LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Libye 2011 : Une révolution inachevée ! (1/3)

Publié le dimanche 30 octobre 2011 à 18h44min

PARTAGER :                          

De la même façon que le IIIème Reich allemand avait ses « nationalistes » - officiers supérieurs issus généralement de la vieille aristocratie prussienne - opposés aux nazis, mais trop anti-communistes ou trop peu démocrates pour en dénoncer et en combattre, dès l’origine, les dérives, la Libye aurait, aujourd’hui, des hommes qui, ayant « retrouvé leur liberté de mouvement » lutteraient « pour la liberté ».

Voici quelques années, une publicité pour une marque automobile allemande expliquait, effectivement, « que l’on ne peut pas toujours se tromper ». Le problème est simple : ceux qui, en Libye, au cours des quarante-deux années passées (« les années Kadhafi »), ont refusé de se tromper (et d’être trompés) sur la vraie nature du régime sont morts ou en exil. Alors, bien évidemment, à l’instar de ces officiers supérieurs allemands qui, voyant la défaite de l’Allemagne se profiler à l’horizon, ont choisi, in fine, le complot contre Hitler (le 20 juillet 1944), ce sont, pour l’essentiel, des apparatchiks du régime libyen qui viennent de mener l’offensive contre leur ex-patron. Et ce passé, quelque peu décomposé, ne manquera pas d’influer sur l’avenir d’un mouvement qui, pour être une révolution, aurait nécessité des révolutionnaires ; mais qui saura, cependant, trouver des formes d’organisation capables de mener le mouvement jusqu’à son aboutissement.

Benghazi, 17 février 2011. La population de la capitale de la Cyrénaïque se révolte contre le pouvoir en place à Tripoli. En quatre jours, la deuxième ville et tout l’Est du pays vont tomber entre les mains des « insurgés ». On dénombrera les 173 premiers morts de l’insurrection et ce chiffre fera le tour du monde. Abdel Moneim al-Honi, le représentant de la Libye auprès de la Ligue arabe, sera la première personnalité à rendre publique sa démission. Dans un pays socialement figé, « où prononcer le mot de société civile vous faisait courir des risques » (Abeir Imneina, professeur de sciences politiques à l’université Gar Younis de Benghazi - entretien avec Tanguy Berthemet - Le Figaro du 1er mars 2011), la spontanéité du mouvement (tout au moins du côté libyen ; pour le reste, il faudra attendre la publication du travail des chercheurs, des historiens et des… « acteurs internationaux » de ce mouvement) va surprendre non seulement les observateurs mais également le pouvoir, rapidement débordé. Il faudra du temps pour que des leaders émergent et que des structures se mettent en place.

Les intellectuels vont être les premiers à créer des « comités locaux » dans chacun des villes « libérées » à l’Est du pays. Puis un Comité de la coalition, un Conseil national de transition, un Conseil militaire vont apparaître dès lors que des personnalités du régime, civiles et militaires, vont « retrouver leur liberté de mouvement ». Ce n’est que le samedi 5 mars 2011 que sera révélé le nom de quatorze des trente membres du CNT. Pour des raisons de sécurité : le CNT se veut une organisation « nationale », pas uniquement régionale. Pas question, dans un premier temps, pour les « insurgés » de réclamer une intervention étrangère. « Les pressions diplomatiques sont utiles, mais nous sommes tous hostiles à une intervention extérieure. C’est notre révolution. C’est à nous de la finir. Si les Américains interviennent, ils ne partiront pas et cela deviendra l’Irak à Benghazi. Personne ne veut de cela » (Abeir Imneina, cf. supra).

Au sein des instances, les « insurgés » vont céder le devant de la scène aux personnalités libyennes qui ont « retrouvé leur liberté de mouvement ». Le premier contact téléphonique officiel (samedi 5 mars 2011) entre la France et le CNT sera établi par Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères et Européennes. Son interlocuteur sera Abdel Fatah Younès. Originaire de l’Est de la Libye, ce général, ancien compagnon de Kadhafi lors du renversement de la monarchie, ministre de l’Intérieur depuis trois ans, ex-numéro deux du régime, a rejoint la « révolution » le 22 février 2011. Il s’imposera à la tête de l’état-major de la « rébellion » face à son rival, le général Khalifa Haftar, rentré, lui, d’exil. Younès deviendra l’interlocuteur, jugé « incontournable », de Juppé. Le jeudi 28 juillet 2011, Younès sera assassiné, « dans des circonstances obscures », avec le colonel Mohammed Kharmis et le comandant Nasser Madhour. Règlement de comptes au sein du CNT ? Liquidation d’un « agent double » ? Younès sera remplacé par un chef militaire issu de la même tribu Obeidi : Sleimane Mahmoud Al-Obeidi.

La figure de proue de la « révolution » est Moustapha Abdeljalil, le président du CNT. Il s’agissait « d’essayer de donner un visage à cette révolution », dira un des responsables du CNT ; commentant cette nomination qui ne faisait pas l’unanimité chez les « insurgés ». La situation sur le terrain a évolué. Face aux menaces de Kadhafi, et de son fils Seif-el-Islam, de « faire couler des flots de sang », les « Occidentaux » vont monter une « coalition » qui, sous la tutelle de l’ONU, le parrainage de la Ligue arabe et le concours de l’OTAN, va stopper les « troupes » de Kadhafi chargées de reprendre les villes conquises par les « insurgés ». Abdeljalil devra être, auprès des « alliés », « l’architecte de la transition » ; autrement dit, l’homme capable de freiner les ardeurs des « révolutionnaires », d’empêcher l’implosion du pays et de garantir les intérêts « occidentaux » en Libye. En quelque sorte, le contrôleur général de la « révolution ». Jusqu’à la mort de Kadhafi, Abdeljalil ne décevra personne.

Dans Le Monde daté du 14 avril 2011, il va écrire l’histoire de la « révolution » libyenne comme les « Occidentaux » aiment à l’entendre raconter : « Après quatre décennies d’oppression et d’injustice, le 17 février, le peuple libyen se révoltait et libérait une grande partie du pays au prix de milliers de martyrs, dont les noms nous seront chers à jamais. Dans la Libye libre en formation, s’ouvrait le règne du droit et de la justice. Nous avons constitué des comités locaux, puis un Conseil national de transition, pour conduire à son terme notre lutte sans retour, faire naître une première démocratie et administrer notre pays exsangue en attendant le jour où toutes les femmes et tous les hommes de Libye pourraient, débarrassés de Kadhafi et de sa famille, s’exprimer enfin au grand jour à travers des élections générales, transparentes et libres ». Objectif de ce discours gaullien (les « Libyens libres » évoquent les « Français libres » de Charles De Gaulle) : obtenir les moyens militaires de refuser toute négociation politique avec Kadhafi, le « tyran ».

« Un sage sur la scène internationale » commentera La Croix. C’est pourtant, lui aussi, un apparatchik. Président de la cour d’appel de Tripoli, il avait confirmé la condamnation à mort des infirmières bulgares et du médecin palestinien, le 19 décembre 2006, obtenant le portefeuille de ministre de la Justice dès 2007. Originaire de El-Beïda, en Cyrénaïque, appartenant à une famille conservatrice et religieuse, il fera d’excellentes études de droit lui permettant de faire carrière dans la magistrature. On dira de lui qu’il est un « juge avec lequel le droit ne se perd pas ». Il y a quelques semaines, Abdelaziz Barrouhi a fait un portrait édifiant de « l’homme qui a fait tomber Kaddafi » (Jeune Afrique du 18 septembre 2011), incontestablement le plus complet sur ce « juge conservateur [qui] s’est mué en révolutionnaire » après avoir été chargé par le pouvoir en place à Tripoli de calmer les ardeurs des manifestants, à El-Beïda, au lendemain de la journée nationale de la « colère ».

Le 21 février 2011, Abdeljalil avait annoncé sa démission du gouvernement (qu’il avait déjà publiquement annoncée le 28 janvier 2010 lors de la session annuelle du Congrès général du peuple, mais que Kadhafi avait alors refusée) déclarant que « Mouammar Kadhafi constitue un danger pour tous les jeunes de mon pays ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Libye 2011 : Une révolution inachevée ! (3/3)
Libye 2011 : Une révolution inachevée ! (1/3)
Libye 2011 : Une révolution inachevée ! (2/3)