrateurs dans l’intérêt des partenaires ». Sans surprise. Ceux de l’ère Gbagbo restent d’actualité sous l’ère ADO : autoroute « Yamouaga », chemin de fer Abidjan-Niger (une fois encore), interconnexion énergétique. Sauf que les incertitudes qui caractérisaient le temps d’avant la présidentielle ivoirienne ont cédé la place à une réelle détermination renforcée par la « douloureuse crise post-électorale » (qui, ne l’oublions pas, a coûté la vie à des centaines de Burkinabè). Même les Qataris, rameutés par Djibrill Bassolé qui n’a pas perdu son temps dans le désert du Darfour, ont délégué quelques experts financiers à Ouaga 2000.

Je capitalise, tu capitalises, nous capitalisons… Dans la journée de ce jeudi 17 novembre 2011, les chambres de commerce des deux pays ont rassemblé les opérateurs privés des deux pays. Nous sommes loin des « errances du régime Gbagbo » (pour reprendre l’expression de l’éditorial du quotidien Le Pays du 16 novembre 2011). Vision d’avenir ! Zagré, revient ; ils ont (enfin) compris.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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