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Quand le Cameroun de Paul Biya laissait encore des raisons d’espérer (1/2)

Publié le jeudi 3 novembre 2011 à 16h49min

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Le Cameroun de Biya n’a pas toujours été un no man’s land politique et social. Ce n’est pas tant qu’il ait jamais laissé penser, un seul instant, qu’il pourrait être autre chose que ce qu’il est : un autocrate sans charisme. Dès son accession au pouvoir, chacun savait que son « Renouveau » était du pipeau et que le régime, s’il survivait aux soubresauts de sa fondation, devrait devenir « policier ». Rien d’autre ; enfin, si, « mafieux » et « sectaire » également.

Mais dans les années qui ont suivi son accession au pouvoir, après les vingt-deux années où Ahmadou Ahidjo, hanté par la rébellion de l’UPC, avait garrotté le peuple camerounais, l’absence de supplice au quotidien rendait la vie quotidienne supportable : il y avait des raisons d’espérer. Biya avait permis l’implantation de la télévision (inexistante jusqu’à la fin des années 1980), ouvert des chantiers routiers permettant de circuler sans passer des jours entiers sur les pistes, entrepris d’équiper la capitale d’un aéroport international (le Cameroun, sous Ahidjo, disposait de deux aéroports internationaux : à Douala, capitale économique, et Garoua, son « village » dans le Nord, mais il faudra attendre le début des années 1990 pour que Yaoundé, la capitale politique, soit également équipée)…

Le Cameroun, par ailleurs, avait des acquis : une agriculture développée et diversifiée, du pétrole et des ressources minières, une compagnie aérienne nationale, un chemin de fer, un port, un système éducatif bilingue, des pôles industriels, un réel intérêt touristique… Politiquement, des hommes et des femmes nouveaux accédaient aux responsabilités nationales, laissant penser que le pays, après des décennies de quasi hibernation, allait enfin être irrigué par un sang neuf. Ce ne sera pas une irrigation mais un véritable tsunami : au cours des huit premières années de son accession au pouvoir (1982-1990), Biya va former pas moins de 14 gouvernements et ce sont 115 ministres qui vont ainsi être aux affaires ; trop peu de temps pour régler les problèmes (si tant est que cela ait été leur objectif). « Le gouvernement est une création permanente », disait alors Biya. Quentin Otabela, dans le quotidien national Cameroon Tribune (jeudi 25 avril 1991) - voici vingt ans - écrira que « l’instabilité notoire de l’équipe gouvernementale […] nous semble découler des difficultés normales à mettre sur pied un programme politique nouveau devant trancher avec un ordre précédent, révolu ».

La crise quasi permanente - politique, économique et sociale - qui caractérise les « années Biya » depuis les soubresauts démocratiques du début des années 1990 (marqués notamment par les « villes mortes » et son cortège de répressions) a plombé l’image du Cameroun et du chef de l’Etat. La dernière élection présidentielle, le 9 octobre 2011, permettant à Biya d’entamer un sixième mandat, n’arrange pas l’affaire : 77,98 % des suffrages après 29 ans de pouvoir, cela ne semble pas - y compris, désormais, pour Paris - caractériser une « démocratie ». Plus encore quand les commentateurs osent désormais souligner que « le Cameroun de Paul Biya [est] noyauté par les sociétés secrètes » (titre de l’article de Pierre Prier, envoyé spécial à Yaoundé - La Figaro - 28 octobre 2011). Quand, concernant le Cameroun, on parle des « sociétés secrètes », on évoque des pratiques sectaires et perverses qui mélangent corruption, dépravation sexuelle et pratiques magiques. Que du glauque !

Il y a vingt-neuf ans, quand Biya a accédé au pouvoir (4 novembre 1982), il y avait des raisons d’espérer. Au-delà des formidables potentialités économiques du pays, le Cameroun était intellectuellement « autosuffisant ». Les « têtes bien faites et bien pleines » ne manquaient pas. Dont celle d’Elisabeth Tankeu, expert en matière de planification. Elisabeth Tankeu est morte d’un cancer, à Paris (où elle était hospitalisée depuis près de six mois), le dimanche 16 octobre 2011. Elle était née le 29 février 1944 à Yabassi, chef lieu du département du Nkam (affluent du fleuve Wouri), dans la province du Littoral, à une centaine de kilomètres au Nord de Douala.

Mais c’est dans la province de l’Ouest, en pays bamiléké, à Bangangté, qu’elle fera ses études primaires, à la mission protestante, avant de rejoindre le lycée général Leclerc à Yaoundé. En 1965, elle sera la première camerounaise à obtenir un bac « math élem ». Après une « prépa » HEC à Paris, elle s’orientera vers les sciences économiques et obtiendra une licence (option économétrie) à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne en 1971. Entre-temps, elle aura épousé, fin 1968, Samuel Roland Tankeu décédé il y a un an, le 23 octobre 2010.

De retour au Cameroun en 1972, Elisabeth Tankeu rejoindra le ministère chargé du Plan. En 1973, elle sera nommée chargée d’études assistant à la cellule des synthèses économiques et financière, chargée d’études, directeur adjoint (avril 1976-janvier 1980) puis directeur (1980-1983) de la planification au ministère de l’Economie et du Plan. Le 12 avril 1983, dans le deuxième gouvernement nommé par Biya, elle décroche le poste de vice-ministre du Plan et de l’Industrie (son patron est alors Gilbering Bol Alima ; il sera remplacé, le 4 février 1984, par Youssoufa Daouda, promu ministre d’Etat le 7 juillet 1984, remplacé à son tour, le 24 août 1985, par Sadou Hayatou remplacé, lui aussi, le 4 décembre 1987, par René Zé Nguélé). Tankeu est, protocolairement, la dernière du gouvernement et une des trois seules femmes de l’équipe (les deux autres étaient Delphine Tsanga, aux Affaires sociales, et Dorothy Njeuma à l’Education nationale).

On notera cependant que, contrairement à ses consoeurs, Tankeu ne se retrouve pas en charge d’un portefeuille « social » mais « technique ». Au fil des mois, elle va quelque peu progresser dans la hiérarchie gouvernementale et les « filles » du gouvernement seront bientôt rejointes par Isabelle Bassong (santé publique) le 4 février 1984, Rose Zang Nguélé (santé publique puis affaires sociales) et Aïssatou Yaou (condition féminine) le 7 juillet 1984 (Delphine Tsanga quittera le gouvernement à l’occasion de ce remaniement), Eko Ngomba (Education où elle remplace Dorothy Njeuma) le 24 août 1985. Le remaniement du 21 novembre 1986 sera fatal à Elisabeth Tankeu ; elle quitte le gouvernement où il ne reste que trois femmes (Rose Zang Nguélé, Aïssatou Yaou et Isabelle Bassong).

Il faudra attendre le 16 mai 1988 pour la voir revenir au gouvernement. C’est le onzième changement de cabinet en six ans ! Il n’y a plus que deux femmes au gouvernement : Aïssatou Yaou (qui cumule affaires sociales et condition féminine) et Elisabeth Tankeu qui obtient le Plan et l’Aménagement du territoire avec le titre de ministre plein. Pour un peu plus de deux années : le 8 septembre 1990, elle quitte le gouvernement. Et, dès lors, il ne restera plus qu’une seule femme au gouvernement : Aïssatou Yaou ! C’est la fin d’une époque ; c’est l’expression d’une « espérance trahie » : celle du « Renouveau » prôné par Biya. Une faillite que le parcours d’Elisabeth Tankeu - parmi d’autres - illustre parfaitement. La compétence cède progressivement la place à la connivence. Et ceux qui s’efforcent de remettre le pays sur les rails finissent sur la touche ou, préoccupés par leur devenir, rentrent dans le rang et se taisent. Le Cameroun, dès lors, ne s’inscrit plus dans un projet de société mais va vivre au jour le jour. Le 19 septembre 1988, Yaoundé va signer un accord avec le FMI, s’engageant, pour les quatre années suivantes, dans une période d’austérité renforcée.

Le plan et l’aménagement du territoire sont confiés à Roger Tchoungui (8 septembre 1990) puis à Tchouta Moussa (26 avril 1996) et, enfin, à Augustin Frédéric Kodock (27 novembre 1992), personnalité de l’opposition (il représente une fraction de l’UPC) qui avait soutenu Biya à la présidentielle 1992.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche DIplomatique

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