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El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

Publié le lundi 31 octobre 2011 à 19h50min

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Le peintre Vlady Kibaltchich, le fils de Victor Serge, a dit, voici quelques années déjà : « Je vais vivre encore jusqu’à quatre-vingt six ans, peut-être quatre-vingt-sept, je ne sais pas encore. J’ai beaucoup de travail jusque-là. La vie n’est pas faite pour vivre. Il faut accomplir sa tâche ». Vlady* était bien loin de l’univers de El Hadj Oumarou Kanazoé (même s’ils étaient de la même génération) ; mais je pense que l’homme de Yako aurait pu, lui aussi, adopter cette formule pour définir son parcours terrestre : « La vie n’est pas faite pour vivre. Il faut accomplir sa tâche ».

Kanazoé est mort le 19 octobre 2011 à Ouagadougou. Il a été inhumé, le soir même, à Yako, dans la mosquée familiale. Hier (mercredi 26 octobre 2011), on y célébrait le Doua du 7ème jour. Ce n’est pas une page que l’on tourne ; c’est un livre que l’on referme.

Issu d’une famille au sein de laquelle mes parents, scolarisés que jusqu’à la fin du primaire, ont commencé à travailler à quatorze ans tandis que leurs parents, analphabètes, avaient été des « producteurs » dès l’âge de sept ans, je ne suis pas homme à m’enthousiasmer pour des personnalités qui, parties de rien, ont été en mesure, d’avoir tout ; enfin presque. Il y a, toujours, des zones d’ombre dans ces parcours trop parfaits (c’est vrai dans le monde des affaires, c’est vrai aussi dans le monde politique, social, culturel…). Mais nul ne peut nier que Kanazoé aura, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il a réalisé son immense fortune, « accompli sa tâche ». Et l’hommage que le Burkina Faso rend à cet homme depuis sa disparition est à la hauteur de la place qu’il a occupé dans l’histoire contemporaine de la Haute-Volta puis du Burkina Faso. Kanazoé fait partie des « incontournables » aux côtés de Frédéric Guirma, Sangoulé Lamizana, Gérard Kango Ouédraogo, Martial Ouédraogo, l’abbé Séraphin Rouamba, Joseph Ki-Zerbo… parmi d’autres. La longévité de Kanazoé et sa capacité d’adaptation aux différents régimes qui ont marqué l’évolution de son pays (et de la sous-région) ne sont pas pour rien dans cette emprise sur l’Histoire du Burkina Faso.

L’histoire d’Oumarou Kanazoé - « OK », « Kana« , « Lahagui », « Lagui » - relève de la saga ; elle ne s’écrit pas, mais se conte. Yako, capitale du Passoré, où il nait en 1927 au sein de l’ethnie yarga, fils unique de sa mère (Sinon Haoua) ; l’école coranique ; la chèvre qu’il gardait dévorée par le lion quand il avait sept ans ; le tissage ; les activités commerciales au Mali et au Ghana ; le parc de 100 camions pour transporter les marchandises et… les hommes, dès le temps de la colonisation, entre Ouagadougou et Abidjan ; le démarrage dans le BTP dès 1973 ; le lever à 4 heures du matin pour la prière (« L’essentiel, pour nous, c’est que par notre ardeur au travail nous forcions toujours l’admiration ») ; les « audiences » entre la villa, le garage, le bureau, la carrière, les chantiers… ; l’exemplarité (« Disciplinez-vous et instruisez-vous auprès de ceux qui ont le savoir. Vous serez appelés à prendre la relève ») ; les avions (le premier en 1977, le deuxième en 1980...) puis l’hélicoptère frappé du « K » ; l’altruiste (« Si vous avez l’argent, un devoir s’impose à vous : investir pour créer des emplois. C’est de cette manière que l’on savoure le bonheur que procure l’argent »**) ; les trois cents mosquées à son actif (mais aussi des temples et des églises) ; la relève des fils (Mady, Yacouba, Djibril…)…

Kanazoé a donné au Burkina Faso l’opportunité d’être un des rares pays d’Afrique noire capable de maîtriser la construction de routes (il a plusieurs milliers de kilomètres à son actif), de ponts, de barrages, d’infrastructures ferroviaires, d’aménagements hydro-agricoles… Parce qu’il maîtrise le savoir-faire (après l’avoir fait acquérir à son personnel auprès d’expatriés), parce qu’il investit massivement dans la mise en œuvre de matériel moderne, parce qu’il a su concilier tradition et modernité. Formation des hommes, investissement technique, gestion sans ostentation, rigueur et humilité…, s’il n’était fervent musulman Kanazoé aurait pu être un austère entrepreneur protestant des débuts du capitalisme européen. Kanazoé, dans sa « communication » met ainsi en avant « le recours aux valeurs traditionnelles de la culture africaine, à savoir le respect des aînés et de la hiérarchie, le respect inconditionnel de la parole donnée et des engagements, le sens de la négociation et du consensus, le sens du partage et de la solidarité ».

Les commentateurs, lorsqu’ils évoquent le parcours de Kanazoé, sont obnubilés, bien évidemment, par son analphabétisme (« Tisserand analphabète devenu entrepreneur milliardaire » écrit depuis toujours Sita Tarbagdo qui est, incontestablement, le journaliste qui a le mieux connu Kanazoé et sans doute le plus écrit sur lui, au Burkina Faso et dans la presse panafricaine dont Jeune Afrique Economie). Mais c’était alors une donnée générale : le taux de scolarisation des enfants voltaïques au temps de la colonisation n’était que de 2,3 % en 1948 et de seulement 6 % en 1960 (« Les chefs au Burkina Faso » - Archives départementales de l’Aude/Archives nationales du Burkina Faso - Carcassonne, Ouagadougou, 2008). Ce qui retient l’attention, c’est bien plus le parcours linéaire de Kanazoé et son sens des opportunités commerciales et politiques. Ce n’est pas une critique. Certes, on peut contester son mode de production (il a fait l’objet d’une campagne dans ce sens, particulièrement en septembre 1993, menée notamment par Louis Germain Kaboré, président des PME du bâtiment, qui l’accusait de se comporter comme un « Libanais ») ou ses connexions politiques (on a cité son nom dans « l’affaire Zongo »), mais on ne peut pas nier ce que ses entreprises ont apporté au Burkina Faso en matière de création d’emplois, d’acquisition de savoir-faire, de réalisations... Figure historique et emblématique, parfait sujet médiatique, Kanazoé était cependant l’expression d’une époque révolue.

Prenant la suite du pharmacien Paul Balkouma, il avait été porté à la présidence de la Chambre de commerce, d’industrie et d’artisanat en novembre 1995 - il l’avait emporté face à Lassiné Diawara, DG de Mabucig, la manufacture de cigarettes - mais, à l’âge qui était alors déjà le sien, il était bien plus une caution politique et morale que l’instigateur d’une réforme en profondeur de l’institution. Il sera plus à l’aise lorsqu’il présidera, à compter d’octobre 2004, la Communauté musulmane du Burkina où il sera chargé de remettre de l’ordre dans le bilan financier (notamment la « gestion obscure » des 12 millions de francs CFA versés par Mouammar Kadhafi). Il sera reconduit pour un nouveau mandat lors du XIème congrès (12-14 février 2010) ; à noter que le parrain de ce dernier congrès a été le ministre Yéro Boly, aujourd’hui ambassadeur au Maroc (Kanazoé a été consul honoraire du Maroc au Burkina Faso)

La mort de Kanazoé a suscité une forte émotion au Burkina Faso et dans la sous-région (Mali, Ghana, Côte d’Ivoire) tant il est vrai que l’homme avait été le symbole d’une époque : celle de la glorification du self made man habile à naviguer parmi les écueils politiques et… administratifs. Reste aujourd’hui à glorifier les diplômés africains qui parviendront à valoriser leurs diplômes dans leur pays et leur région. C’est le vrai défi de notre époque… !

* Vlady avait soixante-dix-neuf ans lors de cette déclaration faite à Francis Marmande (Le Monde -10 février 1999). Il n’a pas vécu « jusqu’à quatre-vingt-six ans, peut être quatre-vingt sept » : il est mort le vendredi 22 juillet 2005 à quatre-vingt-cinq ans. Son père, Victor Serge, a été une figure emblématique de la révolution russe ; venu des rangs de l’anarchisme, compagnon de Lénine, il rejoindra « l’opposition de gauche » animée par Léon Trotsky dès 1927, ce qui vaudra à son fils de connaître le goulag de 1933 à 1936. Réfugié en France dès sa libération, il fréquentera les surréalistes et s’installera, en 1941, au Mexique où il s’imposera comme un des grands peintres « muralistes » de ce pays, poursuivant par ailleurs son soutien aux révolutions à Cuba, au Nicaragua… ainsi qu’au mouvement zapatiste.

** Les citations sont extraites du numéro hors-série de « Construire l’Afrique » - septembre-octobre 1991

Jean-Pierre BEJOT
A Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 31 octobre 2011 à 20:12 En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    Mr Ok s’en est allé et p-e avec ses secrets,il a reçu des honneurs dignes de son rang,des éloges à n’en ps finir et vous en remettez encore tout une couche mais froidement maintenant,vous qui êtes un journaliste sérieux,pourquoi vous ne faites pas un inventaire complet et sincère ?Je dis cela parceque j’ai cru savoir qu’il faisait partie des instigateurs de l’assassinat de votre confrère Norbert Zongo ?Alors vous en dites quoi ?

    • Le 1er novembre 2011 à 22:44 En réponse à : Respect africain des morts

      Il n a pas ete instigateur. Il a juste voulu corrompre Norbert qui a refuse 400 millions pour se taire. Et puis mon ami, tu sais en bon Africain, quand une personne meurt, par respect et pudeur, on ne cite que ses bienfaits.
      Que Dieu accueille Norbert et ses 3 compagnons au paradis et veillent sur leurs familles restees sur terre.

      • Le 3 novembre 2011 à 20:13 En réponse à : Respect africain des morts

        Donc complice au minimum ou tentative de dissimilation de la vérité...

        Il faut arrêter avec cette fausse histoire de respect africain des morts. Si quelqu’un a été un "cochon", il meurt et demeurre un "cochon".

        Merci

      • Le 8 novembre 2011 à 15:57 En réponse à : Respect africain des morts

        Je ne sais pas ce que instigateur veut dire mais le puickup qui a servi au massacre a ete cache chez Kanazoe. je respecte l’ homme pour ce qu’ il a fait mais comme je ne veux pas le respecter a moitie pour ce qu’ il a fait, je signale aussi ce qu’ il a fait la ou il aurait mieux fait. Dans la mort de Norbert Zongo, il n’ est pas blanc comme neige. Ce n’est pas lui qui a tire. Ce n’est pas lui qwui monte le coup mais il a participe d’ une certaine facon. Pourquoi apres ca, il a eu honte et il s’est retire a Diebougou ? Sa premiere femme lui a tire les oreilles parce qu’ elle a dit au Vieux qu’ il n’ aurait jamais du se laisser embobiner par les enfants d’ aujourd’ hui qui font la politique de la mort, pas la politique pour que les gens , pour que le maximum de gens soient heureux.
        Kanazoe a ete et restera un grand homme. Mais si on ne parle que de ses bienfaits, on devine vite hypocrite et insincere. C’est quand on dit aussi ce qui n’ a pas bien marche dans sa vie qu’ on peut mieux prendre au serieux ce qu’ il a fait. Pour moi, Kanazoe n’est pas mort. Il ne peut pas mourir. Mourir, ca veut dire quoi ? C’est quand tu ceses d’ avoir tout effet sur la vie d’ aujourd’ hui et de demain. Je lance le defi a tout un chacun. L’ ouevre de Kanazoe a- t- elle cesse parce que l’ homme a cesse de respirer ?

        Papa Kanazoe, tu as ete un patriote mais tu etais un homme, un humain. Tu restes un grand homme.

  • Le 31 octobre 2011 à 20:43, par traps’ En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    Mon frere , tu me casse les tempants. Arrete tes histoires a dormire debout de OK.

  • Le 31 octobre 2011 à 20:44, par vinc En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    OK a fait pour lui.Que son ame repose en paix !
    Que chacun de nous s’interroge, qu’est ce que je fais pour mon pays, mes frèes, mes proches ?

  • Le 31 octobre 2011 à 21:38, par simple En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    Ce GRAND MONSIEUR méritait un deuil national de trois jours
    Tous les drapeaux devraient être en berne.
    C’est un vrai patriote. Un Exemple à suivre même si quelque fois on a abusé de sa bonne foie dans certaines situations ou il s’est fait piégé.
    Que dieu le tout puissant le protégé et inspire ses enfants afin que son œuvre perdurent.

    • Le 1er novembre 2011 à 23:49 En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

      Je vous souhaite une meilleure santé, car je trouve que tu ne vas pas bien. Alors on peut commencer à en organiser au moins un jour par entrepreneur et vielle personnes on sera tous les mois en deuil national. Même avec Maurice on a pas eu 3 jours de deuil.

  • Le 1er novembre 2011 à 15:57, par Beurk En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    Monsieur Bejot,après l’émotion suscitée suite à la mort de monsieur OK,j’aurai aimé lire autre chose que de nous servir ce que vos autres confrères nous ont abreuvés depuis.Bien sûr nul n’est parfait mais il me semble que concernant l’assassinat de votre confrère Norbert Zongo avec aussi la mort mystérieuse de David Ouédraogo,le chauffeur de monsieur François Compaoré,le frère de l’autre,il y avait eu un rapport de commission à ce sujet et que certains passages auraient été expurgés afin de trouver un consensus afin que tous les commissaires puissent signer,ce qui du reste n’a pas été le cas.En effet les parties supprimées mettraient en cause monsieur François Compaoré et monsieur OK puisque certains pensent que la participation du richissime OK au crime de Sapouy était indéniable.Il me semblait plus judicieux que vous reveniez sur ces faits au lieu de continuer à nous gaver avec les mêmes mots pour ne rien dire.Nous voulons savoir la vérité,la vraie vérité

  • Le 1er novembre 2011 à 21:33, par Tapsoba En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    Sacré Bejot !! Toujours impressionant et sur tous les sujets .

  • Le 3 novembre 2011 à 20:37, par Hess En réponse à : El Hadj Oumarou Kanazoé, l’homme de Yako s’en est allé.

    Il faut dire que JP BÉJOT qui ne convainc pas toujours nous a quand habitué à mieux. Là c’est pathétique !

    Pourquoi passer sous silence la lutte féroce que ce monsieur a mené contre les syndicats ?

    Que dites-vous des des longs mois de salaires impayés des travailleurs ? Certaines familles ont dû refuser de prendre les salaires de de leur proche mort pour n’avoir pas pu avoir son salaire pour payer les ordonnances.

    Les conditions exécrables des travailleurs... personne s’est-il jamais interrogée sur le nombre de décès de travailleurs de OK dans certaines sections ? "Bitume" par exemple ?

    Les licenciements en masse et généralement abusifs...

    Avez-vous jamais entendu parler de la traite ? Eh oui, la traite d’êtres humains de la Haute Volta vers la Côte d’Ivoire... dans les plantations pour être réduits en "esclave"... il y a encore quelques survivants ... Combien sont morts dans cette galère ?... A défaut de parler d’un négrier ou pourrait évoquer un "moagrier" car c’étaient essentiellement des mossés.

    Assurement c’était homme d’affaire hors du commun. Cela constitue en soi un mérite ! Mais vouloir en faire l’EXEMPLE et forcer le trait c’est quand même gênant.

    Entre la mauvaise foi et/ou l’ignorance des faits JP BÉJOT a navigué ! Trop bas cette fois-ci !

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