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Ouaga, capitale politique sous-régionale, presse Abidjan de jouer son rôle de capitale économique (2/5)

Publié le lundi 21 novembre 2011 à 18h44min

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Ouaga 2000 ne doute pas que la tâche d’Alassane D. Ouattara va être délicate. Non pas qu’il manque de compétence ; et la Côte d’Ivoire de concours financiers. Mais parce que son expérience du pouvoir remonte à une époque révolue. Voilà près de vingt ans qu’il n’est plus aux affaires ; et pendant tout ce temps l’affairisme de la classe politique n’a pas été que le monopole des FPI de la clique Gbagbo. Loin de là.

On ne sublime pas, ici, à Ouaga, les « années Houphouët » ; mais on ne manque pas de rappeler que si l’administration ivoirienne fonctionnait à peu près correctement, c’est que les « expatriés français » y étaient omniprésents. Les Français sont partis ; les bonnes habitudes aussi. Ainsi, alors que les « experts » devaient se réunir dans la capitale burkinabè dans la perspective du « Sommet pour la mise en œuvre du traité d’amitié et de coopération Burkina Faso-Côte d’Ivoire », les Burkinabè constatent avec amusement, mais amertume, que du côté de la délégation ivoirienne il y a plus d’absents que de présents. Qu’importe : le volontarisme burkinabè aura nécessairement raison du laxisme ivoirien. Les années passées en ont fait la démonstration. Si la capitale économique du Burkina Faso est Abidjan, la capitale politique de la Côte d’Ivoire est Ouaga.

Le gouvernement burkinabè, en termes plus soft, évoque, via le ministère de la Communication, une « interdépendance » et de « nombreux points de ressemblance et de convergence entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso [qui] constituent des signes évidents et essentiels d’une communauté de destin ». Une « interdépendance » qui avait déjà été affirmée dans le point 3 du communiqué final publié à l’issue de la visite à Abidjan, les 8-9 mai 2003, de Youssouf Ouédraogo, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Cette visite d’amitié et de travail était alors « la première du genre depuis le déclenchement de la crise ivoirienne le 19 septembre 2002 ». A l’issue de cette visite, sollicitée par Gbagbo lui-même, celui-ci avait déclaré : « Cette guerre a eu moins un avantage : c’est de nous montrer que les deux pays sont complémentaires » (entretien avec Dieudonné Zoungrana - L’Observateur Paalga - 12 mai 2003). On ne pouvait pas mieux dire (rappelons qu’à cette époque, la Grande commission mixte ivoiro-burkinabè était en veilleuse depuis 1997).

Ouaga a un avantage majeur sur Abidjan : ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui l’étaient déjà sous Gbagbo, sous Gueï, sous Bédié et sous Houphouët. C’est dire qu’ils maîtrisent la situation. Et les dossiers. Ils composent un groupe homogène autour du président du Faso qui est, dans cette affaire, le personnage central : il joue le premier rôle depuis le 15 octobre 1987 ! A l’instar de Boureima Badini, représentant spécial du « facilitateur », Djibrill Bassolé, actuel ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, a une connaissance intime de la relation Ouaga-Abidjan et en connaît tous les acteurs (et les secrets). Tandis que son homologue ivoirien - Daniel Kablan Duncan - a cessé d’être aux affaires fin… 1999. Et n’y est revenu que voici quelques mois. S’il a pu être, comme beaucoup d’autres, un spectateur de la « crise ivoirienne » post-Bédié, il n’en a pas été un acteur. Plus encore, il était premier ministre au temps des dérives « ivoiritaires » de son « patron ».

C’est dire que le sommet du 18 novembre 2011 est l’aboutissement d’un long processus conduit par les… Burkinabè. L’étape essentielle en a été la signature, le 4 mars 2007, de l’accord de Ouagadougou. Celui-ci affirmait la volonté des deux parties « de mettre en commun leurs efforts et leurs énergies en vue d’un fonctionnement normal des institutions de la Côte d’Ivoire et d’un retour à la normalité politique, administrative et militaire en Côte d’Ivoire ». Ainsi, au prétexte (qui était une nécessité et une avancée) de normaliser la situation ivoirienne, il s’agissait, déjà, de formater les relations entre Ouaga et Abidjan.

Le 29 juillet 2008, les deux capitales signaient, à Ouaga toujours, un Traité d’amitié et de coopération. Et le mardi 15 septembre 2009, à Yamoussoukro cette fois, se tenait le premier Conseil des ministres conjoint présidé par Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo. C’était il y a deux ans. Depuis, Gbagbo a perdu le pouvoir et se trouve dans le collimateur de la justice internationale (donnant ainsi raison à Blaise qui, au lendemain des événements de 2002, avait prédit que Gbagbo finirait devant le TPI). La deuxième édition de ce conseil des ministres conjoint devait se tenir en 2010, année électorale en Côte d’Ivoire comme au Burkina Faso ; mais la conjoncture en a décidé autrement. C’est dire que le sommet de Ouagadougou va être une refondation de ce Traité d’amitié et de coopération. Et que le programme d’action envisagé voici deux ans reste plus que jamais d’actualité.

A Ouaga, Luc Tiao a pris la suite de Tertius Zongo à la primature tandis que Bassolé est revenu aux Affaires étrangères (qui étaient alors entre les mains de Bédouma Alain Yoda). Ce qui ne manque pas de changer la donne. Non pas parce que leur ligne politique (ou diplomatique) diffère de celle du précédent gouvernement, mais parce que la crise du printemps 2011 est passée par là et qu’il y a, désormais, des attentes burkinabè exprimées qu’il est urgent de satisfaire ; et leur satisfaction dépend, aussi, d’un taux de croissance plus élevé que celui dont peut se prévaloir, actuellement, le Burkina Faso. De la même façon que le sommet de Yamoussoukro s’inscrivait dans l’air du temps - plus de deux ans après l’accord de Ouagadougou - celui de Ouaga devra prendre en compte un contexte qui n’est plus celui qui prévalait en 2009.

Le sommet de Yamoussoukro avait mis l’accent, quasi exclusivement, sur les aspects techniques de « l’interdépendance » entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso : fluidité du trafic entre les deux pays ; infrastructures routières et ferroviaires ; développement agricole et sécurité alimentaire ; production animale et ressources halieutiques ; mines et énergie (avec notamment la prise en compte « de l’importance stratégique que revêt la disponibilité d’une énergie électrique en quantité et qualité suffisante à un coût compétitif ») ; poste ; culture ; tourisme, etc. Le seul volet « politique » de ce conseil des ministres concernait, hormis la sécurité et la coopération administrative et frontalière, l’action diplomatique. Les deux parties évoquaient, en la matière, « une concertation permanente dans un esprit de solidarité et d’intégration » et s’engageaient à « renforcer la concertation et la collaboration étroites au niveau de leurs représentations diplomatiques à l’étranger, à renforcer la concertation entre leurs délégations dans les fora [sic] internationaux, et à se suppléer mutuellement dans les Etats où l’un n’est pas représenté ».

Ce qui était, dans le contexte de l’époque, une anticipation audacieuse quelque peu prématurée tant il est vrai que, au-delà du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire, il y avait des camps « pro-Gbagbo » et « anti-Gbagbo » ; mais c’était aussi l’affirmation de cette « interdépendance » revendiquée par les deux pays.

Ce sera la première question posée au sommet de Ouagadougou : l’arrivée au pouvoir d’Alassane D. Ouattara change-t-elle fondamentalement la relation entre les deux pays ? Et jusqu’où ce changement peut-il aller ? Quelles que soient les réponses, l’attitude de Ouaga 2000 est claire et nette : c’est une nécessité vitale pour le Burkina Faso que la Côte d’Ivoire redevienne la « locomotive » de la sous-région. Et Ouaga entend tout faire pour que celui qui est en charge des affaires à Abidjan réussisse. « Et ce n’est pas parce que Ouattara est cet homme-là que nous disons cela », ajoute-t-on du côté de Ouaga 2000.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche DIplomatique

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