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L’Afrique noire a intérêt à rappeler à la « Libye nouvelle » qu’elle est d’abord africaine.

Publié le lundi 7 novembre 2011 à 18h51min

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La mort de Mouammar Kadhafi ouvre non seulement la porte à toutes les ambitions politiques en Libye mais change, fondamentalement, la donne géopolitique en Afrique du Nord et en Afrique noire. Tripoli devient une destination « mondiale » phare et en Libye, désormais, tout est possible. Dans un contexte particulièrement préoccupant pour ce qui est, d’une part, du respect des droits de l’homme, d’autre part, de l’insécurité qui règne dans le pays et, plus largement, dans la sous-région du fait de la « dispersion » des stocks d’armes accumulés pendant des décennies par le « guide de la révolution ».

Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’OTAN, Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, ont déjà fait le déplacement dans la capitale libyenne pour un état des lieux (et un inventaire des stocks). Paris, Londres et Washington sont, bien sûr, omniprésents sur le terrain diplomatiquement, économiquement et au plan « sécuritaire ». Inutile d’évoquer le Qatar (qui aurait dépêché, dit-on, « 5.000 membres de ses forces spéciales » sur le terrain pendant la guerre « civile ») : c’est à Doha, désormais, que se retrouvent les « amis de la Libye », responsables politiques, diplomates et officiers généraux d’une petite quinzaine de pays, essentiellement « occidentaux », qui ont entrepris de « refonder » la Libye. Mais au-delà de ce groupe d’influence, aucune puissance ne se désintéresse de ce qui se passe à Tripoli. Même Téhéran est sur les rangs : Ali Akbar Salehi, le ministre iranien des Affaires étrangères, vient de séjourner à Tripoli après être passé à Ankara, tandis que Moustapha Abdeljalil a été invité à Téhéran ; quant au président Mahmoud Ahmadinejad, il a appelé les « Libyens à s’unir pour empêcher une domination internationale ».

Dans ce tohu-bohu diplomatico-affairiste, la voix de l’Afrique noire tarde à se faire entendre. L’Union africaine (UA), via le Conseil de paix et de sécurité, a certes, dès le lendemain de la mort de Kadhafi (jeudi 20 octobre 2011), pris en compte « le caractère unique et des circonstances exceptionnelles » pour lever la suspension de la Libye, autoriser le CNT a occuper le siège de Tripoli au sein de l’UA et lui rappeler « son engagement stratégique envers le continent africain » ; mais qui se soucie de ce que dit et tente de faire l’UA ? La « Libye nouvelle », contrairement aux espérances de Paris, Londres, Washington… ne sera pas une autre « Tunisie de Ben Ali » - autrement dit un pays laïc ancré à la diplomatie « occidentale ». Cette terre musulmane et arabe ne sera pas, non plus, « africaine ».

Pour le CNT, l’Afrique noire a été, par le passé, trop complaisante à l’égard de Kadhafi ; et les nouvelles autorités de Tripoli, Benghazi, Syrte… ont une vision réductrice de l’histoire immédiate : les mercenaires sont noirs donc les noirs sont des mercenaires ! Ajoutons à cela qu’ils sont nombreux les pro-Kadhafi qui ont choisi de prendre le large du côté du Mali et du Niger, ce qui ne facilitera pas les relations de Tripoli avec Bamako et Niamey quelles que soient les affirmations des délégations du CNT dans la zone sahélo-saharienne : « Nous sommes des voisins, frères de même sang ». Enfin, il faut bien se rendre à l’évidence : il n’est pas un pays d’Afrique (pas plus d’Afrique noire que d’Afrique du Nord) qui puisse être un « modèle » pour la « Libye nouvelle » qui lorgnera sans doute vers un « mix » entre la Turquie et l’Iran. Sans que l’on sache de quel côté elle basculera finalement.

Les relations entre l’Afrique noire et la Libye de Kadhafi ont toujours été empreintes d’un certain masochisme. Quand je étonnais de l’acceptation de l’insupportable désinvolture du « guide » à l’égard de pays africains souverains, on me rétorquait systématiquement en invoquant sa « capacité de nuisance ». Et personne aujourd’hui en Afrique, au sein de la classe politique, ne revendiquera une quelconque « amitié » avec lui. Même ses contributions financières sont jugées, désormais, n’avoir pas été aussi significatives que cela… ! Il faudra un jour publier les mémoires des ambassadeurs d’Afrique noire accrédités auprès des Libyens pour constater jusqu’à quelle lie il leur fallait boire le calice (mais qu’on se rassure, les autres ambassadeurs n’ont pas toujours été mieux traités, loin de là). C’est dire qu’il ne sera pas facile de tourner la page dès lors que l’Afrique ne sait pas trop sur quel pied elle a dansé avec Kadhafi et jusqu’où, aujourd’hui, elle peut valser avec les nouveaux maîtres de Tripoli dont il faut bien reconnaître que l’on ne sait encore rien ; ou pas grand-chose.

Il n’empêche, l’Afrique noire ne devrait pas penser que, du côté de Tripoli, les jeux sont faits et que le pays va retrouver, dans un délai raisonnable, un équilibre politique lui permettant de revenir en pleine forme sur le devant de la scène africaine. Abdel Rahim Al-Kib, qui vient d’être porté au poste de premier ministre du gouvernement de transition par le CNT, l’a dit : « Nous avons besoin de temps ». Et ce temps devrait être mis à profit par les pays africains pour penser à ce que doit être la nouvelle relation entre Tripoli et les capitales africaines (tout particulièrement celles de la zone sahélo-saharienne) et entreprendre des actions qui permettent de « ne pas injurier l’avenir ».

Kadhafi avait, au fil des ans, institué une condescendance inappropriée avec nombre de ses pairs africains. Aujourd’hui, les pendules sont remises à l’heure et la « révolution libyenne » de 2011 ne saurait être comparable à celle du 1er septembre 1969 : sans l’effort militaire considérable consenti par « l’Occident » et sa détermination à éliminer définitivement Kadhafi, les « insurgés » de Benghazi ne seraient pas en mesure, aujourd’hui, de tenter de régler leurs comptes à Tripoli. Autant dire que l’humilité - qui n’était pas une qualité courante jusqu’à présent dans la classe dirigeante libyenne - doit être à l’ordre du jour. Et si l’UA ne s’est pas précipitée pour reconnaître le CNT, un certain nombre de dirigeants africains ont joué autant qu’ils le pouvaient le jeu - même timidement - du changement. Bien des membres du CNT, qui ont, par le passé, émargé sur les feuilles de présence (et de paie) du « guide de la révolution », seraient mal placés, aujourd’hui, s’ils entendaient leur en faire la remarque.

Il reste des « années Kadhafi » une structure institutionnelle panafricaine consacrée à sa gloire : le Cen-Sad, autrement dit la Communauté des Etats sahélo-sahariens. Les six membres fondateurs en ont été le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Niger, le Soudan et le Tchad. Depuis, cette institution, en s’élargissant à la « clientèle » de Kadhafi (elle compte désormais 29 pays !), a perdu non seulement son originalité mais, plus encore, sa raison d’être, n’étant que le (coûteux) « show-room » du « guide de la révolution ». La question semble posée, aujourd’hui, de savoir ce que deviendra cette coquille vide (dont le secrétaire général est - jusqu’à nouvel ordre - Mohamed el-Madani el-Azhari, un Libyen francophone). Pourquoi ne pas lui redonner sa vocation originale autour des pays sahélo-sahariens et en faire un « think tank » capable de plancher, avec quelques moyens, sur le devenir de cette immense territoire qui, dans les mois et les années à venir, risque fort d’être un enjeu géopolitique majeur (pour des raisons politiques bien sûr mais, surtout, pour des raisons énergétiques) ?

L’Afrique noire (tout particulièrement celle qui appartient à la zone sahélo-saharienne) doit être volontariste et sans complexes vis-à-vis de la « Libye nouvelle » dont l’émergence a des effets collatéraux destructeurs pour les pays de la zone (sans compter les sévices dont sont victimes les ressortissants d’Afrique noire en Libye). Il faut oser le rappeler à Tripoli. La Libye est africaine et, à ce titre, elle a des devoirs vis-à-vis du continent. Et même en « ruine », elle a toujours des potentialités que n’ont pas les pays de la zone sahélo-saharienne.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 7 novembre 2011 à 20:11 En réponse à : L’Afrique noire a intérêt à rappeler à la « Libye nouvelle » qu’elle est d’abord africaine.

    Faut le dire tout de go,nos dirigeants africains ne savent ke faire la danse du ventre,eux ki étaient a la remorque de kadafi ki voulait etre le roi des rois.Ca tombe bien,kadafi est tombé,lui le principal bailleur de ce machin de l’UA et espère ke l’UA tombera a son tour.Elle ne sert a rien,incapable de prendre une décision courageuse,tjours là a parloter ds le vide et on l’a vue avec la crise ivoirienne et une fois encore il a fallu sarkozi pour botter bagbo sinon il serait toujours là.Alors ne compter pas sur le CNT pour financer l’UA ou donner des valises de billets a des chefs d’état pour leur fermer la gueule kom le faisait kadafi est c’est bien kom ça car si la Libye doit s’en sortir,ça ne sera pas en comptant avec l’afrique parcequ’on a que des pourritures à la tête de nos pays à part une poignée d’hommes d’état ki se compte sur les doigts d’une seule main

  • Le 8 novembre 2011 à 08:40 En réponse à : L’Afrique noire a intérêt à rappeler à la « Libye nouvelle » qu’elle est d’abord africaine.

    Ce n’est pas seulement Libye mais aussi l’Algérie,le Maroc,la Tunisie,l’Egypte et même la Mauritanie et pitoyablement certains Malgaches comme si l’Afrique était une peste.On se considère africain quand ça l’arrange.Les gens d’un certain pays bien noire affirme"après la France ,c’est nous".Triste pour la singerie morbide

  • Le 8 novembre 2011 à 21:25, par chouman En réponse à : L’Afrique noire a intérêt à rappeler à la « Libye nouvelle » qu’elle est d’abord africaine.

    A NOS RESPONSABLES

    Mouammar EL KADDAFI a été certes un dictateur qui a pris le pouvoir par la force et l’a gardé plus de 40 ans, mais nous devons reconnaitre la vérité que les libyens ont eu les avantages suivants qu’aucune autre nation n’a su offrir à ses citoyens :

    1-L’électricité à usage domestique est gratuite !

    2 - L’eau à usage domestique est gratuite !

    3- Le prix d’un litre d’essence est de 0,08 EUROS !

    4- Les banques libyennes accordent des prêts sans intérêts !

    5- Les citoyens n’ont pas d’impôts à payer, et la TVA n’existe pas !

    6- La Libye est le dernier pays dans la liste des pays endetté ! La dette publique est à 3,3% du PIB ! En France, elle est à 84,5% ! Aux US, 88,9% ! Aux Japon à 225,8% !

    7- Le prix pour l’achat d’une voiture (Chevrolet, Toyota, Nissan, Mitsubishi, Peugeot,
    Renault...) est au prix d’usine (voitures importées du Japon, Corée du sud, Chine, Etats-Unis...) !

    8- Pour chaque étudiant voulant faire ses études à l’étranger, le « gouvernement » attribue une bourse de 1 627,11 Euros par mois !

    9- Tout étudiant diplômé reçoit le salaire moyen de la profession du cursus choisi s’il ne trouve pas d’emploi !

    10- Lorsqu’un couple se marie, l’ »Etat » paie le premier appartement ou maison (150 mètres carrés) !

    11- Chaque famille libyenne, sur présentation du livret de famille, reçoit une aide de 300 EUROS par mois !

    12- Pour tout employé dans la fonction publique, en cas de mobilité nécessaire à travers la Libye, l’Etat fournit une voiture et une maison gratuitement. Et quelque temps après, ces biens sont à lui.

    Quel pays démocratique dans le monde peut se targuer d’en faire autant avec ses concitoyens.

    Et dire que ce pays va être transformé en un espace de ruine, de malheur et de pauvreté comme le sont l’Irak et l’Afghanistan par les bons voeux des occidentaux, d’israel et de l’OTAN, avec comme bouc émissaire le CNT et ce qu’il est convenu d’appeler les rebelles.
    Les Libyens avaient certes besoin indéniablement d’espace démocratique mais pas de ce genre de chaos qui a engendré des milliers de morts en plein mois sacré de Ramadan....
    Ils vont le regretter amèrement quant ils vont s’apercevoir de la supercherie de l’aide des occidentaux non pas à installer une démocratie mais à réduire un pays en cendre pour pouvoir bien "gérer" leur manne pétrolière......

  • Le 16 avril 2012 à 18:03, par sharif En réponse à : L’Afrique noire a intérêt à rappeler à la « Libye nouvelle » qu’elle est d’abord africaine.

    Laissons de côté ce qu’a fait KADAFI, l’histoire s’en chargera.Les propos tenus à l’encontre de l’Afrique du nord sont injustes voir xénophobes.Les peuples d’Afrique et les gens instruits qui les forment sont au dessus des insultes et invectives. Faites une critique constructive. Cherchez ce qui nous rassemble et déconnectons-nous des réseaux des anciennes puissances coloniales.

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